Magisteruppsats
Le roman historique contemporain est-il convaincant ?
Une analyse sur l’interaction entre la fiction et le factuel dans trois Prix Palatine
Författare: Caroline Ekström-Sotto Handledare: Liviu Lutas
Examinator: Kirsten Husung Termin: VT 2015
Ämne: Franska Nivå: Avancerad nivå Kurskod: 4FR2E
Abstract
The focus of this study is to analyze in what way the historical novel can be convincing and if the interaction between fictional and factual narration within this genre influences the degree to which it can be convincing. The three novels chosen are Les Naufragés De L’Île Tromelin by Irène Frain, Les Enfants d’Alexandrie by Françoise Chandernagor and Bison by Patrick Grainville, for which all three authors received Le Grand Prix Palatine. In the introduction are presented the general characteristics of the genre as well as its capability of being convincing, outlining that there is a possibility for a fictional work to seem more convincing than a purely factual one. Also defined are differences between the contemporary and the classical historical novel. This is done in order to take into account in the analysis what might be learnt from the contemporary historical novel.
The theoretical framework consists of the semantic definitions of fictional versus factual narration as presented by Jean-Marie Schaeffer, as well as theory of how the reader’s immersive experience enables ontological crossings. What the analysis is able to show is that all three novels include four types of truth claims, that the reader can be convinced of all four and that this conviction is connected to the context to which the reader associates the historical/literary character. The analysis also brings forth what can be thought of as the historiographical pact, a term analogous with Philippe Lejeune’s term ‘the autobiographical pact’, which establishes a referential link with history. What is in the end considered the most convincing literary device is the inclusion of factual markers referencing real-world sources.
In all three novels, it is also possibly to identify truth claims concerning human nature.
Key words: contemporary historical novel, truth claim, immersion, factual narration, fictional narration, ontological metalepsis.
La Table des matières
1 Introduction____________________________________________________________ 4 1.1 L’objectif_________________________________________________________ 4 1.2 But et méthode_____________________________________________________ 5 1.3 Le roman historique classique et le roman historique contemporain____________ 6 2 Cadre théorique_________________________________________________________8
2.1 La définition sémantique de la narration fictionnelle et de la narration factuelle__ 8 2.2 L’immersion______________________________________________________ 12 3 Analyse sur l’interaction entre la fiction et le factuel_________________________ 14
3.1 Les descriptions avec des trous ontologiques____________________________ 14 3.2 Les vérités référentielles au monde réel________________________________ 19 3.3 Les personnages à la fois littéraires et historiques________________________ 23
3.3.1 Castellan_________________________________________________ 23
3.3.2 Séléné___________________________________________________ 25
3.3.3 George Catlin_____________________________________________ 27
4 Conclusion___________________________________________________________ 30
Références______________________________________________________________ 32
Annexe________________________________________________________________ 34
1 Introduction 1.1 L’objectif
L’objet de l’étude de ce mémoire est d’analyser comment dans le genre du roman historique interagissent l’Histoire (l’écriture sur le passé réel) et la fiction, « [p]roduit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité » (Trésor de la langue française). Au fond cette analyse est faite pour répondre à la question de savoir : Comment le récit fictif qui représente l’Histoire peut-il être convaincant et est-ce que l’interaction entre la fiction et le factuel influence la façon dont le récit arrive à convaincre ? Nous prenons aussi en compte à quel degré le lien qui existe entre la fiction et le réel (ici définit comme le plan où existe le lecteur) influence la réception quand il est possible pour le lecteur de se sentir ‘transporté’ dans la fiction.
Les trois livres choisis sont Les Naufragés de l’Île Tromelin (2009) par Irène Frain, Les
Enfants d’Alexandrie (2011) par Françoise Chandernagor et Bison (2014) par PatrickGrainville. Pour ces trois romans chaque auteur a reçu le Grand Prix Palatine. Ce prix est distribué selon les critères suivantes: « une grande rigueur historique, un sens aigu du romanesque et une évidente qualité littéraire » (palatine.fr). Ces critères-là pointent vers une fusion d’une bonne qualité entre l’Histoire et la création littéraire, à savoir pourquoi les livres étudiés ont été choisis.
Comme cette analyse sera faite dans le champs du genre du roman historique, il faut se poser la question : quels sont les traits du roman historique ? D’abord, selon Heta Pyrrhönen (2007), un genre littéraire est un groupement de textes qui ont en commun certains traits et caractéristiques. La notion du genre suggère qu’il est possible de décrire des textes en dégageant des composants textuels qui le classifient. En outre, ‘genre’ dirige la façon dont les textes sont écrits, lus et interprétés. Ces conventions génériques sont normatives. Elles décident ce que les auteurs peuvent et ne peuvent pas faire. Pyrrhönen constate aussi que
‘genre’ permet une évaluation des œuvres littéraires (2007 : 109).
Névine El Nossery (2009) présente les traits généraux du roman historique ainsi : premièrement, le genre se caractérise par la présentation des personnages et des événements empruntés à l’Histoire ; deuxièmement, la logique narrative (le sujet du livre, les descriptions, la focalisation et les plans narratifs) reste la création de l’auteur ; finalement, elle note que grâce à la conformité des événements de l’œuvre fictive à « une logique de l’Histoire », le roman historique « pourrait paraître plus authentique qu’un manuel historique » (2009 : 274).
De son côté, Isabelle Durand-Le Guern soulève le degré d’information référentielle qui existe
dans l’intersection entre le roman et l’Histoire : « un roman historique est un roman, c’est-à- dire un récit fictif, qui intègre à sa diégèse une dimension historique. Sa première particularité serait donc sa dimension référentielle, dans la mesure où la réalité vécue vient nourrir le récit proposé » (2008 : 9). La dimension référentielle doit être comprise comme : référentielle à notre monde, donc opposée à la fiction dans le sens ‘venu de l’imagination’. Deux remarques faites sont importantes à soulever pour cette recherche : qu’une œuvre fictive peut paraître plus fiable qu’une œuvre factuelle et qu’il existe une « dimension référentielle ». Durand-Le Guern ajoute que « [l]’enjeu essentiel du roman historique est bien celui de la représentation.
Il s’agit de faire voir, de faire comprendre le passé » (2008 : 91). Il est problématique de constater que l’enjeu d’un roman est ‘de faire comprendre’. Plutôt, il est important de constater que l’imagination est capable de construire une image ou une représentation du passé, qui le rendrait ‘vivant’.
Notre hypothèse est que l’interaction entre la fiction et le factuel établie un lien entre le monde fictif et le ‘réel’ en incluant des vérités qui sont référentielles à notre monde. Cela influence la réception parce que cela rend en quelque sort le récit fiable ainsi que l’élément d’instruction qui est attribué au roman historique.
1.2 Le but et méthode
Le but est d’analyser comment l’interaction entre la fiction et le factuel influence la réception possible de l’ouvrage, ainsi que d’analyser à quel point cette même interaction influence dans quelle mesure l’ouvrage peut être convaincant.
Premièrement, sera présenté le genre du roman historique contemporain. Plus précisément, les différences entre le roman historique classique et le roman historique contemporain pour cerner les traits spécifiques des trois livres analysés. Deuxièmement la définition sémantique de Jean-Marie Schaeffer sera mise à l’examen pour clarifier les types de prétention à la vérité qui sont possibles en parlant de ce genre en exemplifiant par regarder les livres analysés. Troisièmement, l’immersion sera discutée dans le but d’extraire comment c’est possible pour un lecteur d’entrer dans les pages d’un récit fictif et de souligner qu’il existe des frontières ontologiques qui séparent le plan réel et le plan ‘imaginé’/’fictif’.
Finalement, l’analyse profonde de l’interaction entre la fiction et le factuel se fera en trois
parties : La création du monde fictif, les prétentions à la vérité référentielle au monde réel et
la représentation des personnages à la fois littéraires et historiques.
1.3 Le roman historique classique et le roman historique contemporain
Une clarification sur le choix de corpus reste à ajouter pour répondre à la question ‘Pourquoi seulement des romans contemporains ?’ El Nossey (2009) propose que le roman historique classique et le roman historique moderne diffèrent sur plusieurs niveaux. Le premier désaccord concerne le passé et le présent. Le roman historique du XIXe siècle, une tradition dérivée de Sir Walter Scott, était captivé par « le passé, source inépuisable de modèles et d’instruction. En d’autres termes, c’est le passé et non pas l’avenir qui détermine l’Histoire, et qui donne sens à la destinée humaine» (El Nossey, 2009 : 274). Le roman historique moderne est préoccupé par le présent du lecteur : « [l]e passé n’est utile que dans la mesure où il sert à mieux comprendre le présent et aide à trouver des réponses aux questions qui nous concernent » (El Nossey, 2009 : 274). Alors, il y a toujours un élément d’instruction par le passé, mais qui sert à la compréhension du présent.
Le deuxième désaccord concerne la façon dont le roman historique communique avec le
« ‘métarécit’ qu’est l’Histoire » (El Nossey, 2009 : 275). À l’époque de Scott l’Histoire n’était pas encore une science, en d’autres termes pas encore un domaine codifié. Le roman historique était simplement une façon alternative d’éduquer. Cela est une conséquence du fait que le romancier consultait les mêmes sources que l’historien et que leurs travaux ne se différaient que sur le point de la qualité littéraire. Duran-Le Guern (2008) souligne que ce rôle éducatif est central : « [e]n effet, [il] permet de comprendre la portée souvent didactique et morale des romans historiques, et le rôle social qui leur est assigné » (2008 : 21). Regardons Balzac qui se proposait deux exigences : « se différencier des ouvrages historiques et respecter la vérité des faits » (2008 : 90). Unir ces exigences ne laisse pas beaucoup de place pour manœuvrer, constate Duran-Le Guern qui propose une solution : « [l]a liberté se trouve peut-être dans les marges de l’histoire » (2008 : 90). Les marges de l’histoire sont des parties des sociétés peu représentées dans le métarécit, ceux qui manquent de voix : par exemple des femmes et des esclaves. Le roman historique moderne, qui intègre également des éléments éducatifs, utilise plutôt « un métalangage et une critique du discours historiographique » (El Nossery, 2009 : 274) en signalant des lacunes ou des interprétations alternatives de l’Histoire.
Dans les marges de l’histoire les auteures trouvent la porte à ce type de critique.
Le troisième et dernier désaccord concerne le fait que les marges de l’histoire sont plus
marquées dans le roman historique moderne que dans le roman historique classique. Le roman
historique classique s’intéressait plutôt aux grands personnages historiques : « [S]i le roman
historique classique met en scène de grands hommes ou des héros historiques ayant marqué
l’Histoire […] la fiction historiographie contemporain donne souvent voix au peuple, aux
sujets anonymes […] qui ont subi l’Histoire plutôt d’en être les acteurs. (El Nossey, 2009 : 275). Une raison derrière cette exploration des marges pourrait être la solution proposée par Duran-Le Guern : que les marges laissent beaucoup de place à l’imagination. Une deuxième raison serait l’intérêt du roman historique contemporain de comprendre notre ‘maintenant’ en regardant notre passé (2008 : 90).
Comme il y a donc des traits différents qui séparent le roman historique classique du roman historique contemporain, la classification des textes doit être faite en vue de cela. La particularité intéressante à mettre à l’épreuve est qu’en commentant notre présent par notre passé, le roman historique contemporain arrive à transmettre un message. Le message est le commentaire sur notre présent par notre passé. L’analyse des ouvrages se focalisera donc sur ce ou ces ‘message/messages’ comme présenté(s) dans les livres. Est-ce que le/les message(s) est/sont convaincant(s) et pourquoi ? Est-ce que l’interaction entre la fiction et le factuel influence le/les message(s) ?
Avant de continuer l’exploration de ces questions, il nous semble important de soulever des traits de ce genre qui sont communs avec ceux du genre autobiographique et biographique, tel que défini par Philippe Lejeune. La ressemblance la plus saillante est la dimension référentielle qui existe dans les trois genres.
Les trois genres traitent la même difficulté : la représentation du passé. La représentation du passé commence, comme constate Paul Ricœur, avec la récollection : la mémoire (2009 : 730). Où, dans la représentation de la mémoire, est-ce qu’il y a de la place pour la fiction ? D’après Lejeune, la fiction est exclue de l’autobiographie parce que les personnes qui connaissent l’auteur, peuvent signaler des mensonges dans le récit (1975 : 30).
Lejeune constate donc que la frontière entre la fiction et la vérité référentielle est le mensonge. Par contre, la mémoire n’est pas parfaite et il y a la possibilité qu’on ne se souvienne pas de la vérité ‘absolue’ du passé. L’autobiographie fait alors une recherche dans la mémoire qui a la possibilité d’être plus ou moins vraie, c’est-à-dire : sans ou avec mensonges.
Le pacte autobiographique concerne l’accord entre le nom du personnage principal, le
narrateur et l’auteur. Il faut, selon Lejeune, qu’ils partagent le même nom (Lejeune, 1975 :
35). Considérons le nom d’un personnage historique, comme par exemple Cléopâtre, juste par
employer ce nom un romancier fait référence à l’Histoire parce que ce nom existe dans les
pages des manuels historiques. Il existe dans ces pages-là parce qu’elle a vécu et laissé des
traces, des sources, qui confirment son existence. Il y a un lien référentiel avec l’Histoire par
ce renvoie, juste par employer le même nom. Est-ce que c’est par ce type de référence que le
roman historique est, précisément, historique ? Par contre, ce n’est pas tout à fait correct de comparer avec l’autobiographie qui concerne l’auteur, mais il faut plutôt regarder le genre biographique, où il est possible de vérifier les références avec ‘l’épreuve de vérification’
(Lejeune, 1975 : 36).
Lejeune introduit ici le ‘pacte référentiel’ qui peut être implicite ou explicite. Au fond de ce pacte il y a l’assomption que l’œuvre en question essaie de décrire la réalité et qu’on peut donc mettre l’œuvre à l’épreuve sur la validité des informations là-dedans (Lejeune, 1975 : 36). Quant au roman historique, comme nous avons déjà constaté, il s’agit de représenter l’Histoire de manière vraisemblable, alors l’épreuve de vérification semble applicable à ce genre. Le pacte ‘historiographique’, nous pouvons proposer, serait que le récit soit référentiel à l’Histoire. Dans cette recherche je vais examiner si le ‘pacte historiographique’ se base sur l’inclusion de citations et de références dans les trois romans choisis. Nous approchons ici aussi la question du vrai.
Lejeune soulève trois critiques, André Gide, François Mauriac et Albert Thibaudet, pour discuter la question de fiction et le type de vérité qu’elle soulève. Ces trois auteurs postulent que la fiction est plus proche de la vérité de la condition humaine que la biographie, comme la mémoire contient des trous, une reproduction exacte de la vie n’est pas possible (Lejeune, 1975 : 41). Par contre, la fiction pourrait faire naître une expérience émotionnelle chez le lecteur, donc capter une ‘vérité’ émotionnelle. Il est aussi possible pour la fiction de capter en mots une vérité que le lecteur, pas chaque lecteur bien-sûr, a senti mais jamais été capable de rendre explicite. Ce genre de vérité concerne la condition de l’humanité. La définition sémantique de Schaeffer sera problématisée parce que le roman historique unit le factuel, la prétention à la vérité référentielle du monde réel et la fiction, la prétention à la vérité du monde fictif. Selon ces théoriciens, la dernière prétention concerne la vérité émotionnelle et humaine, cela est bien la conclusion si on suit cette logique.
2 Cadre théorique
2.1 La définition sémantique de la narration fictionnelle et de la narration factuelle
Les deux acteurs qui représentent le passé, le romancier et l’historien, ont deux buts
différents, même si les deux emploient l’outil qu’est la narration. Leurs narrations différentes
sont de type fictionnel et factuel. Jean-Marie Schaeffer présente des définitions de la narration
fictionnelle ainsi que factuelle dans « Fictional vs. Factual Narration » (2013). Il souligne
toutefois que le degré d’opposition entre les deux types est encore débattu. Il y a, constate-t-il,
trois définitions majeures : la définition sémantique, la définition syntactique et la définition
pragmatique. La première définition, la définition sémantique, postule que la narration factuelle est référentielle tandis que la narration fictionnelle ne l’est pas, pas au monde réel.
Pour clarifier : la fiction a un système de références dans l’œuvre fictionnelle. Ces prétentions à la vérité
1sont référentielles seulement dans le monde fictif et non dans le monde réel.
Schaeffer vise un problème débattu qui touche à notre sujet : le fait que le roman historique
« contain[s] a fair amount of factual information » (Schaeffer, 2013), donc de l’information référentielle à notre monde et pas à un univers fictionnel n’existant qu’entre les pages du livre même. Cette problématique sera discutée dans le but de préciser quels types de prétentions à la vérité font les trois romans choisis.
La définition postule, encore, que la narration factuelle est référentielle au monde réel tandis que la narration fictionnelle ne l’est pas (Schaeffer, 2013). Il s’agit de deux types de prétentions à la vérité. La narration factuelle présente des prétentions à la vérité référentielle au monde réel, un exemple de ce type de prétention serait ‘X écrit cela, alors c’est l’opinion de X’. La vérité, que cela est l’opinion de X, est donc dépendante de l’existence d’une référence dans le monde réel. La narration fictionnelle n’emploie pas des prétentions à la vérité de ce type selon cette définition. Il s’agit d’une prétention à la vérité du monde fictif, et qui n’existe qu’entre les pages du livre où il y a un système référentiel unique pour le roman en question.
Dans Les Enfants d’Alexandrie, à propos de la personnalité de Marc Antoine, Chandernagor écrit : « Antoine peut être diplomate, mais c’est d’abord un soldat » (2011 : 89). La question se présente : est-ce que le nom du Romain fait référence au romain du livre où au romain de l’Histoire ? Selon « [t]he principle of ‘minimal departure’ » (Schaeffer, 2013) le nom propre fait référence au Romain ‘personnage historique’ parce que ce principe postule que le lecteur interprète le message d’un monde proposé en recréant ce monde aussi proche du monde réel que possible. Par contre, « the holism of the possible worlds approach » suggère que le nom fait référence au Romain personnage littéraire uniquement parce que ce nom fait référence à un monde possible, parallèle au nôtre (Schaeffer, 2013). Schaeffer soulève que cela semble paradoxal concernant le roman historique parce que, comme il constate : il est important pour le lecteur d’un roman historique que « les noms propres qui font référence aux personnages historiques, vraiment font référence aux personnages historique comme il les connaît en dehors de la fiction » (Schaeffer, 2013). Malheureusement, Schaeffer ne développe pas pourquoi cela est important, mais il est clair qu’un roman
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Traduction de ’truth claim’ après avoir consulté http://www.linguee.fr/anglais-
francais/traduction/truth+claim.html.
historique ne peut pas être historique justement, sans faire référence à l’Histoire. Ce lien référentiel est le pacte historiographique, pour employer le terme lejeunien.
Arrêtons-nous un moment pour constater que le nom propre, Marc Antoine, a trois références : une entre chaque mention du Marc Antoine dans le livre même, une entre la représentation fictive du Marc Antoine et le métarécit qu’est L’Histoire où existe aussi ce nom, et entre le récit fictif par l’Histoire et le passé réel. Quant aux personnages qui ont des références dans l’Histoire, il existe donc un lien possible au passé ‘réel’. Le passé ‘réel’ est compris ici comme la prétention à la vérité ‘C’était comme cela’. Il y en a donc trois prétentions possibles à discuter quant au roman historique contemporain : ‘C’était comme cela’ (prétention à la vérité du réel), ‘Parce qu’il y a cette référence, c’était comme cela’
(prétention à la vérité référentielle au monde réel) et ‘Je m’imagine que c’était comme cela’
(prétention à la vérité du monde fictif).
Pour faire le lien entre l’historiographie, qui est la narration factuelle de l’Histoire, et la définition sémantique il est pertinent de soulever le propos de Lubomír Doležel dans Possible
Worlds Of Fiction and History : The Postmodern Stage (2010 : 37-39). Il postule que lanarration factuelle peut être distinguée de la narration fictionnelle par le type de trous que les deux laissent. Les trous dans la narration historiographique sont épistémologiques et peuvent être remplis par de nouvelles sources ou de nouveaux arguments. Les trous dans la narration fictionnelle, par contre, sont ontologiques, comme il n’y a pas de référence hors du monde fictif. Mais, où s’arrête le monde fictif ? Deux des trois romans incluent à la fin une banque d’information : dans Les Naufragés De L’Île Tromelin il y a un postface de Max Guérout :
« La mission archéologique de Tromelin » ; dans Les Enfants d’Alexandrie il y a une note de l’auteur où Chandernagor explique certains choix qu’elle a faits en représentant le monde d’antiquité dans son œuvre.
Le texte de Guérout, n’est d’abord pas écrit par Frain qui note : « CE LIVRE EST BASÉ SUR DES FAITS RÉELS historiquement mis à jour par MAX GUÉROUT » (Frain, 2009 : c’est l’auteur qui souligne). Il est aussi marqué ‘Roman’ dans une boîte sur la couverture. L’inclusion du texte de Guérout donne une référence hors du monde fictif. Est-ce qu’il s’agit de se présenter comme un roman qui contient un récit historiographique plus qu’un récit fictif ? La réception de l’œuvre devient ainsi très importante parce que finalement, il revient à chaque lecteur de répondre à la question de savoir si le livre, comme expérience littéraire, est perçu comme ‘vrai’/’convaincant’.
Chandernagor, pour sa part, n’inclut pas de texte d’un autre auteur, mais trace de
manière structurée où elle s’est dirigée pour reconstruire en mots le monde de l’Antiquité.
Elle inclut des notes en bas de la page, renvoyant aux références hors du monde fictif et souligne que pour les trois livres de la série « [c]ertaines sources étant communes aux trois volumes de ce roman, l’ensemble de la bibliographie est rapporté à la fin du troisième volume » (Chandernagor, 2011 : 401). Pourquoi inclure une bibliographie, quelle est sa fonction ? Une bibliographie indiquerait un travail rigoureux pour représenter une époque historique, le seul bénéficiant étant le lecteur. Donc, la réception reste un point de départ pour répondre à la question comment et de quelle manière le roman historique peut être convaincant.
Les deux livres problématisent la position qu’un livre fictif ne communique pas directement avec le monde réel, qu’il n’en fait pas partie. Un trait spécifique du genre est qu’il communique avec l’Histoire, le métarécit. Le principe de « minimal departure » (Scheffer, 2013) : projeter le monde réel sur le monde fictif, serait une position plus proche que « the holism of possible worlds approach » (Schaeffer, 2013) de la discussion autour de ces deux livres et il pourrait aussi aider à expliquer comment un roman arrive à paraître plus « authentique qu’un manuel historique » (El Nossey, 2009 : 274). Le propos est simple : en projetant le monde réel sur le monde fictif, le lecteur unit deux mondes, ou essaie de le faire. Dès que cela est fait, comment défaire cet enchevêtrement ? Cette question pousse vers un besoin d’examiner l’expérience de lecture possible en lisant un roman. Une expérience qui va être discutée en bas dans la section ‘immersion’.
Pour exemplifier le lien entre le réel et la fiction, dans Les Naufragés de l’Île Tromelin, Irène Frain inclut cette carte de l’île
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2
Frain, 2009 : 197
La carte est expliquée, c’est-à-dire le narrateur remarque comment elle a été composée. Il y a une référence et une comparaison avec une autre carte, ce qui indique un travail de diligence pour représenter les images de l’île de manière juste. La carte elle-même est une copie de l’île de Tromelin, nommée antérieurement l’île de Sable et un peu plus tard l’île de France. Cette île existe, donc la carte est une copie de la réalité. Séparer l’image de l’île du reste du livre, traiter cette partie séparément est difficile, car l’île est la place où l’histoire se déroule, elle est en plus présentée avec des descriptions détaillées. Assumons que le lecteur peut se former une image d’après ces descriptions uniquement, les cartes renforcent ou contredisent et reforment l’image déjà formée chez le lecteur – il s’agit encore de l’immersion. Quand le lecteur subit cette sensation – entre dans les pages de l’œuvre – quelles frontières ontologiques sont traversées quand il voit la carte ? Est-ce que l’ouvrage devient plus convaincant, plus réel ? La possibilité de l’ouvrage d’être convaincant est la raison pour laquelle il est important d’analyser les types de prétentions à la vérité : au monde réel, référentielles au monde réel et référentielles au monde fictif qui sont inclus dans le récit.
2.2 L’immersion
Selon Maria Angeles Martinez, l’immersion est une description intuitivement correcte de ce qui est nécessaire pour apprécier un récit
3, dans le sens qui est généralement exprimé par des métaphores comme « READING IS A JOURNEY metaphor; with being “gripped” or
“engaged” – the READING IS CONTROL metaphor; and with “reward” and “value satisfaction” » (2014 : 110, c’est l’auteur qui souligne). Il est possible de s’imaginer le passé par la représentation fictive comme le lecteur a la possibilité de former en image les descriptions en mots dans le récit. L’expérience immersive sera discutée en relation avec la réception possible de la part du lecteur.
Martinez soulève comment un discours est structuré, les niveaux d’existence et la métalepse en relation avec l’immersion. D’après elle, le discours narratif perçu comme une situation de communication, entre par exemple le narrateur et le lecteur réel, intègre plusieurs niveaux de représentation : chacun avec son destinateur/adressant et destinataire/adressé
4, séparés par des frontières ontologiques qui empêchent les participants du discours sur un plan existentiel d’interagir avec les participants qui existent sur un autre plan. Cette séparation ontologique entre le monde réel et le monde fictif a été mise à l’épreuve par Marie-Laure
3
Elle utilise le concept anglais de ’narrative’.
4
Elle emplie les termes ’adressor’ et ’adressee’.
Ryan qui étudie le concept de la métalepse dans Avatars of Story (2006). Martinez la cite pour extraire sa définition de la métalepse ontologique : « In a narrative work, ontological levels will become entangled when an existent belongs to two or more levels at the same time, or when an existent migrates from one level to the next, causing two separate environments to blend » (2014 : 112).
.Pour répondre à la question de savoir si l’ouvrage est convaincant et comment, il est important d’analyser si un ‘existant’ pourrait à la fois être personnage historique et personnage littéraire, une représentation convaincante sur deux plans donc : dans le monde fictif et dans l’Histoire. Cette question sera mise à l’épreuve par examiner les lectures possibles et les convictions possibles puisque c’est le lecteur qui est ou qui n’est pas convaincu.
Lisa Zunshine (2006) soulève les interactions des lecteurs avec l’œuvre fictive en relation avec la théorie de l’esprit
5 dans Why We Read Fiction: Theory of Mind and the Novel.La théorie de l’esprit nous explique notre aptitude à interpréter ‘l’état d’esprit’ d’une autre personne en observant son comportement (2006 : 6). C’est-à-dire que les actions d’un individu disent quelque chose sur son état d’esprit – on voit une personne en train d’acheter un sandwich et on suppose qu’elle a faim. Zunshine affirme que « [a]ttrbuting states of mind is the default way by which we construct and navigate our social environment, incorrect though our attributions frequently are » (2006 : 6).
Ce processus est fait inconsciemment et ne cesse pas parce que notre « architecture cognitive évoluée nous ‘pousse’ vers apprenant et pratiquant la lecture de l’esprit tous les jours, a partir du début de l’état/l’âge de conscience » (Zunshine, 2006 : 7). En plus, dans le champ de l’anthropologie cognitive, les chercheurs sont de plus en plus conscients que cette aptitude est particulière pour chaque contexte social différent. Par exemple, même si on attribue des « mental states » (Zunshine, 2006 : 6) aux personnages littéraires par le même processus cognitif comme aux personnes réelles, on reste conscient du fait qu’ils existent dans un domaine fictif et ne sont pas vivants.
Le propos qu’on lit l’esprit de l’autre de la même manière pour des personnages fictifs que pour des personnes réelles, mais en les séparant contextuellement, supporte la définition sémantique selon Schaeffer (2013) de la narration fictionnelle qui postule qu’il y a un système de références dans l’ouvrage même qui ne traverse pas des frontières ontologiques et qui est unique pour le domaine fictif. La séparation semble donc être distincte entre l’univers d’une œuvre de fiction et l’univers réel. Encore une fois, cette séparation n’est pas aussi claire
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