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Le roman historique contemporain est-il convaincant ?: Une analyse sur l'interaction entre la fiction et le factuel dans trois Prix Palatine

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Academic year: 2022

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Magisteruppsats

Le roman historique contemporain est-il convaincant ?

Une analyse sur l’interaction entre la fiction et le factuel dans trois Prix Palatine

         

Författare: Caroline Ekström-Sotto Handledare: Liviu Lutas

Examinator: Kirsten Husung Termin: VT 2015

Ämne: Franska Nivå: Avancerad nivå Kurskod:  4FR2E

 

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Abstract

The focus of this study is to analyze in what way the historical novel can be convincing and if the interaction between fictional and factual narration within this genre influences the degree to which it can be convincing. The three novels chosen are Les Naufragés De L’Île Tromelin by Irène Frain, Les Enfants d’Alexandrie by Françoise Chandernagor and Bison by Patrick Grainville, for which all three authors received Le Grand Prix Palatine. In the introduction are presented the general characteristics of the genre as well as its capability of being convincing, outlining that there is a possibility for a fictional work to seem more convincing than a purely factual one. Also defined are differences between the contemporary and the classical historical novel. This is done in order to take into account in the analysis what might be learnt from the contemporary historical novel.

The theoretical framework consists of the semantic definitions of fictional versus factual narration as presented by Jean-Marie Schaeffer, as well as theory of how the reader’s immersive experience enables ontological crossings. What the analysis is able to show is that all three novels include four types of truth claims, that the reader can be convinced of all four and that this conviction is connected to the context to which the reader associates the historical/literary character. The analysis also brings forth what can be thought of as the historiographical pact, a term analogous with Philippe Lejeune’s term ‘the autobiographical pact’, which establishes a referential link with history. What is in the end considered the most convincing literary device is the inclusion of factual markers referencing real-world sources.

In all three novels, it is also possibly to identify truth claims concerning human nature.

Key words: contemporary historical novel, truth claim, immersion, factual narration, fictional narration, ontological metalepsis.

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La Table des matières

1 Introduction____________________________________________________________ 4 1.1 L’objectif_________________________________________________________ 4 1.2 But et méthode_____________________________________________________ 5 1.3 Le roman historique classique et le roman historique contemporain____________ 6 2 Cadre théorique_________________________________________________________8

2.1 La définition sémantique de la narration fictionnelle et de la narration factuelle__ 8 2.2 L’immersion______________________________________________________ 12 3 Analyse sur l’interaction entre la fiction et le factuel_________________________ 14

3.1 Les descriptions avec des trous ontologiques____________________________ 14 3.2 Les vérités référentielles au monde réel________________________________ 19 3.3 Les personnages à la fois littéraires et historiques________________________ 23

3.3.1 Castellan_________________________________________________ 23

3.3.2 Séléné___________________________________________________ 25

3.3.3 George Catlin_____________________________________________ 27

4 Conclusion___________________________________________________________ 30

Références______________________________________________________________ 32

Annexe________________________________________________________________ 34

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1 Introduction 1.1 L’objectif

L’objet de l’étude de ce mémoire est d’analyser comment dans le genre du roman historique interagissent l’Histoire (l’écriture sur le passé réel) et la fiction, « [p]roduit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité » (Trésor de la langue française). Au fond cette analyse est faite pour répondre à la question de savoir : Comment le récit fictif qui représente l’Histoire peut-il être convaincant et est-ce que l’interaction entre la fiction et le factuel influence la façon dont le récit arrive à convaincre ? Nous prenons aussi en compte à quel degré le lien qui existe entre la fiction et le réel (ici définit comme le plan où existe le lecteur) influence la réception quand il est possible pour le lecteur de se sentir ‘transporté’ dans la fiction.

Les trois livres choisis sont Les Naufragés de l’Île Tromelin (2009) par Irène Frain, Les

Enfants d’Alexandrie (2011) par Françoise Chandernagor et Bison (2014) par Patrick

Grainville. Pour ces trois romans chaque auteur a reçu le Grand Prix Palatine. Ce prix est distribué selon les critères suivantes: « une grande rigueur historique, un sens aigu du romanesque et une évidente qualité littéraire » (palatine.fr). Ces critères-là pointent vers une fusion d’une bonne qualité entre l’Histoire et la création littéraire, à savoir pourquoi les livres étudiés ont été choisis.

Comme cette analyse sera faite dans le champs du genre du roman historique, il faut se poser la question : quels sont les traits du roman historique ? D’abord, selon Heta Pyrrhönen (2007), un genre littéraire est un groupement de textes qui ont en commun certains traits et caractéristiques. La notion du genre suggère qu’il est possible de décrire des textes en dégageant des composants textuels qui le classifient. En outre, ‘genre’ dirige la façon dont les textes sont écrits, lus et interprétés. Ces conventions génériques sont normatives. Elles décident ce que les auteurs peuvent et ne peuvent pas faire. Pyrrhönen constate aussi que

‘genre’ permet une évaluation des œuvres littéraires (2007 : 109).

Névine El Nossery (2009) présente les traits généraux du roman historique ainsi : premièrement, le genre se caractérise par la présentation des personnages et des événements empruntés à l’Histoire ; deuxièmement, la logique narrative (le sujet du livre, les descriptions, la focalisation et les plans narratifs) reste la création de l’auteur ; finalement, elle note que grâce à la conformité des événements de l’œuvre fictive à « une logique de l’Histoire », le roman historique « pourrait paraître plus authentique qu’un manuel historique » (2009 : 274).

De son côté, Isabelle Durand-Le Guern soulève le degré d’information référentielle qui existe

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dans l’intersection entre le roman et l’Histoire : « un roman historique est un roman, c’est-à- dire un récit fictif, qui intègre à sa diégèse une dimension historique. Sa première particularité serait donc sa dimension référentielle, dans la mesure où la réalité vécue vient nourrir le récit proposé » (2008 : 9). La dimension référentielle doit être comprise comme : référentielle à notre monde, donc opposée à la fiction dans le sens ‘venu de l’imagination’. Deux remarques faites sont importantes à soulever pour cette recherche : qu’une œuvre fictive peut paraître plus fiable qu’une œuvre factuelle et qu’il existe une « dimension référentielle ». Durand-Le Guern ajoute que « [l]’enjeu essentiel du roman historique est bien celui de la représentation.

Il s’agit de faire voir, de faire comprendre le passé » (2008 : 91). Il est problématique de constater que l’enjeu d’un roman est ‘de faire comprendre’. Plutôt, il est important de constater que l’imagination est capable de construire une image ou une représentation du passé, qui le rendrait ‘vivant’.

Notre hypothèse est que l’interaction entre la fiction et le factuel établie un lien entre le monde fictif et le ‘réel’ en incluant des vérités qui sont référentielles à notre monde. Cela influence la réception parce que cela rend en quelque sort le récit fiable ainsi que l’élément d’instruction qui est attribué au roman historique.

1.2 Le but et méthode

Le but est d’analyser comment l’interaction entre la fiction et le factuel influence la réception possible de l’ouvrage, ainsi que d’analyser à quel point cette même interaction influence dans quelle mesure l’ouvrage peut être convaincant.

Premièrement, sera présenté le genre du roman historique contemporain. Plus précisément, les différences entre le roman historique classique et le roman historique contemporain pour cerner les traits spécifiques des trois livres analysés. Deuxièmement la définition sémantique de Jean-Marie Schaeffer sera mise à l’examen pour clarifier les types de prétention à la vérité qui sont possibles en parlant de ce genre en exemplifiant par regarder les livres analysés. Troisièmement, l’immersion sera discutée dans le but d’extraire comment c’est possible pour un lecteur d’entrer dans les pages d’un récit fictif et de souligner qu’il existe des frontières ontologiques qui séparent le plan réel et le plan ‘imaginé’/’fictif’.

Finalement, l’analyse profonde de l’interaction entre la fiction et le factuel se fera en trois

parties : La création du monde fictif, les prétentions à la vérité référentielle au monde réel et

la représentation des personnages à la fois littéraires et historiques.

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1.3 Le roman historique classique et le roman historique contemporain

Une clarification sur le choix de corpus reste à ajouter pour répondre à la question ‘Pourquoi seulement des romans contemporains ?’ El Nossey (2009) propose que le roman historique classique et le roman historique moderne diffèrent sur plusieurs niveaux. Le premier désaccord concerne le passé et le présent. Le roman historique du XIXe siècle, une tradition dérivée de Sir Walter Scott, était captivé par « le passé, source inépuisable de modèles et d’instruction. En d’autres termes, c’est le passé et non pas l’avenir qui détermine l’Histoire, et qui donne sens à la destinée humaine» (El Nossey, 2009 : 274). Le roman historique moderne est préoccupé par le présent du lecteur : « [l]e passé n’est utile que dans la mesure où il sert à mieux comprendre le présent et aide à trouver des réponses aux questions qui nous concernent » (El Nossey, 2009 : 274). Alors, il y a toujours un élément d’instruction par le passé, mais qui sert à la compréhension du présent.

Le deuxième désaccord concerne la façon dont le roman historique communique avec le

« ‘métarécit’ qu’est l’Histoire » (El Nossey, 2009 : 275). À l’époque de Scott l’Histoire n’était pas encore une science, en d’autres termes pas encore un domaine codifié. Le roman historique était simplement une façon alternative d’éduquer. Cela est une conséquence du fait que le romancier consultait les mêmes sources que l’historien et que leurs travaux ne se différaient que sur le point de la qualité littéraire. Duran-Le Guern (2008) souligne que ce rôle éducatif est central : « [e]n effet, [il] permet de comprendre la portée souvent didactique et morale des romans historiques, et le rôle social qui leur est assigné » (2008 : 21). Regardons Balzac qui se proposait deux exigences : « se différencier des ouvrages historiques et respecter la vérité des faits » (2008 : 90). Unir ces exigences ne laisse pas beaucoup de place pour manœuvrer, constate Duran-Le Guern qui propose une solution : « [l]a liberté se trouve peut-être dans les marges de l’histoire » (2008 : 90). Les marges de l’histoire sont des parties des sociétés peu représentées dans le métarécit, ceux qui manquent de voix : par exemple des femmes et des esclaves. Le roman historique moderne, qui intègre également des éléments éducatifs, utilise plutôt « un métalangage et une critique du discours historiographique » (El Nossery, 2009 : 274) en signalant des lacunes ou des interprétations alternatives de l’Histoire.

Dans les marges de l’histoire les auteures trouvent la porte à ce type de critique.

Le troisième et dernier désaccord concerne le fait que les marges de l’histoire sont plus

marquées dans le roman historique moderne que dans le roman historique classique. Le roman

historique classique s’intéressait plutôt aux grands personnages historiques : « [S]i le roman

historique classique met en scène de grands hommes ou des héros historiques ayant marqué

l’Histoire […] la fiction historiographie contemporain donne souvent voix au peuple, aux

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sujets anonymes […] qui ont subi l’Histoire plutôt d’en être les acteurs. (El Nossey, 2009 : 275). Une raison derrière cette exploration des marges pourrait être la solution proposée par Duran-Le Guern : que les marges laissent beaucoup de place à l’imagination. Une deuxième raison serait l’intérêt du roman historique contemporain de comprendre notre ‘maintenant’ en regardant notre passé (2008 : 90).

Comme il y a donc des traits différents qui séparent le roman historique classique du roman historique contemporain, la classification des textes doit être faite en vue de cela. La particularité intéressante à mettre à l’épreuve est qu’en commentant notre présent par notre passé, le roman historique contemporain arrive à transmettre un message. Le message est le commentaire sur notre présent par notre passé. L’analyse des ouvrages se focalisera donc sur ce ou ces ‘message/messages’ comme présenté(s) dans les livres. Est-ce que le/les message(s) est/sont convaincant(s) et pourquoi ? Est-ce que l’interaction entre la fiction et le factuel influence le/les message(s) ?

Avant de continuer l’exploration de ces questions, il nous semble important de soulever des traits de ce genre qui sont communs avec ceux du genre autobiographique et biographique, tel que défini par Philippe Lejeune. La ressemblance la plus saillante est la dimension référentielle qui existe dans les trois genres.

Les trois genres traitent la même difficulté : la représentation du passé. La représentation du passé commence, comme constate Paul Ricœur, avec la récollection : la mémoire (2009 : 730). Où, dans la représentation de la mémoire, est-ce qu’il y a de la place pour la fiction ? D’après Lejeune, la fiction est exclue de l’autobiographie parce que les personnes qui connaissent l’auteur, peuvent signaler des mensonges dans le récit (1975 : 30).

Lejeune constate donc que la frontière entre la fiction et la vérité référentielle est le mensonge. Par contre, la mémoire n’est pas parfaite et il y a la possibilité qu’on ne se souvienne pas de la vérité ‘absolue’ du passé. L’autobiographie fait alors une recherche dans la mémoire qui a la possibilité d’être plus ou moins vraie, c’est-à-dire : sans ou avec mensonges.

Le pacte autobiographique concerne l’accord entre le nom du personnage principal, le

narrateur et l’auteur. Il faut, selon Lejeune, qu’ils partagent le même nom (Lejeune, 1975 :

35). Considérons le nom d’un personnage historique, comme par exemple Cléopâtre, juste par

employer ce nom un romancier fait référence à l’Histoire parce que ce nom existe dans les

pages des manuels historiques. Il existe dans ces pages-là parce qu’elle a vécu et laissé des

traces, des sources, qui confirment son existence. Il y a un lien référentiel avec l’Histoire par

ce renvoie, juste par employer le même nom. Est-ce que c’est par ce type de référence que le

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roman historique est, précisément, historique ? Par contre, ce n’est pas tout à fait correct de comparer avec l’autobiographie qui concerne l’auteur, mais il faut plutôt regarder le genre biographique, où il est possible de vérifier les références avec ‘l’épreuve de vérification’

(Lejeune, 1975 : 36).

Lejeune introduit ici le ‘pacte référentiel’ qui peut être implicite ou explicite. Au fond de ce pacte il y a l’assomption que l’œuvre en question essaie de décrire la réalité et qu’on peut donc mettre l’œuvre à l’épreuve sur la validité des informations là-dedans (Lejeune, 1975 : 36). Quant au roman historique, comme nous avons déjà constaté, il s’agit de représenter l’Histoire de manière vraisemblable, alors l’épreuve de vérification semble applicable à ce genre. Le pacte ‘historiographique’, nous pouvons proposer, serait que le récit soit référentiel à l’Histoire. Dans cette recherche je vais examiner si le ‘pacte historiographique’ se base sur l’inclusion de citations et de références dans les trois romans choisis. Nous approchons ici aussi la question du vrai.

Lejeune soulève trois critiques, André Gide, François Mauriac et Albert Thibaudet, pour discuter la question de fiction et le type de vérité qu’elle soulève. Ces trois auteurs postulent que la fiction est plus proche de la vérité de la condition humaine que la biographie, comme la mémoire contient des trous, une reproduction exacte de la vie n’est pas possible (Lejeune, 1975 : 41). Par contre, la fiction pourrait faire naître une expérience émotionnelle chez le lecteur, donc capter une ‘vérité’ émotionnelle. Il est aussi possible pour la fiction de capter en mots une vérité que le lecteur, pas chaque lecteur bien-sûr, a senti mais jamais été capable de rendre explicite. Ce genre de vérité concerne la condition de l’humanité. La définition sémantique de Schaeffer sera problématisée parce que le roman historique unit le factuel, la prétention à la vérité référentielle du monde réel et la fiction, la prétention à la vérité du monde fictif. Selon ces théoriciens, la dernière prétention concerne la vérité émotionnelle et humaine, cela est bien la conclusion si on suit cette logique.

2 Cadre théorique

2.1 La définition sémantique de la narration fictionnelle et de la narration factuelle

Les deux acteurs qui représentent le passé, le romancier et l’historien, ont deux buts

différents, même si les deux emploient l’outil qu’est la narration. Leurs narrations différentes

sont de type fictionnel et factuel. Jean-Marie Schaeffer présente des définitions de la narration

fictionnelle ainsi que factuelle dans « Fictional vs. Factual Narration » (2013). Il souligne

toutefois que le degré d’opposition entre les deux types est encore débattu. Il y a, constate-t-il,

trois définitions majeures : la définition sémantique, la définition syntactique et la définition

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pragmatique. La première définition, la définition sémantique, postule que la narration factuelle est référentielle tandis que la narration fictionnelle ne l’est pas, pas au monde réel.

Pour clarifier : la fiction a un système de références dans l’œuvre fictionnelle. Ces prétentions à la vérité

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sont référentielles seulement dans le monde fictif et non dans le monde réel.

Schaeffer vise un problème débattu qui touche à notre sujet : le fait que le roman historique

« contain[s] a fair amount of factual information » (Schaeffer, 2013), donc de l’information référentielle à notre monde et pas à un univers fictionnel n’existant qu’entre les pages du livre même. Cette problématique sera discutée dans le but de préciser quels types de prétentions à la vérité font les trois romans choisis.

La définition postule, encore, que la narration factuelle est référentielle au monde réel tandis que la narration fictionnelle ne l’est pas (Schaeffer, 2013). Il s’agit de deux types de prétentions à la vérité. La narration factuelle présente des prétentions à la vérité référentielle au monde réel, un exemple de ce type de prétention serait ‘X écrit cela, alors c’est l’opinion de X’. La vérité, que cela est l’opinion de X, est donc dépendante de l’existence d’une référence dans le monde réel. La narration fictionnelle n’emploie pas des prétentions à la vérité de ce type selon cette définition. Il s’agit d’une prétention à la vérité du monde fictif, et qui n’existe qu’entre les pages du livre où il y a un système référentiel unique pour le roman en question.

Dans Les Enfants d’Alexandrie, à propos de la personnalité de Marc Antoine, Chandernagor écrit : « Antoine peut être diplomate, mais c’est d’abord un soldat » (2011 : 89). La question se présente : est-ce que le nom du Romain fait référence au romain du livre où au romain de l’Histoire ? Selon « [t]he principle of ‘minimal departure’ » (Schaeffer, 2013) le nom propre fait référence au Romain ‘personnage historique’ parce que ce principe postule que le lecteur interprète le message d’un monde proposé en recréant ce monde aussi proche du monde réel que possible. Par contre, « the holism of the possible worlds approach » suggère que le nom fait référence au Romain personnage littéraire uniquement parce que ce nom fait référence à un monde possible, parallèle au nôtre (Schaeffer, 2013). Schaeffer soulève que cela semble paradoxal concernant le roman historique parce que, comme il constate : il est important pour le lecteur d’un roman historique que « les noms propres qui font référence aux personnages historiques, vraiment font référence aux personnages historique comme il les connaît en dehors de la fiction » (Schaeffer, 2013). Malheureusement, Schaeffer ne développe pas pourquoi cela est important, mais il est clair qu’un roman                                                                                                                

1

Traduction de ’truth claim’ après avoir consulté http://www.linguee.fr/anglais-

francais/traduction/truth+claim.html.

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historique ne peut pas être historique justement, sans faire référence à l’Histoire. Ce lien référentiel est le pacte historiographique, pour employer le terme lejeunien.

Arrêtons-nous un moment pour constater que le nom propre, Marc Antoine, a trois références : une entre chaque mention du Marc Antoine dans le livre même, une entre la représentation fictive du Marc Antoine et le métarécit qu’est L’Histoire où existe aussi ce nom, et entre le récit fictif par l’Histoire et le passé réel. Quant aux personnages qui ont des références dans l’Histoire, il existe donc un lien possible au passé ‘réel’. Le passé ‘réel’ est compris ici comme la prétention à la vérité ‘C’était comme cela’. Il y en a donc trois prétentions possibles à discuter quant au roman historique contemporain : ‘C’était comme cela’ (prétention à la vérité du réel), ‘Parce qu’il y a cette référence, c’était comme cela’

(prétention à la vérité référentielle au monde réel) et ‘Je m’imagine que c’était comme cela’

(prétention à la vérité du monde fictif).

Pour faire le lien entre l’historiographie, qui est la narration factuelle de l’Histoire, et la définition sémantique il est pertinent de soulever le propos de Lubomír Doležel dans Possible

Worlds Of Fiction and History : The Postmodern Stage (2010 : 37-39). Il postule que la

narration factuelle peut être distinguée de la narration fictionnelle par le type de trous que les deux laissent. Les trous dans la narration historiographique sont épistémologiques et peuvent être remplis par de nouvelles sources ou de nouveaux arguments. Les trous dans la narration fictionnelle, par contre, sont ontologiques, comme il n’y a pas de référence hors du monde fictif. Mais, où s’arrête le monde fictif ? Deux des trois romans incluent à la fin une banque d’information : dans Les Naufragés De L’Île Tromelin il y a un postface de Max Guérout :

« La mission archéologique de Tromelin » ; dans Les Enfants d’Alexandrie il y a une note de l’auteur où Chandernagor explique certains choix qu’elle a faits en représentant le monde d’antiquité dans son œuvre.

Le texte de Guérout, n’est d’abord pas écrit par Frain qui note : « CE LIVRE EST BASÉ SUR DES FAITS RÉELS historiquement mis à jour par MAX GUÉROUT » (Frain, 2009 : c’est l’auteur qui souligne). Il est aussi marqué ‘Roman’ dans une boîte sur la couverture. L’inclusion du texte de Guérout donne une référence hors du monde fictif. Est-ce qu’il s’agit de se présenter comme un roman qui contient un récit historiographique plus qu’un récit fictif ? La réception de l’œuvre devient ainsi très importante parce que finalement, il revient à chaque lecteur de répondre à la question de savoir si le livre, comme expérience littéraire, est perçu comme ‘vrai’/’convaincant’.

Chandernagor, pour sa part, n’inclut pas de texte d’un autre auteur, mais trace de

manière structurée où elle s’est dirigée pour reconstruire en mots le monde de l’Antiquité.

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Elle inclut des notes en bas de la page, renvoyant aux références hors du monde fictif et souligne que pour les trois livres de la série « [c]ertaines sources étant communes aux trois volumes de ce roman, l’ensemble de la bibliographie est rapporté à la fin du troisième volume » (Chandernagor, 2011 : 401). Pourquoi inclure une bibliographie, quelle est sa fonction ? Une bibliographie indiquerait un travail rigoureux pour représenter une époque historique, le seul bénéficiant étant le lecteur. Donc, la réception reste un point de départ pour répondre à la question comment et de quelle manière le roman historique peut être convaincant.

Les deux livres problématisent la position qu’un livre fictif ne communique pas directement avec le monde réel, qu’il n’en fait pas partie. Un trait spécifique du genre est qu’il communique avec l’Histoire, le métarécit. Le principe de « minimal departure » (Scheffer, 2013) : projeter le monde réel sur le monde fictif, serait une position plus proche que « the holism of possible worlds approach » (Schaeffer, 2013) de la discussion autour de ces deux livres et il pourrait aussi aider à expliquer comment un roman arrive à paraître plus « authentique qu’un manuel historique » (El Nossey, 2009 : 274). Le propos est simple : en projetant le monde réel sur le monde fictif, le lecteur unit deux mondes, ou essaie de le faire. Dès que cela est fait, comment défaire cet enchevêtrement ? Cette question pousse vers un besoin d’examiner l’expérience de lecture possible en lisant un roman. Une expérience qui va être discutée en bas dans la section ‘immersion’.

Pour exemplifier le lien entre le réel et la fiction, dans Les Naufragés de l’Île Tromelin, Irène Frain inclut cette carte de l’île

2

:

                                                                                                               

2

Frain, 2009 : 197

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La carte est expliquée, c’est-à-dire le narrateur remarque comment elle a été composée. Il y a une référence et une comparaison avec une autre carte, ce qui indique un travail de diligence pour représenter les images de l’île de manière juste. La carte elle-même est une copie de l’île de Tromelin, nommée antérieurement l’île de Sable et un peu plus tard l’île de France. Cette île existe, donc la carte est une copie de la réalité. Séparer l’image de l’île du reste du livre, traiter cette partie séparément est difficile, car l’île est la place où l’histoire se déroule, elle est en plus présentée avec des descriptions détaillées. Assumons que le lecteur peut se former une image d’après ces descriptions uniquement, les cartes renforcent ou contredisent et reforment l’image déjà formée chez le lecteur – il s’agit encore de l’immersion. Quand le lecteur subit cette sensation – entre dans les pages de l’œuvre – quelles frontières ontologiques sont traversées quand il voit la carte ? Est-ce que l’ouvrage devient plus convaincant, plus réel ? La possibilité de l’ouvrage d’être convaincant est la raison pour laquelle il est important d’analyser les types de prétentions à la vérité : au monde réel, référentielles au monde réel et référentielles au monde fictif qui sont inclus dans le récit.

2.2 L’immersion

Selon Maria Angeles Martinez, l’immersion est une description intuitivement correcte de ce qui est nécessaire pour apprécier un récit

3

, dans le sens qui est généralement exprimé par des métaphores comme « READING IS A JOURNEY metaphor; with being “gripped” or

“engaged” – the READING IS CONTROL metaphor; and with “reward” and “value satisfaction” » (2014 : 110, c’est l’auteur qui souligne). Il est possible de s’imaginer le passé par la représentation fictive comme le lecteur a la possibilité de former en image les descriptions en mots dans le récit. L’expérience immersive sera discutée en relation avec la réception possible de la part du lecteur.

Martinez soulève comment un discours est structuré, les niveaux d’existence et la métalepse en relation avec l’immersion. D’après elle, le discours narratif perçu comme une situation de communication, entre par exemple le narrateur et le lecteur réel, intègre plusieurs niveaux de représentation : chacun avec son destinateur/adressant et destinataire/adressé

4

, séparés par des frontières ontologiques qui empêchent les participants du discours sur un plan existentiel d’interagir avec les participants qui existent sur un autre plan. Cette séparation ontologique entre le monde réel et le monde fictif a été mise à l’épreuve par Marie-Laure                                                                                                                

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Elle utilise le concept anglais de ’narrative’.

4

Elle emplie les termes ’adressor’ et ’adressee’.

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Ryan qui étudie le concept de la métalepse dans Avatars of Story (2006). Martinez la cite pour extraire sa définition de la métalepse ontologique : « In a narrative work, ontological levels will become entangled when an existent belongs to two or more levels at the same time, or when an existent migrates from one level to the next, causing two separate environments to blend » (2014 : 112).

.

Pour répondre à la question de savoir si l’ouvrage est convaincant et comment, il est important d’analyser si un ‘existant’ pourrait à la fois être personnage historique et personnage littéraire, une représentation convaincante sur deux plans donc : dans le monde fictif et dans l’Histoire. Cette question sera mise à l’épreuve par examiner les lectures possibles et les convictions possibles puisque c’est le lecteur qui est ou qui n’est pas convaincu.

Lisa Zunshine (2006) soulève les interactions des lecteurs avec l’œuvre fictive en relation avec la théorie de l’esprit

5 dans Why We Read Fiction: Theory of Mind and the Novel.

La théorie de l’esprit nous explique notre aptitude à interpréter ‘l’état d’esprit’ d’une autre personne en observant son comportement (2006 : 6). C’est-à-dire que les actions d’un individu disent quelque chose sur son état d’esprit – on voit une personne en train d’acheter un sandwich et on suppose qu’elle a faim. Zunshine affirme que « [a]ttrbuting states of mind is the default way by which we construct and navigate our social environment, incorrect though our attributions frequently are » (2006 : 6).

Ce processus est fait inconsciemment et ne cesse pas parce que notre « architecture cognitive évoluée nous ‘pousse’ vers apprenant et pratiquant la lecture de l’esprit tous les jours, a partir du début de l’état/l’âge de conscience » (Zunshine, 2006 : 7). En plus, dans le champ de l’anthropologie cognitive, les chercheurs sont de plus en plus conscients que cette aptitude est particulière pour chaque contexte social différent. Par exemple, même si on attribue des « mental states » (Zunshine, 2006 : 6) aux personnages littéraires par le même processus cognitif comme aux personnes réelles, on reste conscient du fait qu’ils existent dans un domaine fictif et ne sont pas vivants.

Le propos qu’on lit l’esprit de l’autre de la même manière pour des personnages fictifs que pour des personnes réelles, mais en les séparant contextuellement, supporte la définition sémantique selon Schaeffer (2013) de la narration fictionnelle qui postule qu’il y a un système de références dans l’ouvrage même qui ne traverse pas des frontières ontologiques et qui est unique pour le domaine fictif. La séparation semble donc être distincte entre l’univers d’une œuvre de fiction et l’univers réel. Encore une fois, cette séparation n’est pas aussi claire                                                                                                                

5

Traduction du terme ’Theory of Mind’ après avoir consulté ce site:

http://dictionnaire.reverso.net/anglais-francais/Theory%20of%20Mind

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quand il s’agit du roman historique contemporain parce que, pour employer l’exemple déjà mentionné, Marc Antoine fait référence au personnage historique qui appartient au monde réel et à l’Histoire. Il n’y a donc qu’une distinction à faire : celle entre Marc Antoine du métarécit et Marc Antoine, personne réelle et morte. Vu de cette perspective, l’enjeu n’est pas la représentation du Marc Antoine dans l’œuvre de Chandernagor, convaincante ou non, mais où le lecteur place ce personnage, c’est-à-dire dans quel contexte : dans l’univers du texte- même, dans le métarécit ou dans le passé réel. Le lien entre ces trois contextes est le nom

‘Marc Antoine’, comparable donc au pacte autobiographique, ici le pacte historiographique, un pacte qui établit à la base une référence entre le personnage littéraire, historique et réel.

L’expérience d’entendre les pensées d’un personnage littéraire est présentée par Tony E. Jackson dans The Technology of the Novel : « we seem to receive another’s thoughts without their having passed through even the intervening medium of speech. We seem to

‘hear’ another’s thoughts, just as we ‘hear’ our own” (2009 : 21). Donc, selon Jackson, la lecture est la façon la plus proche de lire l’esprit de l’autre (d’entrer dans les pensées de quelqu’un d’autre). Cela sera problématisé quand Patrick Grainville inclut les mots, les citations, venus des sources historiques pour présenter ses personnages. Encore, il s’agit de savoir dans quel contexte le lecteur pourrait placer ces citations : dans le réel passé, dans l’Histoire et dans le monde fictif. Cela sera aussi discuté par rapport à la notion de Ryan qu’un existent peut migrer entre des frontières ontologiques et dans ce sens se trouver à plusieurs niveaux simultanément. Puisque le passé doit, lui aussi, être imaginé, le lecteur peut migrer à travers le personnage sur les trois plans mentionnés, et être ainsi convaincu sur ces trois plans.

3 Analyse sur l’interaction entre la fiction et le factuel 3.1 Les descriptions avec des trous ontologiques

Les descriptions avec des trous ontologiques aident à la création de la « scène » où se déroule l’histoire du livre et elles n’ont pas de référence au monde réel, comme propose Doležel (2010 : 37-39). Donc ce type de description est une prétention à la vérité du monde fictif. Elle est l’outil qu’emploie l’auteur dans le but de construire le monde fictif et non dans le but de représenter l’Histoire, et une marque distincte de la narration fictionnelle parce qu’elle présente une image complète sans trous épistémologiques. Ryan constate que « [fiction] must create a world by means of singular existential propositions » (2006 : 31). Elle continue :

« Though the language of fiction is often indistinguishable from the language of nonfiction,

the reader’s recognition of the author’s act of pretense protects him from taking the assertions

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within the text as information about the real world » (2006 : 32-33). La question examinée dans cette partie est à quel point ces descriptions peuvent être convaincantes. Il s’agit non seulement de la création d’un monde fictif vraisemblable mais aussi de transmettre quelque chose au monde réel. Rappelons-nous que ce genre a eu un rôle éducatif, qu’il possède toujours dans le sens où il aspire à élucider notre présent, comme le postule El Nossey (2009 : 274).

Regardons d’abord une description des tortues qui reviennent chaque année à l’île Tromelin, leur place de naissance, pour pondre leurs œufs. Le narrateur signale que c’est un comportement étrange parce que les premiers moments des tortues bébés sont périlleux à cause de tous les prédateurs qui les mangent : « Le carnage est effroyable. Très peu de nouveau-nés s’en sortent » (Chandernagor, 2009 : 19). Le narrateur souligne que le massacre des bébés se répète : « Six, huit, parfois dix fois de suite dans la même saison. Tous les treize jours, ponctuellement, à l’endroit exact où une faune avide s’est acharnée à trucider les siens.

Et encore là que, deux moins après la ponte, ses petits seront eux-mêmes exterminés » (Chandernagor, 2009 : 20). D’un côté, cette description contient une vérité référentielle au monde réel, le comportement de ces créatures qui peut être vérifié dans le monde réel. De l’autre côté c’est aussi une description qui questionne. La question sous-entendue est : Pourquoi retourner à l’endroit où les tortues savent que le destin de la plupart de leurs bébés sera la mort ? Cela présuppose que les tortues en sont conscientes, ce qui n’est pas une vérité référentielle à notre monde. Le narrateur soulève pourtant cette observation, pas dans le but de décrire les tortues, mais pour décrire l’île – ses caractéristiques : « Mais c’est aussi cela, l’île.

D’un côté, la cruauté extrême. Et de l’autre, la résistance, l’obstination à vivre. Dans tous les cas, l’acharnement » (Chandernagor, 2009 : 20). Il n’est pas possible de vérifier cette description de l’île dans le monde réel, donc une description avec des trous ontologiques, justement parce qu’elle sert à la construction d’un monde fictif. Il y a donc un système de références unique pour ce récit et cette description est une prétention à la vérité du monde fictif.

Dans Les Enfants d’Alexandrie, il y a une description d’un palais que les souverains ont

appelé le Palais Bleu parce qu’il est situé près de la mer. Déjà le narrateur remarque que cela

n’est pas le nom que les hommes de l’époque employaient. Elle déclare que « les Grecs

d’autrefois ne croyaient pas que la mer fût bleue, ils la voyaient verte ou violette – vineuse,

disait Homère –, mais bleue, jamais » (Chandernagor, 2011 : 21). Le narrateur cherche ainsi

une autre explication pour cette appellation. Elle conclut que c’est grâce aux « tesselles en

pâte de verre qui ornaient les murs » (Chandernagor, 2011 : 21) faites en employant une

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technique égyptienne qui produisait la couleur bleue que ces souverains lui ont donné ce nom.

Cette fabrication était très difficile mais arrivait à « donner aux mosaïques et aux émaux la couleur des plumes du paon, des saphirs ou du lapis. Une couleur porte-bonheur, croyait-on, et dont les riches paraient aussi bien leurs corps que leurs maisons » (Chandernagor, 2011 : 21).

L’emploi du pronom ‘on’ indique que cela était la foi de tout le monde : une généralisation et description avec des trous ontologique car il n’est pas possible de le vérifier dans le monde réel. Et encore, cette couleur « repoussait la mort » (Chandernagor, 2011 : 21).

Il y a donc une magie dans la couleur. Cléopâtre, la mère de Séléné, vit sur une île, Antirhodos, avec Césarion, l’enfant de César. Elle laisse ses jumeaux au cap Lokhais au Palais Bleu et cela est commenté par le narrateur : « le médecin Olympos lui-même croyait le bleu plus profitable à leur santé » (Chandernagor, 2011 : 22). L’implication est qu’il y a une comparaison entre la vue moderne – que la couleur bleue n’est pas magique et que les enfants ont besoin de leur mère contre la vue ancienne : que le bleu magique est plus important que la présence maternelle. Cette comparaison est faite par la généralisation et par la référence aux savants de l’époque, à savoir Olympos. D’un premier plan, il y a donc un élément éducatif, trait spécifique du genre comme souligne El Nossey (2009 : 274). D’un deuxième plan il y a des trous ontologiques parce que cette description décrit la scène où se déroule l’histoire en même temps qu’elle décrit les circonstances de Séléné et son environnement sans la possibilité de vérifier cette prétention à la vérité dans le monde réel, il n’y a que le monde fictif comme source de référence. D’un troisième plan, pour tirer une conclusion sur la vue moderne en conflit avec la vue ancienne sur l’importance de la couleur bleue, il est important que la métalepse ontologique soit faite, comme définit par Ryan (Martinez 2014 : 112). En d’autres termes, le lecteur est obligé de simultanément habiter dans le présent et dans le passé comme représenté dans la fiction pour extraire la différence entre la philosophie moderne et ancienne parce que c’est en appliquant le système de vérité référentielle au monde réel au monde fictif que la différence se présente. La définition sémantique selon Schaeffer ne tient donc pas, parce qu’il est possible pour le récit de transmettre cette différence au lecteur, une information qui peut être considérée comme convaincante aussi dans le monde réel, transportée au plan du lecteur par l’interaction entre la fiction et le factuel : les deux systèmes de prétention à la vérité.

L’importance du bison pour les Indiens est soulignée avec force par le narrateur de

Bison. Les vies indiennes sont encerclées par les objets provenant du bison. Le narrateur ne

laisse pas d’espace pour un autre type de vie : « Tout est bon dans le bison, rien ne se perd.

(17)

[…] On fait l’amour entre les peaux. On naît dans des berceaux de peau. On meurt enseveli sous des manteaux de cuir. Et les rêves sont peuplés de grands bisons solaires. » (Grainville, 2014 : 55) Cette description a des trous ontologiques – parce qu’elle décrit la vie de tout le monde par l’emploi du pronom ‘on’, ce qui n’est pas vérifiable dans le monde réel. Cette description permet au lecteur la possibilité de se former une image de la culture indienne, ce qui facilite la sensation de l’immersion. Le lecteur pourrait donc se dire qu’il comprend l’importance du bison pour les Indiens Sioux sur deux plans par la métalepse ontologique : le plan réel et le plan fictif. Le plan réel est accessible par l’Histoire est la connaissance du lecteur de ce système de prétention à la vérité référentielle au monde réel. Donc, il y a plutôt trois plans : le passé réel, l’Histoire et le monde fictif. Pour clarifier : ‘Le bison était très important pour les vies des Indiens Sioux’, ‘L’Histoire nous dit que le bison était très important pour les vies des Indiens Sioux’ et ‘La fiction me permet de m’imaginer que le bison était très important pour les vies des Indiens Sioux’.

Cette description devient plus importante quand le narrateur révèle que « [l]a nuit, Catlin ne pouvait pas dormir. Il songeait à l’agonie de tous les bisons. En 1832, il était le seul à prévoir l’extinction à venir. » (Grainville, 2014 : 61-62). Une description avec des trous ontologiques. C’est une vérité référentielle à notre monde que les bisons étaient tués en masse mais il serait impossible à déterminer si cette nuit-là, en 1832, Catlin était le seul à le savoir.

Deux descriptions – l’importance du bison pour les Indiens Sioux et la connaissance de

l’extinction de ces animaux – sont irréfutables parce que ces-deux sont vérifiables de la part

du lecteur. Par contre, le propos que tous les Indiens menaient des vies entourés par les objets

provenant du bison et que Catlin était vraiment le seul à prévoir l’extinction des bisons, ces

descriptions ne sont pas des vérités référentielles à notre monde. L’interaction entre ce qui est

référentiel au monde réel et ce qui ne l’est pas a un message sous-entendu : les Indiens, leur

culture, a été détruite par l’extinction des bisons. Cette conclusion est encore dépendante du

fait que le lecteur, dans le présent, applique sa connaissance sur le récit que représente le

passé. La définition sémantique ne tient donc pas comme le lecteur est forcé d’appliquer un

système de références des prétentions à la vérité référentielles au monde réel aux prétentions à

la vérité du monde fictif. Le principe de « minimal departure », comme présenté par Schaeffer

(2013), est donc important parce que sans la connaissance de la part du lecteur sur les deux

vérités référentielles, la conclusion n’est pas convaincante. La métalepse ontologique, encore,

permet au lecteur d’exister dans le présent mais en même temps de migrer vers le monde

fictif. Dans le plan du présent l’extermination est déjà faite, mais dans le plan passé représenté

elle est en train de se produire. Par le principe de « minimal departure » (Schaeffer, 2013), la

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métalepse ontologique facilite l’application du système des prétentions à la vérité référentielle au monde réel au monde fictif.

Qui est donc l’exterminateur des bisons ? Le narrateur donne la réponse :

L’illustre général Sherman, qui mènerait contre les Sudistes de la politique de la terre brûlée, donnera plus tard l’ordre d’exterminer méthodiquement les bisons qui était la ressource alimentaire des Indiens. Les bisons allaient mourir. Ils étaient pour les Indiens le corps du cosmos, ils migraient selon les points cardinaux sacrés, d’est en ouest et du nord au sud. Ils étaient le corps des tribus, des villages, le corps des Indiens. (Grainville, 2014 : 62)

D’abord le titre de l’œuvre Bison semble signaler que tout le livre tourne autour de cette

créature. Par extension les destins des Indiens et des bisons sont liés. Comme si le narrateur

doit justifier son jugement il incorpore les mots de Sherman : « ‘Nous n’allons pas laisser

quelque voleurs indiens dépouiller, contrôler, stopper la progression des chemins de fer. Nous

devons agir avec une sérieuse détermination contre les Sioux, même jusqu’à leur

extermination, hommes, femmes et enfants.’ » (Grainville, 2014 : 63). Encore une fois, il n’y

a pas ici de référence à la source originale mais un lecteur perceptif aurait noté que Sherman

n’écrivait probablement pas en français, que cela est une traduction. Le message des mots

reste clair : tuer des êtres humains pour progresser économiquement à travers les chemins de

fer est préférable à la perte de l’or. Sherman, un blanc, a donc tué les Sioux pour le bénéfice

économique de l’Amérique. Le lecteur qui a la sensation d’être là par la métalepse

ontologique – pourrait-il accepter qu’ils seront tués, ces hommes, femmes et enfants vivants

dans la communication cognitive entre le récit et le lecteur, parce que l’homme blanc veut

détruire la grande prairie où vivent les bisons pour faire avancer les chemins de fer ?

L’instruction, le message, est belle et bien que le progrès économique n’est pas un argument

qui justifie le génocide. Ce message est aussi applicable aujourd’hui : ne tuez pas les hommes

à cause de l’avidité. Cette leçon est reçue par l’interaction entre la fiction et le factuel. La

fiction, parce qu’elle permet la possibilité de métalepse ontologique qui à son tour permet au

lecteur de migrer au plan des Indiens comme les représente la fiction ; le factuel parce que la

vérité référentielle au monde réel que les Indiens et les bisons étaient exterminés est appliquée

au récit. La leçon, que tuer à cause de l’avidité est une crime, est une prétention à la vérité

humaine comme Gide, Mauriac et Thibaudet, ont postulé est la prétention à la vérité que

propose finalement la fiction (Lejeune, 1975 : 41).

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Arrêtons-nous un moment pour une réflexion : Est-ce que Sherman a existé ou est-ce qu’il est inventé par l’auteur ? Si Sherman a existé, il est fortement condamné par ce narrateur. Si Sherman n’a pas existé, cela n’est pas important pour le lecteur parce que le destin des Indiens est connu. Ici Sherman représente l’homme blanc, le colonisateur, l’exterminateur.

3.2 Les vérités référentielles au monde réel

En paraphrasant l’histoire des romans analysés il est possible de conclure qu’ils décrivent aussi des événements historiques, donc des vérités référentielles au monde réel : Les Enfants

d’Alexandrie raconte la vie du seul enfant de Marc Antoine et Cléopâtre qui a survécu la prise

d’Alexandrie ; Les Naufragés De L’Île Tromelin raconte l’histoire de George Catlin pendant ses séjours avec la tribu sioux ; Bison raconte l’histoire des survivants de L’Utile, un navire français qui a fait naufrage sur l’île Tromelin. Quand un auteur décide de présenter un épisode historique, comme

 

déjà proposé, il faut établir un lien référentiel avec l’Histoire : un pacte historiographique. Un exemple d’un tel lien établi est quand est inclut un marqueur scientifique. Des marqueurs scientifiques sont par exemple des références, des citations, des notes en bas de la page et des cartes. Ces marqueurs indiquent qu’il s’agit d’une vérité référentielle au monde réel. Est-ce que l’inclusion de ces marqueurs justifie les présentations des faits historiques et les intentions, volontés et personnalités des personnages historiques ? Est-ce qu’il s’agit d’un degré de tromperie ou est-ce que l’auteur/le narrateur veut de manière honnête souligner que ce détail-là est un détail vérifiable dans le monde réel ? Est-ce que ces marqueurs masquent uniquement la fiction en imitant l’historiographie comme postule Doležel (2010 : 37-39)? Dans ce cas-là, il faut se la question de savoir ‘À quoi sert cette imitation ?’

Pour commencer, dans Bison, il y a des citations : « Souvent, dans ses écrits [Catlin]

remarquait la beauté d’une femme,[…] « Parmi les femmes de cette tribu, il y en avait beaucoup qui étaient fort jolies de visage et dotées d’un physique agréable, possédant également de gracieuses expressions… » [sic] » (Grainville, 2014 : 101). Bien sûr qu’il est possible de présenter l’argument que les guillemets fonctionnent comme

 

marqueurs scientifiques. En revanche, sans références au texte d’où est tirée la citation il est presque impossible pour le lecteur de trouver le passage et juger par lui-même comment l’interpréter.

La citation n’a donc pas pour but que le lecteur aille chercher le texte original. En effet, le

seul but identifiable est de signaler que ce sont les mots empruntés à Catlin. Ces citations

servent à présenter la personnalité de Catlin, ils servent à la construction d’un personnage

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fictif. Voilà un instant où des mots écrits par l’homme vivant à l’époque se retrouvent dans ‘le maintenant du livre’, des mots fictifs d’un homme en même temps vivant dans le passé réel, en même temps existant dans la mémoire collective, en même temps vivant encore une fois par la communication cognitive entre le texte et le lecteur : ce sont les trois niveaux où est située cette citation. La proposition de Jackson est pertinente ici. Parce qu’il constate qu’un lecteur ‘entend’ les pensées des personnages comme si elles étaient les siennes, cela établit une intimité entre le personnage et le lecteur. Cette intimité existe donc dans ces trois niveaux. Ces trois niveaux sont aussi les trois contextes où le lecteur pourrait placer cette citation, pourrait être convaincu, et comme le remarque Ryan, l’existant peut se trouver sur plusieurs niveaux simultanément. La séparation ontologique entre le monde fictif et le monde réel qui reste assez démarquée par le consensus de chercheurs ne protège pas le lecteur contre le fait que le passé réel doit également être imaginé. L’interaction entre la fiction et le factuel engage l’imagination sur ces trois niveaux. L’ouvrage peut donc être convaincant sur ces trois niveaux, sur trois types de prétention à la vérité : ‘Catlin était séduit par les femmes indiennes’, ‘Dans ses écrits, Catlin admet qu’il était séduit par les femmes indiennes’ et ‘Je m’imagine que Catlin était séduit par les femmes indiennes’.

Un autre exemple où le narrateur interprète les mots de Catlin est celui-ci : « Catlin s’attendait à retrouver dans l’Ouest les Indiens de son enfance forcés à émigrer de l’autre côté du Mississippi. Il ne les avait pas vus. Ils avaient disparu. Il le disait, il le répétait au fil de ses écrits » (Grainville, 2014 : 64). Pourquoi encore mentionner que cela est remarqué par Catlin plusieurs fois ? Justement pour signaler que cela était un rêve de Catlin du passé, accessible dans l’Histoire et donc un rêve qu’a Catlin aussi dans ce livre. Le but semble encore être de présenter le personnage comme vraisemblable dans ces trois contextes. Il n’y a pas de marqueur scientifique, pas de guillemets. Tout de même, c’est un renvoi à des sources historiques. Encore une fois, il faut tirer la même conclusion : que l’intention de cette mention des textes de Catlin n’est pas là dans le but de pousser le lecteur à examiner les sources et les questionner pour remplir des trous épistémologiques mais seulement pour signaler que cela n’est pas une invention de l’auteur. Il faut également remarquer qu’une chose qui convainc est que l’auteur connaît bien les sources historiques et à ce niveau-là l’œuvre est convaincante.

Dans Les Enfants d’Alexandrie, le narrateur Chandernagor déclare : « Est-ce à dire que

j’invente ? Oui. Que je viole l’Histoire ? Non. Je la respecte. Religieusement. Dès que

l’Histoire parle, je me tais. Mais que faire quand elle est muette ? » (Chandernagor, 2011 :

72). Il faut noter qu’elle (comme Chandernagor est le narrateur du livre) parle des marges de

l’histoire, les voix muettes ou des trous épistémologiques où l’imagination est le conducteur

(21)

des probabilités. Alors, le narrateur justifie son droit de raconter l’histoire de Séléné. Cette justification suit un épisode où Séléné, qui a trois ans, ramasse des pommes de cyprès à Daphné, où sa mère Cléopâtre s’est installée sur son retour à Alexandrie après une visite à Jérusalem. Pendant ce voyage Séléné a été malade, et personne ne pouvait la guérir.

Deux mille ans après, nous le savons : le cyprès est allergisant et son fruit, même sec, peut provoquer une conjonctive violente. Voilà pourquoi, cruelle romancière, j’ai poussé Séléné à ramasser, dans le faubourg de Daphné quelques pommes de cyprès – après tout, les cyprès de Daphné étaient célèbres et c’est à Daphné que Cléopâtre avait installé sa suite… Pour autant, personne ne sait, évidemment, à quoi jouait sa fille de trois ans dans les jardins de sa résidence. (Candernagor, 2011 : 71-72)

Le roman propose une explication pour la maladie de la fille Séléné. L’œuvre communique ici avec les trous épistémologiques dans le métarécit. Le narrateur semble être honnête et fiable parce qu’elle admet que cela est une explication imaginée – un produit – et donc, de la fiction.

La définition sémantique ne tient donc pas, parce que cela est une épreuve sur le lien qui existe entre le plan réel et la fiction, à savoir, le fait de remplir des trous épistémologiques qui existent dans l’Histoire par la fiction.

Françoise Chandernagor finit son livre par une « Note De L’Auteur » (2011 : 371) et commence par les mots suivants : « C’est une folie, sans doute, que d’espérer recréer le monde antique par les images ou par les mots » (2011 : 371). Cette phrase est importante à deux niveaux : premièrement il n’y a plus de narrateur parce que le lecteur lit maintenant les mots de l’auteur-même ; deuxièmement cette phrase indique que le but de l’œuvre est de tenter de recréer le monde antique même si cela est une folie. Elle commence par expliquer que le langage de l’Antiquité était dès le début difficile à reconstruire. Pour les noms propres elle a « choisi de faciliter leurs compréhension par le lecteur moderne tout en évitant les anachronismes trop brutaux » (Chandernagor, 2011 : 372). Concernant les noms propres géographiques, par exemple, elle a « opté souvent pour les appellations génériques modernes de ‘Balkans’, ‘Danube’, ‘mer Noire’ ou ‘Asie Mineure’, sans toutefois mettre ces noms-là dans la bouche ou l’esprit des personnages eux-mêmes » (Chandernagor, 2011 : 373).

Premièrement elle déclare qu’elle a activement tenté de rester fidèle aux vies intérieures des

personnages, à leurs façons de percevoir le monde autour d’eux. Elle l’a fait sur deux plans :

sur le plan que permet le lecteur moderne à se former une image de la géographie, donc rester

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proche à la prétention de la vérité référentielle au monde réel qui facilite le principe de

« minimal departure » (Schaeffer, 2013) et sur le plan qui permet aux personnages de rester probables selon deux critères : probable selon l’Histoire et probable selon leurs représentations dans l’ouvrage-même.

Deuxièmement, ces choix sont faits pour faciliter la compréhension au niveau du lecteur moderne. Activement donc, Chandernagor ne peut pas recréer de manière exacte le langage de l’Antiquité, par contre ce qui est important pour le récit est plutôt que le lecteur puisse se former une image de la géographie, que les noms renvoient à une connaissance déjà acquise par le lecteur. Les deux systèmes de prétentions à la vérité, celui qui est référentiel au monde réel et celui qui reste référentiel uniquement dans l’ouvrages sont ainsi respectés par l’auteur.

L’intention est que le système des références au monde réel facilite la reconstruction du passé à travers l’imagination du lecteur.

Dans Les Naufragés De L’Île Tromelin, sont incluses quatre notes en bas de pages dans

ce récit : La première commente la position exacte de l’île qu’on n’a pas pu déterminer avant

1953 ; la deuxième souligne que Sémiavou est la prononciation française du nom malgache

Tsimiavo ; la troisième constate que « [p]ar souci de clarté, les mesures de l’époque (pieds,

toises, etc.) ont été le plus souvent convertis en système métrique » (Frain, 2009 : 97) ; la

quatrième commente justement des mesures et convertit quinze pieds en « [e]nviron cinq

mètres » (Frain, 2009 : 200). La dernière est nécessaire parce que l’auteur cite une source

originale et ne peut pas rédiger dans la citation-même. Comme Chandernagor s’adapte au

lecteur contemporain quant aux noms géographiques et les prononciations des noms propres,

le narrateur convertit des mesures et facilite la prononciation d’un nom propre. Mais il donne

aussi de l’information hors de l’histoire racontée, la détermination de la position exacte de

l’île. Elle renvoie donc à une vérité référentielle au monde réel qui peut être considérée

comme intéressante mais qui n’aide pas à la représentation de l’Histoire narrée dans

l’ouvrage-même. Il le remarque après et décrit le fait étrange que l’île change de latitude et de

longitude sur les plans de l’époque. C’est donc le lecteur qui doit interpréter l’inclusion de

cette information. Donc, le narrateur prétend être crédible aux yeux du lecteur. Rappelons-

nous les trois types de prétentions à la vérité, premièrement la possibilité d’en être convaincu

de la part du lecteur ; deuxièmement, si le lecteur fait confiance à l’auteur/narrateur ;

finalement, il est plus possible qu’il arrive à être convaincu sur plusieurs de ces prétentions à

la vérité.

(23)

3.3 Les personnages à la fois littéraires et historiques

Nous avons pu conclure qu’un des intérêts de la fiction est l’être humain. Cet aspect a été soulevé en relation avec le type de prétention à la vérité que présente la fiction. Nous avons aussi conclu que le personnage qui a un nom avec une référence dans l’Histoire a aussi par ce métarécit, une référence au passé réel. Le personnage peut donc exister sur ces trois plans. La métalepse ontologique permet aux lecteurs, à travers le personnage, de migrer aux ces trois plans. Comment alors sont représentés ces personnages à la fois littéraires et historiques ? Pour cette dernière étape nous allons regarder Castellan, Séléné et George Catlin. Cette analyse prend en compte le message de l’ouvrage en relation avec l’interaction entre la fiction et le factuel pour investiguer si cette interaction influence le message transmis au lecteur par la métalepse possible à travers le personnage littéraire et historique.

3.3.1 Castellan

Barthélemy Castellan du Vernet est le premier lieutenant sur L’Utile. Le narrateur le décrit

comme « habile et brillant » (Frain, 2009 : 36). Castellan n’est pas d’accord avec le capitaine

sur la carte à respecter quant à la direction. Elles ne s’accordent pas sur la position de l’île de

Sable, une île entourée par des coraux et des courants, un danger. Ensemble avec les autres

officiers, Castellan essaye de forcer le capitaine Lafargue à changer de cap. Tous cela a été

observé par Keraudic « l’écrivain de bord » (Frain, 2009 : 43). Ils n’ont pas réussi à changer

l’avis de Lafargue. Le narrateur cite Keraudic, qui le jour avant le naufrage avait marqué,

après avoir noté la position du navire et la vitesse du vent : « ‘Très beau temps’ […] ‘Vu

quantité de oiseaux’ » (Frain, 2009 : 43, c’est l’auteur qui souligne). La mention des oiseaux

intrigue le narrateur qui élabore que « [l]a juxtaposition laissait place à toutes les

interprétations possibles, du pur Keraudic, tout dans le sous-entendu, l’insinuation, le faux-

fuyant. À croire qu’il avait pris lui aussi le parti de Castellan. Alors qu’à l’ordinaire, on le

retrouvait plutôt du côté des puissants » (Frain, 2009 : 43-44). Premièrement la présence des

oiseaux indique qu’il y a de la terre, une île par exemple. Deuxièmement, ce narrateur

interprète des sources historiques et commente la personnalité de Keraudic qui par habitude,

donc dans plusieurs de ses écrits, exprime de la loyauté envers l’autorité. Finalement, un

homme qui écoute les hommes puissants, et qui précise qu’il y a des oiseaux, peut-être de la

terre donc, est interprété comme s’il trouve que Castellan a raison. Cela renforce la

description déjà faite de Castellan, qui est maintenant « brillant » aussi dans le sous-entendu

d’un document historique.

(24)

Castellan va lui aussi, comme Lafargue, profiter de la cargaison des esclaves dont il n’a

« rien qu’une petite dizaine. Mais tout aussi frauduleux que ceux du capitaine » (Frain, 2009 : 57). Leurs affaires étaient frauduleuses, parce que pendant ce temps-là, l’esclavage était presque aboli et mal vu. Castellan n’a jamais participé à une fraude massive, mais n’a plus le choix – selon le narrateur – parce qu’il est ruiné. Il a choisi d’entrer dans la traite avec Lafargue et il se fait « dicter sa conduite par Lafargue. Pire qu’un négrier. Un imposteur » (Frain, 2009 : 58). Il faut poser la question de savoir qui est le juge des actions de Castellan : l’auteur ou le narrateur, ou les deux ? Le jugement tombe finalement sur Castellan, le personnage historique, personne du passé, qui a réellement commis ce crime. Le lien avec le réel est l’auteur, et alors c’est le jugement de l’auteur.

Sur l’île il y a deux groupements : les noirs et les blancs. Entre eux, il n’y a qu’un interprète et c’est à travers lui que se produit la communication autour de la construction de la prame. La prame ne peut pas tous les supporter, alors il faut que Castellan prenne une décision sur qui va être sauvé. Joseph, l’interprète, croit savoir que le plan de Castellan est de laisser les noirs sur l’île pour revenir un jour les chercher et les libérer. Joseph a la peau foncée mais la langue des blancs, il est donc le pont entre les deux. Castellan compte sur la coopération des noirs pour réussir et sur Joseph pour les motiver à travailler. Sauvé de l’île, Castellan essaye de tenir se parole. Dans les mains de la Compagnie, et « quand on travaille pour la Compagnie, on n’a qu’un seul choix : obéir » (Frain, 2009 : 44), il demande des nouvelles voiles pour la prame pour aller chercher les noirs. Le supérieur, Aiguille, se réfère au Gouverneur (Desforges-Boucher) qui prendra la décision. Le narrateur constate que Castellan « ne saisissait pas qu’il faisait fausse route, il pensait qu’Aiguille avait compris l’enseignement de l’île, l’arasement des races et des conditions, la découverte de la fraternité humaine dans le partage d’un identique dénouement » (Frain, 2009 : 259). Le résultat est que le Gouverneur ne permet pas à Castellan d’y aller, l’abandon des noirs étant « pur et simple » (Frain, 2009 : 259). Castellan ne peut pas oublier les noirs et sa promesse et ne cesse pas dans ses efforts d’obtenir un bateau pour aller les chercher, mais le Gouverneur reste ferme dans son avis. Un texte imprimé (celui d’Herga) commence à circuler et :

[C]omme Herga a promis à Castellan, la brochure fut assortie de la note

biographique qu’il lui avait demandée avant leurs adieux […] Pour suggérer les

avanies que Desforges-Boucher lui avait fait subir, et sa douleur de n’avoir pu

aller rechercher les Noirs, il tint aussi à préciser que cette attestation, outre la

gloire de Castellan, était ‘sa consolation’. (Frain, 2009 : 288)

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