Il n’est pas anodin de devoir se pencher sur la genèse des fractures dans un réservoir géo- logique pour en comprendre le fonctionnement hydrologique. En effet comme nous l’avons vu, les caractéristiques géométriques des fractures sont issues de l’historique des contraintes qui ont été appliquées au bloc dans lequel elles sont apparues. Pour les géologues, l’obser- vation de ces empreintes permet de révéler l’histoire du mouvement de la lithosphère et de reconstruire les champs de contraintes passés ou présents [Tardy, 2006]. Ainsi pour les hy- drogéologues qui s’intéressent aux réservoirs fracturés, ces informations sont utiles car étant donné que l’objet de leur étude est en grande partie, invisible puisque profondément en- foui, la connaissance des états de contraintes passés au travers de l’histoire tectonique d’un région donne une estimation a priori des directions selon lesquelles les fractures peuvent

6. Ici, on entend par densité de fracturation le nombre d’objets par unité de distance selon une direction (soit la profondeur dans le cas présent). Dans d’autres cas, elle peut s’exprimer en nombre par unité de volume.

s’étendre. De plus, puisque les fractures constituent les principaux espaces libres pour la cir- culation des fluides, elles concentrent et chenalisent les écoulements de ces réservoirs. En conséquence, avoir une idée des directions principales selon lesquelles les flux sont drainés est important sans toutefois être suffisant. Il convient à présent d’examiner les conditions qui rendent possibles les écoulements à petites et larges échelles au sein des réservoirs géo- logiques fracturés.

Propriétés des écoulements

– Percolation et connectivité des réseaux de fractures :

Cette partie s’intéresse à ce qui conditionne et caractérise les écoulements dans les mi- lieux fracturés où la matrice rocheuse, c’est-à-dire l’assemblage des grains de la roche, est considérée comme imperméable. En tout premier lieu, pour qu’il y ait écoulement il faut of- frir la possibilité à une particule fluide de traverser un volume de roche. Cette propriété du milieu est définie dans le cadre de la théorie de la percolation [Berkowitz, 2002; Berkowitz et Balberg, 1993; Stauffer et Aharony, 1994]. On dit qu’un milieu percole lorsqu’il existe au moins un chemin continu qui permette à une particule de le traverser de part en part. En considérant dans un premier temps un amas de fractures perméables, il faut que celles-ci soient suffisamment connectées pour former un réseau percolant. Intuitivement, on s’ima- gine que ces conditions favorables à l’écoulement dépendent de la densité des fractures, de leurs tailles, de leur distribution dans l’espace, de leurs orientations et de leurs formes. De très nombreuses études théoriques et pratiques ont été consacrées à l’influence de ces différents paramètres sur les propriétés d’écoulements des milieux fracturés. Elles ont géné- ralement abouti à systématiser le comportement géométrique et hydraulique des systèmes fracturés. Les tenants et les aboutissants de ces travaux dépassent nettement le cadre de cette thèse mais il s’agira néanmoins d’évoquer succintement les résultats clés de ces recherches.

Dans un domaine très idéalisé contenant des fractures de même forme, de même taille, uniformément réparties dans l’espace et orientées de façon aléatoire, il est possible de défi- nir une densité de fracture critique à partir de laquelle le milieu percole. Si p représente la densité de fracturation d’un domaine, on définit par pc la densité critique correspondant au

seuil de percolation7, autrement dit à la densité de fracturation minimale pour obtenir un

7. A noter qu’en toute rigueur, ce seuil ne peut être brutal que dans les milieux de taille infinie. Dans la nature, on étudie des systèmes de tailles finies. Alors, le seuil de percolation intervient autour d’une valeur moyenne qui dépend de la taille du système et auquel est associé un écart-type.

amas de fracture qui percole. Il a été montré que de nombreuses quantités géométriques et physiquesΛ des milieux fracturés obéissent à des lois de puissance de la forme [Berkowitz, 2002; Bour, 1997] :

Λ(p) ∝ |p − pc|ue (1.1)

où ue est un exposant caractéristique de la quantité Λ qui ne dépend pas de la structure

géométrique du système mais seulement de sa dimension euclidienne. Par conséquent, les quantités telles que le nombre de connections moyen par fracture, la taille moyenne des blocs qui séparent les fractures ou encore la conductivité de l’ensemble d’un réseau de frac- tures sont principalement contrôlées par l’éloignement du système en termes de densité de fracturation au seuil de percolation |p − pc|. En particulier, la longueur de corrélation ², qui

correspond à la plus grande taille d’amas de fractures connecté dans un système non per- colant ou bien à la plus grande taille d’un amas non-connecté dans un système qui percole, obéit à la loi (1.1) [Berkowitz et Balberg, 1993; Davy et al., 2006]. Ainsi, lorsque p < pc, ²

équivaut à la distance maximale que peut parcourir une particule dans un amas connecté du système et lorsque le système percole (p > pc), c’est la distance au dessus de laquelle

le milieu peut être décrit comme un milieu homogène équivalent. Les réseaux de fractures peuvent également avoir des propriétés fractales au moins jusqu’à la taille caractéristique du plus grand objet, ce qui veut dire que les propriétés géométriques n’y sont statistiquement pas dépendantes de l’échelle d’observation. Une telle propriété peut avoir certains avan- tages lorsqu’on la transpose aux réservoirs naturels, car d’après cette théorie, il suffirait de caractériser le réseau de failles à une échelle pour prédire son état à d’autres échelles. Bien évidemment et hélas, ce n’est en réalité pas aussi simple que cela car ces constats restent en- core très théoriques et difficilement vérifiables sur le terrain. Toutefois, l’applicabilité de la théorie de la percolation aux réseaux de fractures a été validée, avec des limites, notamment par Balberg [1986]; Balberg et al. [1991]; Wilke et al. [1985] et confirmé par des études plus récentes [Bour et Davy, 1997] qui appuient le fait que dans les systèmes naturels, le seuil de percolation n’est pas une quantité fixe mais qu’il survient dans une gamme autour d’une va- leur moyennepc, liée à la taille du domaine considéré. La principale difficulté fut d’accéder

une estimation du seuil de percolation pour des milieux naturels qui sortent largement des hypothèses évoquées en début de paragraphe. A titre d’exemple, la taille des failles naturelles est nettement variable comme on peut l’observer en analysant un affleurement rocheux ou bien des photographies aériennes sur lesquelles on peut identifier des traces ou linéaments

(lignes d’intersection entre un plan, i.e. la surface du sol ou d’un affleurement, et les failles) [Sander, 2007]. Néanmoins, il a été remarqué qu’une fois de plus leur taille suivait une dis- tribution en loi de puissance de la forme [Bonnet et al., 2001; Bour et Davy, 1997; Bour et al., 2002] :

n(l ) ∝ l−ae (1.2)

avec l la longueur caractéristique d’une fracture et n la fréquence relative. ae est un expo-

sant non entier qui varie entre 1 et 4 et qui décrit quantitativement comment sont balancées, en nombre, les petites fractures par rapport aux grandes dans le système. Davy et al. [2006] décomposent les réseaux de failles en trois catégories en fonction de la valeur de l’exposant ae (figure1.8). Ces auteurs identifient deux cas extrêmes et un cas intermédiaire. Première-

ment lorsque l’exposant aeest faible, la connectivité du réseau est contrôlée par les failles de

grandes tailles (de l’ordre de celle du domaine ou plus) qui sont peu nombreuses. Dans ce cas, le critère de percolation est simplement contraint par la probabilité de croisement de ces failles. L’autre extrême fait intervenir un nombre très élevé de failles de taille très inférieures à celle du domaine (aeélevé). La connectivité d’un tel milieu fait intervenir en premier lieu

la densité et est bien contrainte dans le cadre de la théorie de la percolation. Finalement, le cas intermédiaire associe simplement les caractéristiques des deux extrêmes8.

Petit à petit, l’échafaudage d’un large cadre théorique fondé sur des approches analy- tiques et numériques décrivant des milieux fracturés de plus en plus complexes, en 2D et 3D, a permis de mieux comprendre le rôle de la structure et des propriétés des réseaux de failles sur les écoulements et les propriétés hydrauliques à large échelle (voir par exemple Bon- net et al. [2001]; Bour et Davy [1997]; De Dreuzy et al. [2001a,b, 2012]; Koudina et al. [1998]; Le Goc et al. [2010]; Long et al. [1982]; Long et Witherspoon [1985]; Mourzenko et al. [2005, 2011a]). En particulier, Long et al. [1982] tentent de déterminer dans quelles conditions un réseau de fractures peut être considéré comme un milieu poreux homogène équivalent. Ces auteurs mettent en avant le fait qu’une densité de fracturation élevée, des ouvertures de fracture homogènes dans le réseau, des orientations largement distribuées et des volumes d’investigations larges tendent à favoriser cette simplification. Plus récemment, Davy et al. [2010] et Maillot et al. [2014] démontrent que la prise en compte du mode de croissance de

8. De façon très imagée mais juste, Philippe Davy (directeur de recherche CNRS, Géosciences Rennes) illustre ces trois cas par leurs équivalents en termes de gouvernements possibles pour un pays : l’oligarchie voire la monarchie (un petit groupe de grands dirige l’écoulement), la démocratie (un grand groupe de pe- tits dirige les écoulements), ou bien, un système intermédiaire de monarchie parlementaire. La plupart des systèmes fracturés naturels sont donc des monarchies parlementaires !

FIGURE1.8 – Différents régimes contrôlant la connectivité d’un réseau de failles suivant une distri-

In document CIT-PART: Report Case Study Sweden Hansson, Kristofer; Lundin, Susanne (Page 57-64)