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L’insatisfaction chez Emma Bovary et Gustave Flaubert

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Academic year: 2021

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L’insatisfaction chez Emma Bovary et Gustave Flaubert

Författare: Ikram Soulimani

Handledare: André Leblanc Högskolan Dalarna

791 88 Falun Examinator: Nathalie Hauksson Tresh Sweden

Ämne: FR2028 Kurs: Franska

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Table des matières

RESUME ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT.

ABSTRACT ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT.

INTRODUCTION ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT.

1 LA CONDITION DE LA FEMME AU XIXE SIECLE ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE

DEFINIERAT.

1.1 L’

EDUCATION

... F

EL

! B

OKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT

. 1.2 L

E ROLE DE LA FEMMEDANS LA SOCIETE

... F

EL

! B

OKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT

. 2 ANALYSE DU PERSONNAGE EMMA BOVARY ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE

DEFINIERAT.

2.1 A

NALYSE PSYCHOLOGIQUE

... F

EL

! B

OKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT

. 2.2 A

NALYSE SOCIALE

... F

EL

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. 2.2.1 Emma au couvent ... Fel! Bokmärket är inte definierat.

2.2.2 Emma et son mariage avec Charles Bovary ... Fel! Bokmärket är inte definierat.

3 LA GENESE DE MADAME BOVARY .... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT.

3.1 L

A PRESENCE DE

F

LAUBERT DANS

M

ADAME

B

OVARY

... F

EL

! B

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.

3.2 F

LAUBERT ET LE BOVARYSME

... F

EL

! B

OKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT

. CONCLUSION ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT.

BIBLIOGRAPHIE ... FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE DEFINIERAT.

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Résumé

Ce mémoire a pour but de mettre en évidence l’origine de l'insatisfaction chez Emma Bovary et la raison pour laquelle Flaubert a choisi ce personnage insatisfait. Pour cela nous nous sommes basés sur le contexte socio-historique et psychologique d’Emma Bovary pour déterminer l’origine de ce sentiment. Nous avons tenté de mettre en exergue la condition de la femme au XIXe siècle pour savoir dans quelle mesure la condition de la femme de ce siècle a joué un rôle dans cette situation. Nous avons analysé le personnage de madame Bovary : son éducation, ses rêves et son mariage avec Charles. Il s’est agi de démontrer si l’éducation et l’entourage de cette femme ont eu une influence sur sa personnalité capricieuse par laquelle elle cherche toujours à satisfaire son corps et son âme. Une approche biographique de l’auteur s’est imposée pour démontrer les probables raisons qui ont poussé Flaubert à choisir le caractère insatisfait de son héroïne.

Abstract

This memoir aims to highlight the origin of the dissatisfaction of Emma Bovary and the reason why Flaubert chose this unsatisfied character. For this we have based our research on the socio- historical and psychological context of Emma Bovary to determine the origin of this feeling.

We try to highlight the condition of women in the nineteenth century to see how their condition in the nineteenth century played a role in this situation. We analyse the character of madame Bovary: her education, her dreams and her marriage with Charles. It is a question of showing if the education and the entourage of this woman have an influence on her capricious personality by which she always tries to satisfy her body and her soul. A biographical approach of the author is necessary to demonstrate the probable reasons which pushed Flaubert to choose the unsatisfied character of his heroine.

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Introduction

Madame Bovary est un roman réaliste publié en 1857 par Gustave Flaubert à travers lequel il décrit d’une manière très détaillée le personnage d’Emma Bovary comme étant une femme rêveuse, ambitieuse et insatisfaite de sa vie. C’est le roman de l’insatisfaction et de la lassitude engendrée par le désir non réalisé. Le sentiment d’insatisfaction est souvent lié à l’état de colère et de déception. Dans la littérature et la psychologie, le personnage d’Emma est le

« stéréotype » de la personne qui souffre de ce qu’on appelle le « bovarysme ». Par définition, le bovarysme est « un état d’insatisfaction sur les plans affectifs et sociaux, qui se rencontre en particulier chez certaines jeunes personnes névrosées, et qui se traduit par des ambitions vaines et démesurées, une fuite dans l’imaginaire et le romanesque » (Maltern, 2007. S.i). Cette insatisfaction chez ce personnage est apparue directement après son mariage. Elle résulte de son imagination et de ses rêves. Après son mariage avec Charles, son existence devient monotone. Elle essaie de créer un changement dans sa vie mais ces tentatives sont toujours vouées à l’échec. L’insatisfaction aboutit à la fin au suicide dans la mesure où malheureusement son insatisfaction sera perpétuelle. Sa recherche d’une vie dont elle a sans cesse rêvé est en fin de compte incomplète. Elle n’a pas pu trouver l’amour et la vie dont elle a tellement rêvé lorsque, jeune-fille, elle était au couvent.

Madame Bovary est une femme qui a nourri ses rêves par les romans lus pendant son adolescence au couvent et qui s’attendait à une expérience semblable dans sa vie conjugale : « Emma cherchait à savoir ce que l’on entendait au juste dans la vie par les mots de félicité, de passion et d’ivresse, qui lui avaient paru si beaux dans les livres. » (Flaubert, 2001 :84).

Une fois mariée, Emma s’ennuie rapidement et commence à déprimer. Les jours sont tous pareils pour cette jeune femme qui vient d'entrer dans une nouvelle étape de sa vie qui ne correspond pas à ses aspirations. Cependant, Emma va assister à un bal où elle découvre la vie

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luxueuse dont elle a toujours rêvé. L’événement du bal à la Vaubyessard est un événement qui a une grande importance dans sa vie, puisqu'il représente le moment de la métamorphose et de la transformation à partir duquel Flaubert illustrera l'histoire et la personnalité de son héroïne.

C’est cet événement qui va déclencher l'éloignement d’Emma de son mari, qui selon Flaubert est ennuyeux et sans ambitions. D’ailleurs, le romancier représente avant tout Charles par sa médiocrité. Ses études n'ont pas été un succès, son manque de culture le condamne à l’incompréhension de ce qui l'entoure, en plus d’être l'objet d'une moquerie illimitée de la part de l'auteur. Emma non plus ne le voit pas comme les autres hommes du bal. La première réaction de rejet envers son mari est celle où elle refuse de danser avec lui, car elle a peur que les autres se moquent de lui : « Danser ? reprit Emma. – Oui ! – Mais tu as perdu la tête ! On se moquerait de toi, reste à ta place. » (Flaubert, 2001 : 102).

Emma se rend compte qu’elle s’est trompée de mari, et que le bonheur existe vraiment, mais en dehors de son mariage avec Charles Bovary. La vie qu’Emma a lue dans les romans peut exister mais pas avec Charles. Après le bal, l'héroïne ne fait que penser à cet événement luxueux: les gens, les mets fins, le décor, les vêtements…. La jeune femme va essayer sans cesse d’atteindre le bonheur, de satisfaire son âme. Ce faisant elle oscille entre l'adultère, la religion et la dépression. C’est une femme qui confond rêve et réalité et qui finalement se perd entre les deux, puisque la conséquence de cette insatisfaction sera la mort tragique de l'héroïne, qui au lieu de résoudre ses problèmes et d’affronter la réalité, préfère se suicider en laissant derrière elle une famille déchirée.

Le but de ce mémoire est de décrire et d’analyser les facteurs, qu’ils soient internes (psychologiques) ou externes (sociaux), qui ont créé la personnalité insatisfaite et toujours rêveuse qui est celle d’Emma et de savoir pourquoi Flaubert a voulu concevoir un personnage aussi insatisfait. Le thème de l’insatisfaction est un thème très présent dans le personnage d’Emma. Il nous amène à nous poser les questions suivantes : d'où vient l’insatisfaction chez ce personnage qui finit par détruire sa vie ? Quels sont les facteurs qui ont contribué à ce caractère ? Peut-on considérer la condition de la femme à cette époque comme un facteur majeur et primordial ? Et pourquoi Flaubert a-t-il voulu concevoir un personnage insatisfait ? Pour répondre à nos questions, une approche biographique et sociocritique s’imposent. Pour cela, nous allons tout d’abord, dans une première partie, aborder la condition de la femme bourgeoise française au XIXe siècle, car nous voulons voir dans quelle mesure Emma se positionne par rapport à cette condition. Il faut préciser que le rôle de la plupart des femmes, durant cette époque, se limitait aux activités ménagères et à l’éducation des enfants. Ainsi le statut de la femme à l’époque faisait d’elle non pas l’égale de l’homme mais un être inférieur à

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lui, comme le prescrirait la religion et les préjugés véhiculés à travers l’Histoire. Pourtant, déjà, à cette époque, apparaissait, mais timidement, le féminisme grâce à certains penseurs et philosophes.

Par la suite, dans une deuxième partie, nous analyserons le personnage d’Emma Bovary en déterminant les influences psychologiques ou sociales qui ont contribué à la fin tragique de sa vie. Notre dessein est d’analyser et d’étudier les différentes dimensions de cette peinture féroce d’un exemple féminin dans la société du XIXe siècle, afin de comprendre si Emma est en définitive victime ou coupable de ses actes. Dans une troisième partie, grâce à une analyse du texte qui se concentrera sur les liens entre l’œuvre et la biographie de l’auteur, nous allons essayer d’étudier la présence de Flaubert tout au long de l’œuvre et ainsi tenter de comprendre les raisons qui ont poussé l’écrivain à choisir ce personnage insatisfait.

Plusieurs recherches ont été faites sur le contexte socio-historique et psychologique dans lequel évolue madame Bovary. Czyba Lucette dans La femme dans les romans de Flaubert traite l’idéologie de la femme à l’époque de Flaubert. Pour elle Madame Bovary « révèle le disfonctionnement de l’institution du mariage, marché de dupes, prison pour les femmes (…) » (Czyba, 1983 :111).

Dans la genèse de Madame Bovary, Claudine Gothot-Mersh fait une étude génétique de Madame Bovary. Cette dernière révèle les liens entre Flaubert et son œuvre à travers les correspondances du romancier. Ainsi, et d’après Gothot Mersh, « C’est dans l’observation de son entourage que Flaubert, comme tout écrivain, trouve la matière de son roman : personnages qu’il connaît ou qu’il a connus, milieu familial et sentimental, province normande » (Gothot- Mersh, 1966 : 281).

1. La condition de la femme au XIXe siècle

Le statut des femmes était toujours inférieur à celui des hommes au XIXe siècle. Malgré les changements qui se sont produits grâce à l’évolution de la société à cette époque, le système est resté, malgré tout, patriarcal. La femme devait servir son mari et s’occuper de ses enfants. Le seul rôle assigné à la femme était le mariage et la maternité. D’ailleurs, le code civil promulgué en 1804 « fait de la femme mariée une éternelle mineure » (Labrune, Toutain et Zwang, 2016 :67). Balzac écrit dans la philosophie du mariage, que « la femme est une propriété que

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l'on acquiert par contrat ; elle est mobilière car la possession vaut titre ; enfin la femme n'est à proprement parler qu'une annexe de l'homme... » (Balzac, 1874 :455, s.i)

À l’époque de la publication de Madame Bovary, le divorce était interdit, ce qui obligeait la femme à vivre jusqu’à la mort avec son époux. C’est l’homme qui dominait dans la famille et la femme devait obéir à son mari. Cette inégalité se manifestait non seulement au niveau des droits, mais aussi au niveau des peines, comme par exemple l’adultère qui était considéré à l’époque comme un crime quand il était commis par la femme, alors que pour l’homme, il suffisait juste de payer une amende. (Wikipédia, adultère.s.i)

1.1. L’éducation

Françoise Mayeur dans « L’éducation des filles en France au XIXème siècle » donne une idée sur l’éducation de la femme à cette époque en montrant à quel point elle est différente de celle de l’homme. Selon Mayeur, l’éducation féminine demeure religieuse (Mayeur, 1981 : 48 s.i.).

En effet, la laïcisation des programmes était plus lente pour les filles que pour les garçons (idem). Il y avait une grande différence entre l’éducation des garçons et celle des filles. On éduquait celles-ci à devenir des femmes au foyer et non pas pour servir la société. Leur éducation était essentiellement religieuse pour pouvoir transmettre les principes du catholicisme à leurs enfants. De plus, l’éducation n’était pas accessible à tout le monde. Seules les familles bourgeoises ou nobles en profitaient.

A l’époque, l’éducation des filles était un sujet de moindre importance que celle des garçons.

Selon Françoise Mayeur, « la fille reçoit tous les raffinements d’une éducation qui ne la rapproche pas pour autant de ses frères » (Mayeur, 1981 : 48, s.i). Le but de cette éducation n’était pas « l’acquisition des connaissances livresques » (48), mais plutôt, celui de former des épouses et des mères. Selon Françoise Mayeur, « on lui apprend à tenir une maison, diriger les domestiques (…) (48). Cette éducation était surtout religieuse puisqu’on considérait la femme comme celle qui allait transmettre à ses enfants tous les principes religieux qu’on lui avait inculqués. C’est une éducation qui était « peu chargée d’instruction mais riche d’apprentissage domestique » (Mayeur, 1985 : 48, s.i.). L’éducation qu’a reçue Emma ne l’a pas aidée à découvrir le monde extérieur et par conséquent, elle ne va pas pouvoir affronter les problèmes de la vie, ni les résoudre.

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1.2. Le rôle de la femme dans la société

Le statut de la femme est resté inférieur à celui de l’homme pendant des siècles. Ayant été fortement imprégnées par une éducation religieuse et très limitée, les femmes ne s’attendaient pas à grand-chose dans leur vie, tant que cette éducation ne leur permettait pas d’explorer la vie à l’extérieur de leur domicile. Elles étaient condamnées à assumer le mariage et la maternité.

Même après la Révolution française, espérer un changement au niveau du statut de la femme fut un rêve, malgré la proclamation, à l’époque, des principes d’égalité. Selon Simone de Beauvoir, le statut inférieur de la femme par rapport à l’homme serait dû à sa dépendance vis- à-vis de l’homme et à son statut de femme au foyer. Ainsi Simone de Beauvoir résume le rôle de la femme comme suit :

La femme est vouée au maintien de l'espèce et à l'entretien du foyer, c'est-à-dire à l'immanence. (…) A l'homme, le mariage en permet précisément l'heureuse synthèse ; dans son métier, dans sa vie politique, il connaît le changement, le progrès, il éprouve sa dispersion à travers le temps et l’univers ; et quand il est las de ce vagabondage, il fonde un foyer, il se fixe, il s'ancre dans le monde ; le soir il se rassemble dans la maison où la femme veille sur les meubles et les enfants, sur le passé qu'elle emmagasine. Mais celle- ci n'a pas d'autre tâche que de maintenir et entretenir la vie dans sa pure et identique généralité ; elle perpétue l'espèce immuable, elle assure le rythme égal des journées et la permanence du foyer dont elle garde les portes fermées ; on ne lui donne aucune prise directe sur l'avenir ni sur l’univers ; elle ne se dépasse vers la collectivité que par le truchement de l'époux. (Beauvoir, 1949 : 283).

Les femmes n’ont jamais pu faire connaissance avec un monde toujours réservé aux hommes.

Même les femmes bourgeoises comme Emma Bovary n’espéraient pas grand-chose de leur vie.

Leur seul espoir était le mariage et la maternité. La femme, toujours sous l’autorité du mari ou du père, demeure un être amoindri qui ne peut espérer être libre. Elle est perpétuellement victime de la routine et esclave de la maternité.

2. Analyse du personnage Emma Bovary

Cette partie comprend une analyse psychologique et sociale de l’héroïne qui nous permettra de déterminer comment l’éducation et l’entourage d’Emma Bovary ont influencé sa personnalité.

2.1. Analyse psychologique

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Dans cette analyse psychologique, nous montrerons comment les rêves et les désirs d’Emma ont contribué à créer cette personnalité insatisfaite de l’héroïne.

Flaubert nous montre à travers Madame Bovary que le rêve est le seul moyen pour la femme de cette époque de fuir la réalité et chasser l’ennui pour pouvoir vivre heureuse dans son monde intérieur. Emma Bovary est l’exemple de cette femme rêveuse qui nourrit son imaginaire de ses lectures romanesques. Elle songe à des hommes « braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis (…) » (idem). Emma vit avec les héroïnes de ses romans et désire adopter le même style de vie qu’elles : « Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces châtelaines au long corsage qui, sous le reflet des ogives, passaient leurs jours, (…) » (idem). La jeune fille s’accroche à ce monde où tout est parfait et où « ne parviennent jamais les cœurs médiocres » (Flaubert, 2001 : 89).

Étant donné que le monde imaginaire et idéal d’Emma n’existe que dans les romans, cette jeune rêveuse va se confronter avec une réalité qu’elle n’acceptera jamais et par conséquent elle continuera toujours à rêver. Après avoir quitté le couvent, Emma rejoint son père à la campagne où elle attend son « cavalier à plume blanche qui galope sur un cheval noir » (Flaubert, 2001 : 87), et qui sauvera Emma de ce monde rural qui n’appartient pas non plus à ce monde luxueux qu’elle convoite toujours. Le mariage est pour Emma la seule solution pour devenir une « mademoiselle de ville » (Czyba, 1983 :64) et sortir du monde des fermiers (son monde réel). Elle cherche « un amour romanesque » (idem) qu’elle ne trouvera malheureusement pas avec son mari Charles : « Avant qu’elle se mariât, elle avait cru avoir de l’amour ; mais le bonheur qui aurait dû résulter de cet amour n’était pas venu, il fallait qu’elle se fût trompée, songeait-elle. » (Flaubert, 2001 : 84).

Après le mariage, l’héroïne se représente une lune du miel mythique. Influencée par ses lectures, Emma imagine d’un lieu utopique : « Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores, où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses » (Flaubert, 2001 : 91). Flaubert nous révèle son côté ironique, en montrant que l’idéal n’a pas de place dans notre monde et qu’il existe uniquement dans les rêveries d’Emma. La jeune épouse croit que ces lieux idéaux vont lui apporter du bonheur : « Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part » (idem). Ce commentaire de Flaubert « explique la signification des stéréotypes qui constituent les rêves de son personnage et dénonce son illusion » (Czyba, 1983 :80).

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Ses rêves ne s’arrêtent pas à cette étape de sa vie, elle va continuer à rêver car elle est convaincue que son monde idéal existe, et d’ailleurs le bal de la Vaubyessard est la preuve tangible de l’existence de son monde parfait. Gothot-Mersch affirme que « le goût d’Emma pour le luxe et l’élégance » est un autre trait psychologique qui s’est déclenché après le bal (Gothot-Mersch, 1966 :128). Le monde luxueux que madame Bovary a découvert au bal la fait vivre dans un « univers fantasmatique » qu’elle ne veut pas abandonner (Czyba, 1983 :85). Le bal représente un évènement très important dans l’évolution de l’héroïne, c’est à partir de ce moment qu’Emma va commencer à consommer, à désirer paraître comme les femmes aristocrates du bal. Il est évident que madame Bovary appartient à la petite bourgeoisie et aspire à l’ascension sociale en dépensant sans compter. Czyba souligne que la possession de d’objets de luxe ne signifie pas l’appartenance à la classe aristocratique. Emma ne peut pas appartenir à la classe aristocrate seulement en achetant des objets de luxe, elle veut plus.

(Czyba, 1983 :86). Elle confond bonheur et luxe : « Elle confondait dans son désir, les sensualités du luxe avec les joies du cœur, l’élégance des habitudes et les délicatesses des sentiments (Flaubert, 2001 : 113).

Emma va chercher la félicité ailleurs avec ses amants. Si Charles ne correspond pas à l’homme de sa vie, il y a certainement d’autres hommes qui le feront. Léon et Rodolphe semblent être l’unique secours d’Emma contre cet ennuyeux mari. Les rêves et les désirs d’Emma vont pousser cette jeune femme à commettre l’adultère, chose qui est vue comme un crime à l’époque. Apparemment les désirs d’Emma ne vont pas se limiter à des objets de luxe. Ils vont porter sur des personnes. Il semble impossible pour Emma de freiner ses désirs. Elle passe alors des livres aux objets de luxe pour enfin atteindre son objectif qui était celui d’avoir un amant.

Et dès lors la pauvre femme oscille d’un amant à l’autre pour remplir le vide et tuer l’ennui qui la dévore.

Son second amant Léon correspond physiquement au « modèle romanesque de son adolescence » (Czyba, 1983 :88), son élégance lui rappelle le vicomte de la Vaubyessard. Alors que Rodolphe, son premier amant, représente la richesse et la classe sociale dont elle a rêvé, selon Czyba, il « réunit donc tous les prestiges qui peuvent donner à Emma l’illusion de vivre enfin le rêve de son adolescence » (idem).

D’ailleurs madame Bovary n’est pas comme les autres femmes de son époque. Flaubert nous montre une femme à caractère viril en décrivant le portrait de l’héroïne : « Elle portait, comme un homme, passé entre deux boutons de son corsage, un lorgnon d’écaille » (Flaubert : 63). Elle fume des cigarettes et même une pipe avec ses amants. Peut-être qu’Emma veut imposer sa domination et jouer le rôle d’une femme forte de caractère, une femme libre, rebelle et

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indépendante, dans une société où on favorise les hommes. Ce caractère masculin qu’Emma adopte de temps en temps n’est qu’une réaction face à son éducation et au milieu dans lequel elle vit. L’homme est libre, indépendant, capable d’exercer un métier, alors que les femmes restent au foyer sans pouvoir avoir accès au domaine professionnel. Emma veut montrer son autorité dans son couple. Que ce soit avec Rodolphe ou avec Léon, c’est elle qui domine, elle est une femme forte et dominante avec ses amants. En parlant de Léon, Flaubert déclare qu’« il devenait sa maîtresse plutôt qu’elle n’était la sienne » ( Flaubert, 2001 : 364 ).

Emma semble être la seule personne inadéquate dans une société petite bourgeoise où tout est bien organisé. Elle se révolte contre les principes et les mœurs de la société de son époque. Elle veut effacer l’image de la femme soumise et donner naissance à une femme forte capable de décider dans son couple, et même de dépasser les limites, en se dirigeant vers l’adultère pour satisfaire ses désirs et ses passions. On a l’impression qu’Emma est une personne qui lutte seule, mais en vain contre toute une société masculine. Elle est toujours en quête de la satisfaction, mais il n’y a personne pour la comprendre, ni son mari, ni ses amants. Alain Buisine la décrit dans son ouvrage Figures mythiques comme étant une « héroïne active et combative qui ose vivre ses rêves, qui, contre la navrante médiocrité des hommes et de la société, revendique et assume ses désirs de femme » (Buisine,1997 :45).

Le personnage d’Emma, tel que Flaubert nous le décrit, semble en outre être complexe et présenter des symptômes d’instabilité. En effet, c’est une femme qui oscille entre l’adultère et la religion. Il y a des contradictions dans le caractère d’Emma Bovary que Léon a remarquées et décrit ainsi : « Par la diversité de son humeur, tour à tour mystique ou joyeuse, babillarde, taciturne, emportée, nonchalante, elle allait rappelant en lui mille désirs, évoquant des instincts ou des réminiscences » (Flaubert, 2001 :350). Flaubert a voulu nous présenter à travers le personnage d’Emma Bovary une femme à double personnalité qui ne sait pas ce qu’elle veut et auquel beaucoup d’autres femmes peuvent s’identifier. Le personnage de madame Bovary est présent dans tous les temps et à travers tout le monde. C’est le bovarysme qui est toujours présent et immortel.

Les rêves d’Emma n’ont pas de limite, et la dure réalité qu’elle affronte chaque jour ne l’empêchera pas de continuer à rêver : c’est une éternelle rêveuse à la recherche continue d’un monde utopique où réside des hommes idéaux qui incarnent la beauté, la douceur et l’aristocratie.

2.2. Analyse sociale

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Dans ce sous-chapitre, nous présenterons l’influence de la société et de l’entourage sur le personnage d’Emma Bovary. Premièrement, nous allons analyser l’influence du couvent sur la personnalité de l’héroïne. Ensuite, nous nous pencherons sur l’effet du mariage sur la vie d’Emma Bovary.

2.2.1. Emma au couvent

Emma Rouault est élevée au couvent des Ursulines où elle reçoit une éducation religieuse qui est censée la préparer à devenir femme et mère. A l’époque, cette éducation était vue comme étant la meilleure éducation : « Mademoiselle Rouault, élevée au couvent chez les Ursulines, avait reçu, comme on dit, une belle éducation, qu’elle savait en conséquence la danse, la géographie, le dessin, faire de la tapisserie et toucher du piano. Ce fut le comble ». (Flaubert, 2001 :65).

Au couvent, et à l'âge de treize ans, Emma commence à nourrir son imaginaire avec la lecture de romans. Elle voit le monde à travers ses livres et leurs histoires. De ce fait, elle construit pour elle-même un monde idéal pour s’échapper de la réalité qu’elle ne veut pas accepter. Pour Emma, le monde réel est un monde ennuyeux qui ne va pas de pair avec celui de ses rêves. La vie réelle pour Emma ne lui apporte rien d'intéressant, c’est son monde illusoire qu’elle vénère et où elle préfère vivre. De ce fait, une sensation d’insatisfaction se développe chez la jeune fille.

Emma est élevée dans un milieu religieux où l’on prépare les filles à devenir des épouses et des mères dépourvues de toutes sortes d’aspirations ; leurs rôles dans la société est réduit à être épouses et mères : « la grande, la seule affaire dans la vie de ces femmes est le mariage, suivi de son corolaire, la maternité́ » (Czyba, 1983 :53).

Emma ne lit pas pour se cultiver. Elle lit plutôt pour rêver, pour fuir la réalité. Le couvent est une étape très importante qui marque la vie d'Emma Rouault. Pendant cette période, elle développe de fausses idées sur la vie extérieure ainsi que sur la vie conjugale. Selon Czyba,

« le couvent figure dans le texte comme le lieu typique de l’illusion et du rêve, de l’engourdissement de la conscience (et non de l’éveil et de l'intelligence qui permettrait l’observation et l’apprentissage de la réalité), ce qui engendre « l’assoupissement d’Emma » » (Czyba, 1983 : 62). Le couvent est comme une sorte de prison qui isole la jeune fille du monde extérieur et par conséquent, elle est obligée de créer son monde à elle en s’inspirant des romans qu’elle lit : c’est une sorte d’échappatoire pour l'héroïne.

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Pour Czyba, « les lectures d’Emma ont une fonction mystificatrice et expliquent ce que Flaubert appelle la « la fausseté de son héroïne » (Czyba, 1983 : 63), et que cette éducation

« contribue à lui faire confondre le paraître et l'être » (Czyba, 1983 : 68). Emma se heurte à l'incompatibilité de son idéal avec la réalité. Toujours selon Czyba, « l’influence idéologique reçue au couvent la condamne à être régulièrement déçue par la confrontation de ces mythes avec ce qu’elle a cru être leur réalisation... » (Czyba, 1983 : 75). De ce fait, Emma va se battre avec la réalité pour atteindre son objectif, qui restera toujours « inaccessible ».

Étant donné qu’Emma ne peut pas voir ses rêves se réaliser dans la vie réelle, elle ne sera jamais satisfaite, ni avant, ni après son mariage avec Charles Bovary qui, de surcroît, n’est pas à la hauteur de ses espérances. Gothot-Mersh écrit dans La Genèse de Madame Bovary qu’Emma est une femme pour qui « même si sa destinée avait paru la plus heureuse (…), n’aurait sans doute pas admis qu’elle était comblée » (Gothot-Mersh, 1966 :66). Gothot- Mersh ajoute que c’était aussi « sa nature de désirer qu’elle n’ait plus qu’elle ne peut avoir : une insatisfaction perpétuelle la lance dans une recherche effrénée du bonheur impossible ».

(Gothot-Mersh, 1966 :66)

Le couvent est une étape qui marque vraiment non seulement l’adolescence de l’héroïne, mais aussi, par la suite, sa vie hors du couvent. Le couvent pour Emma est un « monde clos et isolé au monde » (Czyba 1983 : 63). Emma croit que le vrai monde est celui que lui inspirent ses lectures, car les pensionnaires du couvent n’ont aucun contact avec le monde extérieur. Ce sont plutôt les romans qui servent d’intermédiaires entre les pensionnaires et le monde extérieur.

Emma quittera le couvent, mais elle ne quittera jamais son monde illusoire.

2.2.2. Emma et son mariage avec Charles Bovary

Issue de la petite bourgeoisie, Charles Bovary est un personnage qui incarne l'échec et la médiocrité. Flaubert commence son roman en décrivant Charles au collège, ridiculisé par ses camarades de classe. L’échec va poursuivre Charles durant toute sa vie, un échec à la fois professionnel et sentimental. Veuf d’un mariage organisé par sa mère, il tombe amoureux d’Emma Rouault qui l’épouse pour fuir la vie de fermière. Mais le mariage est comme une prison pour la jeune mariée que la monotonie et l’ennui dévorent. Après une courte période de vie conjugale, Emma commence à regretter : « Avant qu’elle se mariât, elle avait cru avoir de l’amour ; mais le bonheur qui aurait dû résulter de cet amour n’était pas venu, il fallait qu’elle se fût trompée, songeait-elle » (Flaubert, 2001 : 84). Au contraire, Charles a trouvé finalement la femme de sa vie, et ne se rend pas compte du malheur de sa femme. Il ne comprend pas les

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crises de nerfs dont elle souffre et qui se manifestent comme une réaction d’Emma contre sa vie conjugale. Emma trouve Charles très ennuyeux et sans ambitions, un homme qui ne correspond pas à l’homme de ses rêves. Flaubert décrit sa conversation comme suit : « La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue » (Flaubert, 2001 : 92). Un homme, selon Emma, vide, antipathique et ridicule qui ne lui apporte que l’ennui et le malheur. Charles ne lui transmet rien d’important dans ses conversations car, d’après elle, il ne sait rien faire, il n’a pas grand-chose à lui apporter :

Il n’avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu’il habitait Rouen, d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d’équitation qu’elle avait rencontré dans un roman (Flaubert, 2001 : 92).

Malheureusement, Charles ne peut pas sentir la souffrance d’Emma, il n’est fasciné que par son physique et sa beauté externe, mais il ne peut pas traverser son âme. C’est un homme superficiel qui n’a rien à voir avec l’homme romantique dont Emma rêvait. Cette dernière a accepté de se marier avec lui pour mener une vie mondaine, car elle aspirait à l’ascension sociale, elle voulait paraître comme les femmes de Paris. Czyba décrit le mariage à cette époque comme étant « une affaire d’argent », pas de sentiments (Czyba, 1983 :52). Emma voyait Charles comme une solution à sa situation sociale. Mais la vie qu’elle avait imaginée à travers ses lectures ne va pas de pair avec sa vie conjugale.

Pourtant, Charles a des qualités que d’autres femmes auraient probablement appréciées, mais Emma ne voit que son côté obscur, sa médiocrité, son manque d’ambition et sa personnalité de faible. Charles au contraire ne voit que le côté esthétique d’Emma, il est tellement heureux avec sa femme qu’il n’arrive jamais à remarquer son ennui et son malheur. C’est un personnage que l’on peut considérer comme l’anti- Emma. Ils n’ont rien en commun, mais il ne se rend compte de cela qu’après sa mort. Au contraire, Emma peu après son mariage, s’en est aperçue. Flaubert a créé un personnage passif qui ne possède aucune qualité aux yeux d’Emma. Il « l’a transformé en simple repoussoir, dépourvu d’imagination et de jugement personnel » (Falconer,1973 :125). C’est le repoussoir d’Emma Bovary, c’est son comportement et sa personnalité qui alimentent l’ennui et l’insatisfaction d’Emma. Alors que Charles voit la vie à travers son adorable femme, comme la source de son bonheur, son champ optique est réduit à Emma. Ce n’est qu’après sa mort qu’il pourra voir et découvrir la vérité de sa femme. Graham Falconer ajoute dans Langages de Flaubert que dans les trois premiers chapitres du roman, Charles s’est transformé « en personnage repoussoir, en simple objet, dont l’unique fonction

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est de justifier et de focaliser l’exaspération d’Emma, mais qui, dès la mort de celle-ci redevient un personnage autonome […] » (Falconer 1973 : 118-119).

Emma quant à elle, ne correspond pas aux femmes de son siècle, des femmes soumises dépendantes de leur mari. Mais l’auteur ne voulait-il pas ici présenter un prototype de femme libre, rebelle, qui veut changer la réalité existante en s’élevant contre cette soumission à laquelle sont assujetties les femmes à l’époque ? Ne serait-ce pas une rébellion inconsciente qui prendrait la forme de l’adultère ? Toutes les conditions ont été favorables pour qu’elle en soit arrivé là. Charles lui a offert la liberté que les autres femmes ne possédaient pas à l’époque, c’est elle qui gérait ses biens et elle voyageait toute seule pour prendre des cours de piano.

Emma a profité de cette liberté et de l’aveuglement de son mari pour retrouver l’amour et la passion avec d’autres hommes dont elle croyait qu’ils allaient la rendre heureuse comme les héroïnes de ses romans. D’après Czyba, « l’adultère est en effet vécu par Emma comme une juste revanche de souffrance causées par le mariage » (Czyba, 1983 : 89). Comme nous l’avons signalé auparavant, Emma n’est pas comme les autres femmes de son village, elle est rebelle, émancipée. C’est pour cela qu’elle va réagir contre son ennui avec Charles. Elle est convaincue que le bonheur et la belle vie existent quelque part. Elle se doit d’aller chercher cette vie, car elle ne peut plus supporter l’ennui que lui cause son mari. Czyba ajoute que « la rancœur accumulée contre le mari geôlier, obstacle au bonheur, jugé responsable de toute la « misère » de l’existence quotidienne nourrit l’amour adultère » (idem). Elle a trompé son mari avec deux amants, mais Charles ne s’est rendu compte de la trahison de sa femme qu’après sa mort. La bêtise de Charles disparait après la mort de l’héroïne.

3. La genèse de Madame Bovary

Dans cette partie, nous allons mettre en lumière la relation de la vie d’Emma Bovary et celle de son créateur, Gustave Flaubert.

3.1. La présence de Flaubert dans Madame Bovary

Même si le fameux énoncé « madame Bovary c’est moi » a été attribué à Flaubert, cela n’était pas vrai puisque lui-même a confirmé que « Madame Bovary n’a rien de vrai. C’est une histoire totalement inventée » (cité par Gothot-Mersch, 1966 :19). Cependant, on ne peut pas dénier la présence de la vie du romancier dans son œuvre. Flaubert n’est certainement pas madame

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Bovary, mais il y a plutôt des empreintes de sa vie et de ses expériences dans son œuvre.

Concernant le personnage d’Emma Bovary, Flaubert dépeint une femme à la personnalité complexe difficile à comprendre et à analyser, et cela pourrait être l’image que Flaubert se faisait des femmes. Ainsi, dans une lettre envoyée à Mlle Leroyer de Chantepie en 1859, Flaubert décrit la femme comme suit : « La femme me semble une chose impossible. Et plus je l’étudie, et moins je la comprends. Je m’en suis toujours écarté le plus que j’ai pu. C’est un abîme qui m’attire et qui me fait peur » (Citée par Czyba, 1983 : 267).

Bien que le romancier ait déclaré à Louise Colet que « rien de ce livre n’est tiré de moi » (citée par Gothot-Mersch, 1966 : 85), on trouve pourtant des traces biographiques de l’auteur dans son œuvre et surtout à travers le personnage d’Emma qui représente un trait de caractère dont Flaubert s’était inspiré à partir de sa vie. D’après Czyba, « Emma achève la création d’un type qui s’ébauche tout au long des œuvres de jeunesse, fondées précisément sur l’autobiographie, (…) type caractérisé par l’impuissance à accepter la vie telle qu’elle est » (Czyba, 1983 : 112).

Cette similitude se manifeste aussi au niveau des personnages autres personnages car comme nous le savons bien, Flaubert est issu d’une famille dont deux membres sont médecins : son père et son frère aîné. Flaubert était influencé par le milieu médical, d'où la description réelle des symptômes cliniques de l'empoisonnement de madame Bovary, et d’où le choix du métier du personnage principal Charles Bovary comme officier de santé. Flaubert aimait beaucoup son père qui était un chirurgien : « Je n’ai aimé qu’un homme comme ami et qu’un autre c’est mon père » (Flaubert, 1840 :19. s.i). Ainsi le romancier, vers la fin de Madame Bovary, fait apparaître le docteur Larivière qui probablement incarne le personnage de son père par sa compétence, le seul personnage qui n’est pas ridiculisé par l’auteur. Parmi les amis de Flaubert, on peut citer Adolphe Jouanne, un pharmacien à qui on pourrait relier le personnage d’Homais le pharmacien : « (…) il découvrira plus tard un pharmacien qui lui fournira quelqu’un des traits de M. Homais ». ( Dumésnil, 1968 :31-31). L’entourage de Flaubert a sans doute inspiré le romancier lors de la rédaction de son œuvre, et même s’il ne s’agit pas d’une autobiographie, loin s’en faut, on y trouve des empreintes de l’auteur qui s’imposent dans la création de l’histoire et qui se manifestent à travers le déroulement des actions ainsi que la personnalité et le caractère des personnages.

Madame Bovary est une œuvre qui est le fruit de l’imagination de l’auteur, de ses propres fantasmes, de son âme qui aspire davantage à la liberté, avec des traits autobiographiques, le tout associé à son goût pour le ridicule, pour l’originalité accordée à ses personnages. Par contre, il se dégage de ces évènements un réalisme qui dépeint objectivement et rigoureusement

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le comportement et les actions des protagonistes. Cela dit, toute œuvre romanesque reflète, en quelque sorte, certains traits de caractère de son auteur, bien que le personnage d’Emma puisse se reproduire en tout temps et en tout lieu.

3.2. Flaubert et le bovarysme

Gustave Flaubert a consacré cinq ans de sa vie à l’écriture de Madame Bovary. Il voulait nous présenter une œuvre parfaite à tous les niveaux, une œuvre centrée sur le personnage d’Emma Bovary. Une femme aux rêves illimités, aux désirs jamais satisfaits est l’exemple initial donné par Flaubert, exemple qui a suscité la notion de bovarysme. Écrire tout un livre sur une femme qui s’ennuie n’était pas évident, ce qui nous pousse à penser que Flaubert était probablement atteint de bovarysme durant sa jeunesse. Une lettre que le romancier a envoyée à sa maîtresse Louise Colet révèle quelques symptômes du bovarysme chez lui : « La pluie tombe, les voiles des barques sous mes fenêtres sont noires, des paysannes en parapluie passent, des marins crient, je m’ennuie ! Il me semble qu’il y a dix ans que je t’ai quittée. » (Wikisource, s.i).

L’ennui étant un sentiment très présent dans la vie de l’héroïne, il était également un trait de caractère inhérent à la personnalité de l’auteur.

En effet, Flaubert ressemble quelque part à son héroïne. Ainsi, on peut citer par exemple ce que Flaubert avait confessé dans ses œuvres de jeunesse : « Ces passions que j’aurais voulu avoir, je les étudiais dans les livres [...] Je songeais à la fois aux nuits étoilées des pays chauds et de l'embrasement des villes incendiées » (Flaubert, cité par Gotot-Mersch, 1966 :63). Ce passage montre une certaine similitude entre les rêves du romancier et ceux d’Emma Bovary qui à son tour lisait des romans pour satisfaire son âme et ses passions. De plus, on peut noter que la folie que Flaubert a attribuée à son personnage nous rappelle la maladie nerveuse dont souffrait le romancier. Malgré tout, Czyba affirme que « ce personnage féminin, toutefois, ne constitue qu’une image dégradée de ce que fut Flaubert » (Czyba, 1983 : 112).

Il est évident qu’il existait une relation entre Emma et le romancier, une relation qui n’est pas très étroite mais qui, d’après Biasi apparaissait de temps en temps lorsqu’il rédigeait Madame Bovary. C’était comme une sorte de « projection, l’essai de réalisation fantasmatique de cette part féminine que Flaubert sent en lui-même » (Biasi, 2009 :166). D’autre part, l’auteur a attribué à son héroïne un caractère viril pour exprimer, peut-être, son caractère masculin à travers Emma et refléter d’une manière indirecte sa personnalité et « sa propre identité sexuelle » (idem). Emma est une femme qui n’a pas eu de chance en amour, elle épouse Charles sans l’avoir aimé et même dans ses relations extraconjugales, elle n’est pas heureuse. De la

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même façon, Flaubert rencontre Louise Colet à Paris qui devient sa maîtresse : « Tu es bien la seule femme que j’aie aimé et que j’aie eu » ( Lettre á Louise Colet, cité par Biasi, 2009 : 96).

Il va y retourner de temps en temps pour la rencontrer et cet amour à distance nous rappelle les escapades d’Emma vers Rouen pour rencontrer son amant Léon.

La correspondance entre Flaubert et sa maîtresse Louise Colet nous révèle des secrets de la vie et des sentiments du romancier que peut-être il n’aurait pas voulu qu’on connaisse. Flaubert rêvait d’une perfection dans son écriture. Cette lettre envoyée à Louise nous décrit ses rêves et ses sentiments :

J’ai fait depuis que tu m’as vu vingt-cinq pages net (vingt-cinq pages en six semaines), et elles ont été dures à rouler, je les lirai demain à Bouilhet. Quant à moi, je les ai tellement travaillées, changées, maniées, que pour le moment je n’y vois que du feu ; je crois pourtant qu’elles se tiennent debout. Tu me parles de tes découragements : si tu pouvais voir les miens ! Je ne sais pas comment quelquefois les bras ne me tombent pas du corps de fatigue et comment ma tête ne s’en va pas en bouillie. Je mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure, et où je n’ai rien pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente qui pleure quelquefois d’impuissance, mais qui est continuelle […]. (Cité par Dumesnil, 1968 :39).

Nul doute que le romancier ressemble en quelques points à son héroïne. Emma Bovary rêvait d’une vie parfaite semblable à celle qu’elle a lue dans ses livres. De même, Flaubert rêvait d’une écriture parfaite. La nervosité, l’ennui et le manque de joie dans la vie de l’auteur sont sans doute les caractères principaux qu’il a attribués à son héroïne. Elle plongeait dans ses romans pour se débarrasser de l’ennui, autant que Flaubert dans ses écritures. Il écrivait car il aimait son travail « d’un amour frénétique et perverti » (idem). L’insatisfaction, l’ennui, les rêves, les maladies nerveuses caractérisaient la vie du romancier. Cependant Madame Bovary n’était pas la première œuvre où Faubert parle de ces traits de caractères. Dans ses écrits de jeunesse, déjà l’ennui était un thème très présent sans compter qu’il se retrouve dans L’éduction sentimentale plus tard. Ce Bovarysme qu’on trouve dans Madame Bovary existait déjà dans les Œuvres de jeunesse de Flaubert, où il décrivait l’un de ses héros comme suit :

Sa vie, jusqu’à présent, avait été une vie plate et uniforme, resserrée dans des limites précises, et il se croyait né pour quelque large existence, toute remplie d’aventures et de hasards imprévu pour les combats, pour la mer, pour des voyages perdus, pour des courses énormes à travers le monde. (cité par Gothot Mersch, 1966 :66).

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Dans ce passage, on constate que, déjà, le héros dans une des Œuvres de jeunesse avait des désirs illimités, voire impossibles. Il ne se rendait pas compte des limites qui lui étaient imposées par la réalité de la situation, de son existence. Dans cet état de choses, consciemment ou non, il se créait une réalité, de celles que n’arrête aucun obstacle, de celles qui lui donne la possibilité de faire ce qu’il veut, de traverser les barrières de l’impossible ; cette réalité réside, chez lui, dans le pouvoir du rêve et de l’imaginaire. Cette « fuite dans l’imaginaire » est l’un des symptômes du bovarysme que Flaubert avait déjà traité avant Madame Bovary. L’auteur avait une relation étroite avec le bovarysme dans ses créations littéraires. Ce thème est non seulement omniprésent dans les œuvres de Flaubert, mais aussi dans toutes les sociétés. Le caractère inventé par l’auteur devient un caractère universel et ne se réduit pas à Emma Bovary.

Dans une lettre envoyée à Louise Colet, Flaubert écrit :

Tout ce qu’on invente est vrai, sois-en sûre. La poésie est une chose aussi précise que la géométrie. L’induction vaut la déduction, et puis, arrivé à un certain point, on ne se trompe plus quant à tout ce qui est de l’âme. Ma pauvre Bovary, sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même. (Pensées de Gustave Flaubert. S.i).

Madame Bovary représente, pour l’auteur, toutes les femmes de France et peut-être celles du monde entier, en particulier dans cette période historique où la femme était considérée, par l’homme, comme un objet possédé, un être fait uniquement pour les activités ménagères, l’éducation des enfants et la procréation. A l’exception de quelques cas, les femmes étaient toutes des « Bovary » qui souffraient en silence, ne pouvaient aspirer à la liberté, ne pouvaient même pas fréquenter les salons littéraires ou scientifiques connus à l’époque. Elles obéissaient à leur mari, et ce comportement passif était une qualité très appréciée chez une femme. Par contre, Emma transgressait cette règle, elle voulait s’assimiler aux hommes et montrer qu’elle était au-dessus des usages de l’époque. Il semble que le romancier s’attaque indirectement à la société de l’homme, à travers le personnage de l’héroïne. Il veut montrer que la femme, elle aussi, est un être sensible, qui a des désirs, des passions, des fantasmes, des émotions et que si on voulait les étouffer, chez elle, elle pourrait prendre sa revanche de plusieurs façons.

Conclusion

Le personnage d’Emma Bovary semble être instable et très complexe. Il reflète l’âme d’une

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femme rêveuse qui se sent mal placée dans le temps et dans la société où elle vit. En effet, Emma est une femme qui aspirait à la libération dans une époque où le rôle des femmes se réduisait aux tâches domestiques, telles que s’occuper, à la fois, du mari, des enfants et des activités ménagères. Or, Emma aspirait à une vie idéale comme celles des héroïnes de ses romans, mais malheureusement, elle se confrontait à une réalité toute autre qu’elle ne pouvait pas supporter. De là est né chez elle, ce fameux sentiment d’insatisfaction.

Le thème de l’insatisfaction est un thème très présent dans le personnage d’Emma. Il nous amène à nous poser la question : d'où vient cette insatisfaction qui abîme à la fois, sa vie et celle de sa famille ? Emma est née dans une société où la femme n’avait droit qu’aux rêves. Elle ne pouvait devenir ce qu’elle voulait être, elle était condamnée à faire face à cette réalité décevante.

Une réalité qui la poussait à se rebeller d’une manière passive non seulement contre la réalité sociale de son époque, mais aussi contre elle-même. Cette rébellion passive s’est d’abord concrétisée par l’adultère d’une part, contre ce mariage qui était à l’origine de ces frustrations et, d’autre part contre un système social établi où l’homme faisait la loi et la femme n’avait qu’à obéir. À la fin elle s’est vengée d’elle-même en se suicidant.

Une autre raison qui explique l’existence de son insatisfaction, est son éducation qui était façonnée par des livres romantiques qui l’avaient isolée de son milieu social d’origine. Un monde où tout est possible et où il n’y a pas de limites ni de tabous. La souffrance de l’héroïne n’est qu’un échantillon de la souffrance des femmes à l’époque : « Ma pauvre Bovary, sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même ». (cité par Dumésnil, 1968 :10).

Nous pouvons conclure qu’il existe un lien entre Flaubert et son héroïne. Il semble que l’auteur ai choisi ce personnage pour dire ce qu’il n’a pas pu dire lui-même et d’ailleurs la parution du livre Madame Bovary lui a valu un procès, sous prétexte qu’il voulait corrompre les mœurs.

L’auteur dévoile la situation de la femme à l’époque et l’injustice qui s’exerçait sur elle non seulement de la part de l’homme, mais aussi des gens d’Église, cette Église qui constituait le seul endroit où la femme pouvait recevoir une instruction et une éducation. Mais quelle éducation ? Celle qui consistait à préparer les filles pour être obéissantes à l’autorité maritale.

Celle qui les éloignait de la réalité, qui les faisait vivre dans une autre dimension qui n’était qu’imaginaire, c’est-à-dire celle des romans.

Certes, cette entreprise osée par l’auteur était épineuse. et il le savait bien, mais c’est justement cette œuvre qui lui a valu sa renommée. Flaubert voulait peut-être éveiller les consciences qui changeraient cette société où presque toutes les femmes étaient des madame Bovary. Et elles le

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sont toujours, aujourd’hui, quelque part dans le monde. Le problème n’est pas encore totalement résolu. D’autres auteurs, tels que Flaubert, doivent prendre la relève.

Une étude du style indirect libre, utilisé par Flaubert lui-même et auquel il recourt à de maintes reprises dans Madame Bovary, pourrait nous en apprendre davantage sur les liens entre l’œuvre et son auteur.

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