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Le discours du MEDEF sur la relance de l’économie en France

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Academic year: 2022

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Le discours du MEDEF sur la relance de l’économie en

France

Eva Engström Dray

Romanska och Klassiska institutionen Kandidatuppsats

Vårterminen 2018

Directeur de mémoire : Christophe Premat Rapporteur : Johan Holmberg

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Le discours du MEDEF sur la

relance de l’économie en France The discourse of the MEDEF on the revival of French economy

Eva Engström Dray

Sammanfattning/Abstract

Abstract

In this paper we study two speeches held by the chairman of the MEDEF, Pierre Gattaz, at the opening ceremony of the Summer universities in 2016 and 2017. The event is organised by the MEDEF, the leading network of entrepreneurs in France, every summer at the end of August. It is an important event gathering key people and decision-makers from the political and economical arena from France and abroad, and thus an ideal occasion for the network to put forward its claims on necessary changements and reforms to get in place in order to improve the entrepreneurial climat in France.

We conduct a discursive analysis of the two speeches to see how the economical discourse in France is pronounced by the MEDEF and what specifically characterises it. We also look at the social and political context to see how it impacts the speeches. Another important aspect is to study the image of the speaker and how it is constructed in the two speeches by analysing the expressions, vocabulary, disposition and demeanor. We also compare the common denominators and differentiators of both speeches.

Keywords

MEDEF, critical discours analysis, éthos, economic discourse, address

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Table des matières

1. Introduction ... 4

1.1 But du mémoire et questions de recherche ... 4

1.1.1. Méthode ... 5

1.1.2. Corpus ... 6

2. Cadre théorique ... 7

2.1 Contexte, contrat, type de discours ... 7

2.2 L’éthos préalable et discursif ... 10

3. Analyse des allocutions de Pierre Gattaz ... 11

3.1 L’éthos préalable ... 11

3.2 Discours d’ouverture de Pierre Gattaz ... 12

2016-08-30 ... 12

3.2.1 Le thème, le vocabulaire, et la disposition ... 12

3.2.2 Évaluer la situation ... 14

3.2.3 Se fixer un objectif ... 15

3.2.4 Construire une solution ... 15

3.2.5 Décider d’un plan d’action ou des réformes à mener ... 16

3.2.6 Identifier les conditions de succès avant de passer à l’action ... 17

3.3 Discours d’ouverture de Pierre Gattaz ... 18

2017-08-29 ... 18

3.3.1 Un nouveau modèle économique et social français ... 20

3.3.2 Les quatre réformes nécessaires ... 21

3.3.3 Le rôle du MEDEF ... 24

3.4 L’éthos discursif ... 26

4. Remarques finales ... 28

Appendice 1, Transcription du discours du 2016-08-30 ... 29

Appendice 2, Transcription du discours du 2017-08-29 ... 34

Bibliographie ... 42

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1. Introduction

Le MEDEF, le Mouvement des entreprises de France, est une association d´entrepreneurs en France. En tant que principale organisation patronale et porte-parole des entreprises, l’association joue un rôle important comme acteur économique et elle est souvent perçue comme un influenceur politique. Le MEDEF est représenté par Pierre Gattaz, qui depuis 2013 est le président de l’association.

Le MEDEF organise chaque année des Universités d’été où se réunissent les entrepreneurs français et étrangers ainsi que d’autres acteurs économiques et politiques.1 L’événement joue un rôle crucial pour le MEDEF à la fois pour réunir les acteurs importants et prendre position sur des questions qui influencent le climat entrepreneurial.

C’est aussi une occasion importante pour analyser l´état économique des années précédentes et en tirer des conclusions qui permettent de formuler des mesures qu’il faut prendre pour améliorer les conditions des entreprises en France et par cela améliorer l’état économique du pays, qui depuis plus d’une dizaine d’années se trouve en stagnation.

Nous avons choisi d’analyser le discours du MEDEF tenu à l’occasion des Universités d’été pendant deux années consécutives 2016 et 2017.

Durant ces années, l´actualité française est particulièrement suivie dans le monde à cause des événements politiques importants qui ont eu lieu, les attentats terroristes de 2015 (Paris) et de 2016 (Nice) puis les élections présidentielles du printemps 2017.

1.1 But du mémoire et questions de recherche

Le but du mémoire est de comprendre le discours économique français et voir s’il y a une spécificité de ce discours en analysant celui d´un des représentants des acteurs économiques de la France à savoir le MEDEF. Ainsi, il s´agit de décrire le discours

représentant le point de vue des chefs des grandes entreprises qui sont membres de ce groupe d´intérêts.

1Université d'été est le nom généralement donné, en France, à un rassemblement de militants et de responsables d'un mouvement politique ou associatif sur quelques jours à la fin des vacances d'été, en général fin août début septembre. Ces journées ont pour but d'apprendre, d'approfondir ou de réfléchir aux projets du mouvement en question dans un cadre informel et détendu. Pour les partis, l'université d'été marque souvent la

rentrée politique après la trêve estivale. https://fr.wikipedia.org/wiki/Université_d%27été_(politique)

”Consulté en ligne pour la dernière fois le 4 juin 2018”.

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Nous étudierons comment le contexte socio-politique influence les conditions d’énonciation des deux discours et comment Pierre Gattaz en tient compte. Nous regarderons aussi

comment l’image de l’orateur est construite à travers son discours (éthos) (Maingueneau, 2009) en analysant son expression (vocabulaire, métaphores et prosodie) et la disposition de son discours. L´autre question est de voir s’il existe une différence de contenu, de messages et de tonalité entre les deux discours.

1.1.1. Méthode

La méthodologie de ce mémoire est celle de l’analyse du discours. Nous étudierons les allocutions orales, enregistrées sur le site du MEDEF, ainsi que les

transcriptions. La transcription du discours de 2016 est publiée sur le site du MEDEF. La transcription de celui du 2017 est faite par nous. Les deux transcriptions se trouvent dans l’appendice du mémoire.

Les allocutions orales permettent d’étudier des éléments d’ordre gesticulatoire et prosodique. Ce sont des outils de communication dont se sert Gattaz pour présenter sa vision sur l’économie et le rôle que devraient avoir les entreprises dans cette vision. Ils constituent par ce fait des éléments centraux qui doivent être mis en évidence dans notre analyse. En réalité, l´analyse du discours de Pierre Gattaz permet de comprendre le positionnement idéologique des grandes entreprises représentées par cette association. Le MEDEF est un interlocuteur central du gouvernement consulté sur toutes les grandes réformes économiques du pays. Nous analyserons les deux allocutions afin de les comparer et de voir comment l’éthos de Pierre Gattaz se distingue, en utilisant les théories principalement des linguistes Amossy, Maingueneau et Charaudeau. Les théories sont présentées dans le cadre théorique du mémoire. Premièrement, nous regarderons l’éthos préalable qui résume le parcours de Pierre Gattaz pour mieux comprendre sa personnalité et par conséquent comment elle se reflète dans ses allocutions. Étant donné que le locuteur est une personnalité notoire dans le monde

économique et politique en France, nous allons étudier comment cette notoriété se traduit dans les deux discours. Nous analyserons le vocabulaire, l’expression et la disposition des deux discours pour restituer l’idéologie de Pierre Gattaz et décrire le système de valeurs qui se reflète à travers son discours. Nous terminerons l’analyse en discernant l’éthos discursif des deux discours. En faisant une étude comparative des deux discours, nous allons mettre en évidence les éléments discursifs qui les distinguent et qui sont communs. Ainsi nous allons clarifier comment l’image du locuteur est mise en scène à partir de son éthos.

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1.1.2. Corpus

Notre corpus consiste en deux allocutions faites par le président du MEDEF, Pierre Gattaz, à l’occasion des Universités d’été, un événement qui depuis dix-neuf ans a lieu chaque année à la fin du mois d’août. C´est le moment idéal pour faire passer un message politique car la plupart des partis politiques importants organisent leur propre Université d´été à la fin du mois d´août. Chaque Université d’été est introduite par un discours d’ouverture tenu par le président du MEDEF. Nous allons analyser deux discours consécutifs tenus en 2016 et en 2017 encadrant les élections présidentielles de 2017. Le corpus est constitué

d´enregistrements vidéo et de transcriptions de versions vidéo. L’enregistrement vidéo de l’allocution de 2016 dure 24 minutes et 45 secondes, celui de 2017 dure 24 minutes et 19 secondes. La transcription du discours de 2016 correspond à 2 673 mots, tandis que celle de 2017 est de 3 547 mots. Le fait que le nombre de mots soit plus élevé dans son deuxième discours malgré une durée de temps plus limitée peut s’expliquer par le fait que Gattaz parle sans manuscrit. Il y a, comme dans le premier discours, des thèmes qu’il suit, mais sinon le discours est livré d’une manière très improvisée. À partir de la moitié de son discours, Gattaz accélère la vitesse, comme s’il voulait inclure le plus de mots possibles dans chaque énoncé ce qui explique pourquoi le nombre de mots est plus élevé par rapport à la durée. Parler sans manuscrit influe sur la spontanéité du discours et les effets de répétition. Le fait de se répéter en utilisant des anaphores est caractéristique d’un discours politique et Gattaz utilise ces outils rhétoriques dans les deux discours. Dans le deuxième discours, pourtant, beaucoup de ses répétitions sont dues au fait qu’il se perde dans ses mots et dans ses phrases. L’autre effet de parler sans manuscrit est qu’il s’arrête dans son argumentation et ne finit pas ses phrases.

Les deux allocutions sont prononcées au même moment, quasiment à la même date d’une année à l’autre et dans les mêmes conditions. Les deux discours ont également la même visée. Ils s’adressent aux responsables politiques pour les convaincre de prendre des mesures nécessaires afin de créer un climat favorable pour les entreprises en France qui, selon le locuteur, sont les seules entités capables de créer de la richesse et de la croissance au pays pour les citoyens. Les allocutions s’adressent aussi directement aux entreprises en voulant leur inculquer du courage, de l’espoir et de la confiance en l’avenir. Selon la théorie de Maingueneau, nous pouvons parler de quatre paramètres invariables des scènes d’énonciation du corpus : la scène englobante, la scène générique, l’auditoire et la dimension

sociolinguistique, (Maingueneau 1999 : 82-85). Maingueneau explique sur son site,

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« Glossaire Quelques concepts » (Maingueneau, 2018), d’une manière plus approfondie le sens de la scène englobante et la scène générique.

« La scène englobante est celle qui assigne un statut pragmatique au type de discours dont relève un texte. Quand on reçoit un tract, on doit être capable de déterminer de quel type de discours il relève, autrement dit sur quelle scène englobante il faut se placer pour l'interpréter, à quel titre (comme sujet de droit, consommateur, etc.) il interpelle son lecteur […]. La scène générique est définie par les genres de discours particuliers. Chaque genre de discours implique en effet une scène

spécifique : des rôles pour ses partenaires, des circonstances (en particulier un mode d’inscription dans l’espace et dans le temps), un support matériel, un mode de circulation, une finalité, etc. » (Maingueneau, 2018)

Le statut des Universités d’été d’un évènement de notoriété dans le domaine politique et économique est assigné préalablement ainsi que les circonstances temporelles et spatiales. De plus, l’auditoire vers lequel le locuteur se tourne est le même pour les deux discours (chefs d’entreprise, grandes associations, syndicats, groupes d´intérêt) et par conséquent l´auditeur sait à quel type de discours il peut s’attendre. Ceci indique que la scène englobante, la scène générique ainsi que l’auditoire se définissent préalablement et sont les mêmes pour les deux discours.

2. Cadre théorique

2.1 Contexte, contrat, type de discours

Cette partie du mémoire a pour but de donner une vue d’ensembe sur quelques théories modernes qui prédominent dans l’analyse du discours aujourd’hui et qui nous ont inspirée dans notre propre analyse.

La première chose que nous pouvons constater est qu’il ne s’agit pas seulement d’une analyse du texte en lui-même, mais d´une situation de l´énonciation dans son contexte.

Selon Maingueneau l’analyse du discours vise à relever les qualités d’un texte ou d’une énonciation dans la situation où ils sont présentés. L’objet de la recherche n’est ni de relever l’organisation textuelle ni la situation qui l’entoure, mais ce qui les unit à travers une

énonciation donnée (Maingueneau 2005 : 64-66). Le deuxième élément à savoir est que le

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discours est une forme d’action. Toute énonciation constitue un acte qui vise à modifier une situation. Les activités verbales sont en relation avec les activités non-

verbales (Maingueneau, 2007 : 33). Charaudeau évoque également l’idée du contexte en étudiant « les processus de mise en scène et de scénographie, de contrat, de stratégie au sein du discours politique tout en réfléchissant aux questions de l’influence et de la propagande » (Charaudeau, 2015). Il veut montrer que le discours en tant que structure phrastique doit être analysé en rapport avec les dispositifs de mise en scène.

En ce qui concerne le type et la scène de discours, les deux discours qui constituent notre corpus relève du même type et partage la même scène englobante. Il est moins évident de catégoriser la scène générique des discours choisis. Nous nous référons à l’idée proposée par Pierrot dans son mémoire, à savoir qu’il s’agit de discours de

« rassemblement » (Pierrot, 2007). Ce terme est basé sur l’idée qu’au cœur des deux discours se trouve un projet conçu par Gattaz qu’il veut, comme porte-parole des entreprises

françaises, proposer aux gouvernants politiques en France. Ces derniers sont censés réfuter ou légitimer ses propositions. La dimension de rassemblement est particulièrement évidente dans le discours de 2017. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’il y ait un nouveau président élu.

Dans une analyse d’un corpus de 220 000 occurrences d’interventions de quinze patrons français entre 2000 et 2002 publiée sur le site Mots, les deux chercheurs

Nathalie Garric et Isabelle Léglise ont voulu savoir si le discours patronal constituait un exemple de discours économique (Garric, Léglise, 2008). Nous relevons ici quelques conclusions de leur analyse sur les caractéristiques de ce discours. Ces caractéristiques

apparaissent dans une certaine mesure dans les deux discours de Gattaz et sont par conséquent pertinentes pour notre analyse. « Il (le discours patronal) en résulte un dire centré sur la situation et les opérations financières des entreprises, sur les marchés, caractérisé par de très nombreux chiffres indiquant des localisations temporelles et des estimations ou résultats […].

Centrées sur l’acteur dominant qu’est l’entreprise, ces interventions se consacrent aux métiers et à la santé de l’entreprise, à l’environnement et aux risques financiers, qui définissent une vision micro-économique. Elles construisent prioritairement un interlocuteur financier en privilégiant le client au détriment du salarié, de la société, des individus et avant même l’actionnaire […]. Un relevé lexicométrique montre que ce corpus se caractérise par la présence d’un nous, très majoritaire, suivi du pronom je puis de on […]. Enfin, il s’agit de textes foncièrement hyperboliques qui utilisent l’intensité et la comparaison, des procédés de structuration thématique, l’addition et la surenchère pour définir le patron et son entreprise

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comme un idéal dans son secteur d’activité. La justification des dires procède de manière singulière par accumulation et généralisation illustrées par des techniques telles que l’extrapolation ou encore l’exemplification. Le locuteur adopte ainsi une énonciation subjective dans laquelle sa conviction vise à emporter l’adhésion ; il s’affiche comme une entité collective professionnalisée dont le jugement, présenté comme certitude, a force d’argument. » (Garric, Léglise, 2008).

Malgré les ressemblances évoquées qui voudraient dire que Gattaz livre un discours économique ou patronal, nous allons voir au fur et à mesure de l’analyse que le discours de Gattaz est fortement politique. Étant donné qu’il s’agit d’un discours politique, le projet est pour la plupart du temps d’argumenter. Selon Charaudeau, l’organisation du

discours du sujet parlant différera selon des modes argumentatifs. Il peut s’agir selon lui de démontrer, d´expliquer ou de persuader. La persuasion est utilisée pour faire passer une

opinion. Elle ne relève pas tant d’une force logique que d’une force d’adhésion. L’enjeu est de faire adhérer l’interlocuteur ou l’auditoire à une opinion, une forme de croyance ou une vérité propre au sujet parlant. Selon Charaudeau, il existe deux voies de la persuasion, la voie de l’émotion ou celle du pathos.

« Cette voie exploite les ressources de la parole susceptibles de toucher la sensibilité de l’interlocuteur par le choix des mots ou des inflexions de la voix (prononciation, intonation, etc.) la mimique et la gestuelle. Cela passe par la construction d´une certaine image du locuteur, de son éthos qui peut manifester de l’empathie, en jouant sur la flatterie, en exprimant de la compréhension, en se montrant solidaire, en se proposant comme allié ou au contraire en intimidant par les sentiments de peur, de risques ou de désir de vengeance, ou enfin en se parant de l’allure du guerrier, du héros, du chef, prêt à conduire le peuple vers la victoire et le bonheur suprême.

L’autre voie est celle de l’argumentation au sens strict par laquelle sont exploitées les ressources du raisonnement, autrement dit en mettant en œuvre le logos. Les genres de discours publicitaire et politique empruntent la première voie car ils visent à séduire le consommateur ou le citoyen, mais bien souvent les processus de

persuasion émotionnelle et argumentative se mêlent. » (Charaudeau 2017 : 112- 116).

Dans les deux discours de Gattaz, nous allons voir qu’il y a un accent fort sur la voie

émotionnelle de persuasion et que la voie de rationalisation fonctionne comme support de la voie dominante. La voie de la rationalisation chez Gattaz se caractérise par la présence des

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termes (des faits et des chiffres) venant de la macro-économie. Le rôle principal de cette voie est de renforcer la voie émotionnelle et de la rendre crédible.

2.2 L’éthos préalable et discursif

Un autre élément prédominant dans l’analyse du discours est celui de l´éthos. La définition de l’éthos par Ruth Amossy contient deux composantes, l’éthos préalable et l’éthos discursif. L’éthos préalable se définit par l’image que les auditeurs ont de l’orateur. L’éthos préalable est important dans notre étude car il s’agit d’une personnalité connue dans le monde économique et politique en France. C’est ce monde qui constitue les auditeurs des deux discours. L’image de la personnalité de Gattaz existe donc déjà chez les auditeurs avant les deux discours et la perception de ses discours sera fondée à la fois sur ce qu’il exprime dans notre corpus et sur les traits de caractère associés à sa personnalité par ce qu’il a dit ou fait avant. Amossy explique que l’éthos discursif est celui qui permet au locuteur de mieux transmettre ses opinions et d’améliorer son image de soi à travers son discours (Amossy 2000 : 60-66). L’effet de persuasion de la parole dépend, non seulement de ce que dit un orateur à un moment donné, mais aussi des facteurs préalables comme sa réputation ou sa position.

L’effet de persuasion d’un discours peut être renforcé ou affaibli par les idées que se font les gens sur la personne de l’orateur (Amossy 2000 : 69-70).

L’éthos aristotélicien couvre avant tout la dimension discursive. Dans l’analyse du discours contemporain, l’éthos n’est pas seulement une préoccupation d’organisation de la langue dans un discours donné. Pour autant, contrairement à la rhétorique aristotélicienne, l’analyse du discours met l’accent sur des contraintes relevant du domaine discursif, et non sur les choix du locuteur, quant à l’organisation de son discours (Maingueneau 1987 : 31-32).

C’est pourquoi il paraît important d’étudier, de manière plus approfondie, la distinction entre l’éthos préalable d’une part et l’éthos discursif d’autre part. L’éthos est aussi affecté par des éléments extralinguistiques, comme le comportement corporel, les gestes et les expressions faciales.

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3. Analyse des allocutions de Pierre Gattaz

3.1 L’éthos préalable

Pierre Gattaz est un industriel français. C´est le fils d’Yvon Gattaz, chef d’entreprise français et président du Conseil national du patronat français de 1981 à 1986.

L´étude du cadre familial de Gattaz permet de comprendre son point de vue sur l’entreprise et son discours entrepreneurial dont il est imprégné. Le sociologue Pierre Bourdieu parle

d’habitus économique (Bourdieu, 2003 : 84) au sujet d´observations qu´il réalise en Kabylie.

Il remarque un choc entre deux cultures économiques, une culture précapitaliste ignorant les théories du choix rationnel économique et une culture capitaliste fondée sur les valeurs de travail, d´épargne, de rendement qui est apportée par la colonisation. En fait, l´habitus économique est une attitude fondée sur des valeurs travaillées par une culture particulière, c´est-à-dire un ensemble de représentations du monde. Pierre Gattaz souhaite naturaliser des cadres de pensée (entreprise, risques, croissance…) qui sont le produit d´une histoire et d´une culture. La neutralisation de ce cadre est une stratégie pour contraindre les gouvernements à aller dans le sens de ce que veulent les grandes entreprises. D´une certaine manière, Pierre Gattaz souhaite imposer une façon de penser. Le fait qu´il appartienne à une classe dominante et à une famille de grands entrepreneurs lui donne une légitimité pour exprimer ce qu´il pense.

Son objectif est d´être le porte-parole d´une génération d´entrepreneurs. De ce point de vue, il exprime l´habitus d´une oligarchie d´entrepreneurs.

Gattaz est, depuis 1994, le président du directoire et l'un des principaux

actionnaires de l'entreprise Radiall, fondée par son père et spécialisée dans la conception et la fabrication de composants électroniques. Parallèlement à son activité de chef d’entreprise, il exerce diverses fonctions au sein d'organisations professionnelles. Il est élu à la présidence de la principale organisation patronale, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) le 3 juillet 2013. Entre 2007 et 2013, il est membre du comité exécutif de la même organisation. Pierre Gattaz conserve le caractère politique donné par ses prédécesseurs au syndicalisme du MEDEF. Il se prononce à plusieurs reprises en faveur de meilleures conditions pour les entreprises. La croissance des entreprises est pour lui la condition

fondamentale pour créer richesse et croissance en France. Parmi ses premières déclarations, le nouveau président du MEDEF demande une baisse de 100 milliards d'euros d'impôts et

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de cotisations sociales des entreprises, afin qu'elles ne soient plus « asphyxiées, ligotées [ni]

terrorisées »2.

Le plein emploi est également un sujet qui lui tient à cœur. En 2013, le MEDEF, sous l’impulsion de Pierre Gattaz, propose aux entrepreneurs français une ambition

commune : créer 1 million d’emplois en 5 ans si les réformes nécessaires sont menées3. En 2014, Pierre Gattaz détaille les réformes qui permettraient d'aboutir à la création par l'économie française de « 1 million d'emplois en 5 ans »4. -L'essentiel des exigences fut consenti par le gouvernement de François Hollande, par l’intermédiaire d’un crédit d’impôt (le CICE), mais la création d'emploi promise ne vit jamais le jour, fragilisant la crédibilité du président du MEDEF aux yeux d'une partie de l'opinion publique5.Durant sa présidence au MEDEF, Gattaz se prononce à de nombreuses occasions politiques et économiques pour revendiquer et proposer des mesures stimulant la croissance des entreprises et créant le plein emploi. L´Université d´été constitue une référence pour tous les mouvements politiques et économiques (grandes associations, syndicats, groupes d´intérêt). C´est le moment où des messages politiques sont passés et c´est pour cela que les discours prononcés par Pierre Gattaz à l´occasion de l´ouverture de ces Universités représentent une vision générale de l´économie assez typique du positionnement idéologique de son organisation. Une occasion importante est celle des Universités d’été où Gattaz dans son discours d’ouverture fait passer sa vision de l’économie sous la forme d’un discours politique destiné à influencer la politique française.

3.2 Discours d’ouverture de Pierre Gattaz 2016-08-30

3.2.1 Le thème, le vocabulaire, et la disposition

Dans cette partie de l’analyse, nous allons restituer l’idéologie du discours de Pierre Gattaz et décrire le système de valeurs qui se reflète à travers son discours, dans son

vocabulaire et ses expressions. Au moment du discours d’ouverture, la France traverse des

2 Le figaro.fr économie http //www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/07/03/20002-20130703ARTFIG00618- pierre-gattaz-exige-100milliards-de-baisse-des-prelevements.php Site consulté pour la dernière fois le 18 mai 2018.

3 Le Monde.fr http://www.lemonde.fr/emploi/article/2013/10/10/le-medef-veut-creer-1-million-d-emplois- en-cinq-ans_3492965_1698637.htmlv Site consulté pour la dernière fois le 18 mai 2018.

4 Le Monde.fr http://www.lemonde.fr/emploi/article/2014/09/24/pierre-gattaz-oui-il-est-possible-de-creer- un-million-d-emplois_4493160_1698637.html Site consulté pour la dernière fois le 18 mai 2018

5 Le Canard Enchaîné, 20 janvier 2016 ”Gattaz met son pin’s en berne”.

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moments difficiles. Pierre Gattaz n’hésite pas à les rappeler au début de son discours : ”La France a été victime d'attentats à répétition, la France est en proie à des doutes importants sur le plan social, économique, politique, la France semble patiner sur le plan économique depuis plusieurs années, la France est à un tournant de son histoire et à neuf mois d'une élection présidentielle majeure” (Gattaz, 2016)6. Le scénario sinistre est très rapidement changé en un ton plein d’espoir et d’optimisme introduit par une expression répétitive « Et pourtant ! Et pourtant ! ». Après laquelle il fait une confidence à son public. « Je crois fondamentalement et viscéralement dans mon pays, dans son redressement, dans sa capacité de gagner. À la

condition que les réformes soient expliquées, soient acceptées et soient mises en œuvre. » (Gattaz, 2016). Sa conviction est renforcée par les anaphores Et pourtant ! Et pourtant ! et par les expressions répétitives « dans mon pays, dans son redressement, dans sa capacité de gagner. À la condition que les réformes soient expliquées, soient acceptées et soient mises en œuvre. ». Il utilise l´adverbe « viscéralement » pour signaler la profondeur de sa conviction et son engagement passionné. Le verbe « gagner » est aussi utilisé comme métaphore indiquant que la France a une bataille à mener et qu’il y a des adversaires ou des ennemis à combattre (qui seraient dans ce répertoire l´absence de réformes et le pessimisme).

Gattaz introduit ensuite les deux thèmes de l’Université d’été de l’année : Y croire. Et agir. Il définit Y croire comme « avoir foi dans un projet, une vision, une conviction avec l’optimisme, qui nous caractérise tous, chef d’entreprises, et qui devrait tous nous rassembler, nous français. ». Il fait des analogies à plusieurs domaines et utilise les métaphores pour renforcer son message : « En montagne c’est atteindre la cime ». « En mer c’est rallier le port ». « En sport c’est franchir la ligne d’arrivée. […]Quant à Agir, c’est pour lui ”décider, prendre des risques, oser, produire des résultats. Entreprendre ». En filigrane, c´est la

métaphore du capitaine d´industrie (Fanon, 1968 : 96) qui se dégage, celui qui dirige le pays et conduit les autres à bonne destination. À travers ces deux thèmes, Gattaz fait passer son idéologie et son système de valeurs qui sont égaux aux valeurs du monde des entreprises.

Quand il s’agit du thème de la croyance, il rejoint à la fois les chefs d’entreprise et le peuple français en disant que ses définitions de la croyance « nous caractérisent tous, chef

d’entreprises, et devraient tous nous rassembler, nous Français ». L’autre thème Agir met en valeur les caractéristiques d’une entreprise et celles d’une chef d’entreprise et se mue en

« Entreprendre ». L’allocution qui suit est organisée autour de cinq actions principales qui sont nécessaires pour mobiliser les notions de Croire et Agir :

6 Tous les extraits suivants sont tirés du discours de Pierre Gattaz lors de l´Université d´été d´août 2016.

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« Évaluer la situation Se fixer un objectif Construire une solution

Décider d’un plan d’action ou des réformes à mener

Identifier les conditions de succès avant de passer à l’action ».

3.2.2 Évaluer la situation

Dans la première partie, « Évaluer la situation », il décrit la situation de la France sous quatre perspectives différentes, qu’il appelle « les quatre ruptures fondamentales » (Technologiques, Économiques, Sociétales, Environnementales). Pierre Gattaz ne parle pas de crise mais « d’une mutation profonde de l’économie et de notre société », provoquée par les quatre ruptures fondamentales. Au lieu d’utiliser le mot « crise », qui a été surutilisé dans le discours public, il introduit le mot « mutation », un mot inattendu et nouveau dans ce contexte qui fait association plutôt à la science et à la médicine indiquant des transformations rapides et radicales. Le fait d’utiliser ce mot par analogie lui permet d’affiner son discours. L’élan de cette partie du discours ne va pas se limiter à exprimer ses idées sur l’économie, mais aussi ses idées sur la mondialisation. Les « ruptures » ou transformations qu’évoque Gattaz ne sont pas uniques à la France mais sont valables pour tous les pays qui vivent dans une économie globale. Pour Gattaz la mondialisation est « une opportunité majeure pour notre économie, car c’est le vecteur de croissance le plus simple et le plus rapide pour nos entreprises. »

Selon Gattaz, les « ruptures » qu’amènent la mondialisation sont des opportunités de croissance et d’emploi et il pense que « la France est l’un des pays les mieux placés pour affronter les défis dans tous les domaines de la transformation ». Pour chaque « rupture », il se fixe un objectif visionnaire pour la France. En ce qui concerne les ruptures technologiques, son credo pour la France est Devenir « la Silicon Valley de l’Europe » à un horizon de 10 ans.

Quant aux ruptures d’ordre sociétal, il propose « une nouvelle voie économique et sociale que certains nomment l’entreprenalisme. C’est-à-dire un libéralisme humain, de sens et de

valeurs, qui accompagnerait les millions de Français voulant entreprendre ». Parlant d’ « entreprenalisme », il introduit une idéologie nouvelle ainsi qu’un néologisme pour désigner la société économique et sociale qu’envisage Gattaz. Pour la première fois il s’adresse directement aux candidats des élections présidentielles sur place en les incitant :

« Cette nouvelle voie doit être un thème fondamental de la campagne présidentielle de 2017 ».

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3.2.3 Se fixer un objectif

Dans cette partie du discours, il essaie de se présenter de manière pragmatique en évoquant les grandes ruptures et les défis qui sont lancés aux entrepreneurs. Mais en même temps, il veut imposer une vision de l´entreprise en proposant une nouvelle voie économique et sociale, l’entreprenalisme7. La deuxième partie du discours parle des objectifs que la France doit se fixer. Pour Gattaz « l’objectif de croissance ambitieuse et le plein emploi, doit être la clef de voûte d'une politique économique et sociale digne de ce nom qui devra représenter 70

% de tout programme politique des candidats à la présidentielle ». Dans ce discours, Pierre Gattaz souhaite neutraliser les différences idéologiques pour affirmer le primat d´un diagnostic qui s´imposerait à tous les candidats.

Gattaz s’adresse directement aux candidats à la présidentielle en les exhortant à prendre des mesures nécessaires : « ce que j'attends de chacun des candidats, et nous allons pouvoir les écouter lors de cette Université d’été, c'est qu’il nous explique précisément par quelles reformes il va emmener la France vers la croissance et le plein emploi. ». Faisant ainsi, son discours devient plus revendicateur et plus politique. Sa prise de position est justifiée par le ressentiment qu’il a envers le chômage. Ce ressentiment est exprimé en utilisant les phrases répétitives commençant par la conjonction de subordination parce que.

« Parce que le premier fléau de notre pays c’est le chômage.

Parce que c’est la préoccupation majeure de nos concitoyens, après la sécurité́.

Parce que le chômage de masse affaiblit notre pays depuis trop longtemps.

Parce que nous n’avons pas tout tenté contre le chômage, loin s’en faut ».

3.2.4 Construire une solution

Selon Pierre Gattaz, seule l’entreprise est capable de créer croissance et richesse pour la France et l’emploi et fierté pour les Français. Il prononce ce qu’il appelle « une solution simple et radicale » : […] mettons, durablement et définitivement, l’entreprise au cœur de toutes nos politiques publiques. Et il faut l'assumer, le revendiquer. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. » L’entreprise est mise en valeur de façon intéressante par Gattaz.

Sa revendication pour l’entreprise fait allusion à un discours amoureux où l’un des partenaires

7 https://www.challenges.fr/entreprise/l-entreprenalisme-nouvelle-doctrine-du-patronat-pour-sortir-du- liberalisme-clivant_422343 Site consulté pour la dernière fois le 18 mai 2018.

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ne reçoit pas l’amour et l´attention qu’il mérite. Le passage qui suit exprime les valeurs centrales de Gattaz. Il poursuit l’idée de voir l’entreprise comme un être humain et comme une communauté humaine basée sur « l'esprit d'équipe, le respect mutuel, l’éthique, la solidarité́, la bienveillance et le plaisir partagé. » Il impose une vision de l’entreprise par des anaphores :

« L’entreprise c’est un homme ou une femme au départ. Un homme ou une femme qui a eu un rêve, et qui est passé du rêve au projet, puis du projet à l'entreprise […]. L’entreprise, c’est aussi une communauté́ humaine, qui partage des valeurs ». « L’entreprise, c’est un lieu d’épanouissement et d'intégration ». Il y a une dimension très humaine et sociale de cette partie du discours. Les perspectives économiques les questions liées à la performance économique ne sont pas du tout évoquées car l´entreprise est perçue dans une dimension naturelle et humaine. Il termine en disant qu’il n’ y a pas d’opposition entre la performance économique et l’épanouissement humain. « Arrêtons d’opposer performance économique et épanouissement humain, comme certains le font quotidiennement. Pour moi, il n'y a pas de performance économique durable, sans épanouissement humain ». Cela est au cœur de la matrice discursive proposée par Pierre Gattaz, l´entreprenalisme comme libéralisme à visage humain. En d´autres termes, on insiste plus sur le leadership humain que la structure et le fonctionnement de l´économie.

3.2.5 Décider d’un plan d’action ou des réformes à mener

Dans ce passage, Gattaz va proposer des réformes à entreprendre. Il s’exprime tout au long de l’allocation au mode impératif, à la première personne du pluriel. Ceci indique que lui, en tant que chef d’entreprise et en tant que porte-parole des chefs d’entreprises, s’inclut dans le programme de changement qu’il propose aux politiciens. Il l’exprime dans la phrase en concluant : « Nous, MEDEF, allons continuer de travailler sur ces quatre blocs de reformes dans les prochaines semaines et prochains mois, de façon à alimenter les programmes des candidats à la présidence de la république pour qu’ils puissent mettre en œuvre de vraies réformes qui changeront la donne. »

« Cessons de surtransposer…. »

« Cessons de produire une réglementation… »

« Cessons d’accumuler les lois… »

« Cessons de considérer les entreprises comme des ennemis »

« Revalorisons les métiers techniques… »

« Considérons la formation… »

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L’usage de la première personne au mode impératif a pour effet d’atténuer son expression qui aurait pu paraître comme trop frontale s’il s’était exprimé à la deuxième personne du pluriel au mode impératif. D’autres caractéristiques de cette partie sont les usages des anaphores et du verbe devoir « trop d’impôts tuent l’impôt. Notre fiscalité doit devenir simple[…]. Elle doit être compétitive […]Elle doit être motivante […]Trop de charges tuent les entreprises et donc l’emploi. Trop de contraintes sociales tuent le social et tuent l’emploi. Notre marché du travail doit inciter à la création d’emplois. Notre dialogue social doit être plus simple. Trop de bureaucratie tue l’agilité et la rapidité. Trop d’académisme tue le savoir-faire et les métiers ».

D’une manière indirecte, Gattaz exprime une critique forte, en parlant de « tuer », dans

beaucoup de domaines de la société française. Les réformes sont nécessaires sinon la situation actuelle risque de « tuer » les conditions de succès de l’entreprise.

3.2.6 Identifier les conditions de succès avant de passer à l’action

« Comme je le dis souvent, il faut aller d'une culture de contraintes, contrôles, sanction, qui alimente la méfiance à une culture de conseil, d’entraide et de motivation, qui alimente la confiance. Et cela dans tous les domaines ». Dans cette partie, Gattaz quitte le monde des entreprises et évoque les conditions de succès pour réussir la transformation de la France. Pour lui il y en a trois, toutes d’ordre culturel, restaurer la confiance, encourager la prise de risques, célébrer la réussite. Ici, nous avons l’impression que c’est le chef d’État qui parle à tous les Français. Il le fait en utilisant une lange métaphorique et anaphorique « pour bâtir une France qui gagne », « c’est faire confiance », « c’est de passer d’une France des impossibles à une France de tous les possibles » ; « Sans confiance, pas de croissance, pas d’investissement et pas d’embauche. ». Quand il parle d’encourager la prise de risques, il fait une allitération avec les mots « risque » et « rente », « De favoriser le risque plutôt que la rente ». Une autre caractéristique rhétorique de cette partie c’est de mettre en opposition

« ….ceux qui travaillent par rapport à ceux qui ne travaillent pas, ceux qui osent par rapport à ceux qui n’osent pas. » pour renforcer la nécessité d’avoir une réglementation qui favorise la prise des risques.

Gattaz exprime très ouvertement que l’audace et la prise de risque doivent être récompensées par la réglementation et il n’hésite pas à exprimer une dévalorisation du point de vue opposé. Dans son discours, Pierre Gattaz réutilise un procédé classique des discours politiques, celui du jeu de l´exclusion/inclusion entre les véritables entrepreneurs soucieux de croissance et de biens communs (« nous ») et « ceux » qui rejettent la valeur du risque et du travail. Cette opposition est réglée par un système de contraintes externes (les anaphores

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« trop de »…) où Pierre Gattaz demande à ce que l´État soit au côté de ceux qui entreprennent et qui investissent en leur facilitant la tâche par des mesures de défiscalisation et

simplification administrative. En filigrane, Pierre Gattaz demande implicitement au pouvoir politique de faire un choix clair entre les entrepreneurs, les gagnants, et les perdants, ceux qui n´investissent pas et qui ne croient pas en la valeur du travail. À la fin du discours, Gattaz conclut que c’est la tâche du futur président ou de la présidente de la République d’agir conformément aux idées évoquées dans son discours. Ensuite, il s’adresse directement à son public premier, les chefs d’entreprise en les remerciant à plusieurs reprises. Sa croyance en les entreprises et aux chefs d’entreprises, en ceux qui osent, se traduit dans une de ses dernières phrases : « Vous êtes la solution aux problèmes de notre pays ».

3.3 Discours d’ouverture de Pierre Gattaz 2017-08-29

En inauguration de la 19e Université d'été du Medef, qui s'est ouverte le 29 août 2017, Pierre Gattaz livre un discours volontariste sur une France rêvée, où des réformes nécessaires seront mises en place dans les domaines du marché du travail, de la fiscalité, de la formation professionnelle et de la simplification administrative.

3.3.1 Les thèmes, le vocabulaire et la disposition

L’introduction du discours de Gattaz est intéressante sur plusieurs aspects. En répétant qu’il « a fait un rêve pour la France en 2030 », il n’hésite pas à plagier Martin Luther King. En le faisant, il se place au même niveau qu’une personne connue mondialement et qui a laissé des marques dans l’histoire comme le grand leader du mouvement des droits des ressortissant noirs aux États-Unis. Par analogie, Gattaz veut apparaître comme le grand leader des chefs d’entreprises françaises laissant des marques dans l’histoire de la politique

française. Le ton de sa voix révèle que c’est le visionnaire qui parle, mais c’est aussi le chef des chefs des patrons qui va se tourner directement à ses « troupes » pour les honorer et les inculquer du courage. En s’adressant à son auditoire, les chefs d’entreprises, il les appelle

« les héros de la nation en espérant qu’en 2030 vous serez reconnus comme des héros de la nation », indiquant que ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les actes héroïques des chefs

d’entreprises sont exemplifiés dans des énoncés anaphoriques : « Vous êtes ceux qui créez la croissance, ceux qui créez la richesse, ceux qui créez l’emploi, ceux qui intégrez les

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minorités, ceux qui faites vivre des familles, ceux qui galérez tous les jours, qui tombez, qui redressez. ». Il termine en les remerciant à répétition : « Merci, merci pour ce que vous êtes, merci pour ce que vous faites et bravo! ». En s’exprimant ainsi, il renforce l’image héroïque des chefs d’entreprises dont il est lui le patron et en le faisant il renforce aussi sa propre image de héros. Malgré le message positif qui est plein d’espoir, le ton du discours a aussi un côté fataliste. C’est maintenant ou jamais que les changements nécessaires doivent avoir lieu. «Si nous ne bougeons pas, si nous ne changeons pas, si nous changeons pas nos modèles nous n’y arriverons pas. ». Dans son discours. il montre qu’il compte sur Emmanuel Macron, élu président de la France quelques mois avant l’événement. Macron est évoqué d’une manière directe à deux reprises dans le discours par Gattaz, à la fois en espérant, mais aussi en exhortant qu’il agisse selon les propositions du MEDEF.

« Et cette loi de travail sera le curseur je dirai du mandat d’Emmanuel Macron, de sa volonté à vraiment réformer. » Il évoque la réforme fiscale: « c’est aussi extrêmement important, ça sera le deuxième marqueur fort du quinquennat d’Emmanuel Macron pour savoir s’il veut vraiment réformer la France. » Sur les deux thèmes sous-jacents, confiance et croissance, auxquels il n’y a pas de références directes dans le discours, Gattaz organise son allocution dans quatre blocs, correspondant aux quatre réformes sur lesquelles il va insister.

Nous pouvons noter que la disposition des discours de 2016 et 2017 se ressemble en utilisant des blocs autour desquels ses allocutions seront présentées. Dans le discours du 2016 les blocs se constituent en « cinq actions principales », dans celui de 2017 ce sont les quatre réformes nécessaires que le gouvernement doit mettre en place.

Le point du départ du discours de 2017 est de décrire son rêve, comment Gattaz voit la France en 2030. Il rêve d’une France « forte socialement et économiquement, fière d'elle- même, de ses talents, de ses compétences. Une France confiante qui aura su profiter des mutations technologiques, démographiques, sociales et sociétales, formidables sources d'opportunités de croissance pour notre pays ». Une France, enfin, « influente », dont le rôle décisif en Europe et dans le monde sera d'autant plus facilité qu'elle aura retrouvé des résultats économiques. Le ton visionnaire est renforcé par les anaphores de l’énoncé « Je rêve d’une France » et du mot « fière ». Les anaphores sont aussi présentes dans les énoncés suivants :

« Mais diversité, source de création, d’innovation […], d’une économie qui est ouverte, qui se mondialise, qui bouge dans tous les sens […], d’une France qui a su réconcilier l’entreprise, l’économie du marché, le monde de l’économie avec tous nos compatriotes, avec le monde de l’économie, de l’éducation, le monde politique, le monde médiatique. En parlant des

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mutations sociales et sociétales, il déclare : « l’esprit d’entreprise de notre jeunesse, de notre jeune génération. Leur soif de liberté, leur soif d’entreprendre […]. Mais tous nos besoins sociétaux, de nous tous, de nos compatriotes : mieux se loger, mieux se déplacer, mieux vieillir, mieux se soigner, mieux travailler ». Nous reconnaissons également la notion des grandes mutations qui paraît dans les deux discours. Dans celui de 2017, Gattaz insiste davantage sur le rôle de la France dans le monde. Il introduit « les mutations

démographiques » en faisant référence à l’Afrique et à l’Asie qui se sont réveillées ou qui sont en train « de se réveiller ». « Le monde est à équiper » et la France a les atouts nécessaires pour le faire. La notion d’une France influente dans l’Europe et dans le monde revient à plusieurs reprises. Il exprime cette notion en utilisant des adjectifs forts en parlant « d’une France influente, influente dans l’Europe, d’une France qui a un rôle plus important, décisif en Europe et puis une France influente sur le plan mondial ». Là encore, on se rend compte que le discours de Pierre Gattaz ressemble à un discours politique que l´on pourrait trouver dans la bouche de celle d´un Président de la République.

3.3.2 Un nouveau modèle économique et social français

Quand il introduit son nouveau modèle économique et social français, il revient sur le rôle de la France dans l’Europe et dans le monde. Il parle « d’un modèle économique

pleinement acteur de l’Europe, c’est un modèle qui a compris que l’Europe c’est notre nouvelle frontière. Enfin un modèle pleinement intégré au monde […], mais dans un mode gagnant-gagnant, dans un mode de co-développement et je pense beaucoup à l’Afrique au continent Africain qui va avoir un réveil colossal à faire économiquement et la France est sans doute l’un des pays le mieux placés au monde, par sa culture, son histoire pour raccompagner dans un mode gagnant-gagnant en toute humilité et pour en effet créer des entreprises et de l’emploi, le calme en Afrique ». Le paragraphe montre la position prise de Gattaz sur la mondialisation. Pour lui il s’agit de mener une conquête du monde pour l’innover et l’améliorer. Non pas de la manière dont les colonialisations se faisaient au 20e siècle, mais

« dans un mode gagnant-gagnant ». Le monde est à gagner dans un champ de bataille et c’est la France qui a plus de chances de remporter le marché mondial. L´entreprenalisme et le partenariat avec l´Afrique ont remplacé le mode colonisateur des siècles précédents.

Cependant, on note dans le discours économique cette idée qu´il y a de nouveaux mondes à découvrir et que la croissance est le résultat de cet esprit de conquête.

La France signifie ici dire les entreprises françaises. Étant donné que Gattaz est le chef des chefs d’entreprises en France on a l’impression que c’est lui in persona qui va mener la

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conquête du monde, d´où cette dimension de « capitaine d´industrie » (Fanon, 1968 : 96) que nous pouvons commenter en termes postcoloniaux. Le discours économique de Pierre Gattaz ressemble à un discours politique de conquête mettant en évidence l´idée d´une colonisation économique du monde par la France. La dimension sociale est très prononcée dans le nouveau modèle de Gattaz. « C’est un modèle profondément humain qui ne laisse personne au bout de la route, qui accompagne qui motive, qui ”manage” ». La responsabilité sociale est dans les mains des chefs d’entreprises qui doivent assurer que les employés soient « épanouis, accompagnés et managés » leur donnant « un bagage pour toute leur vie par la formation permanente et par l’employabilité ». Il utilise le mot ”employabilité” qui est devenu un mot- clé en parlant du développement du marché du travail. C’est un mot qui a surgi quand le marché du travail a commencé à subir des changements rapides poussés par la mondialisation et la compétition, qui vont avec, et ensuite renforcé par les défis qui amènent la numérisation influençant tous les acteurs du marché du travail. Pour être compétitives, les entreprises et leurs employés se rassurent d’avoir la compétence nécessaire. Comme dit Gattaz quand il explique son modèle : « Et surtout c’est un modèle qui a compris que l’emploi à vie, c’était de moins en moins courant et ce sera encore moins et donc qui permet de donner un bagage à nos compatriotes, à nos collègues, à nos collaborateurs ». La nouvelle économie du marché du travail implique une flexibilité qui paraît menaçante pour les acteurs du marché du travail, notamment les salariés et les syndicats. Un avenir imprévisible crée souvent de l’insécurité résultant d´une résistance pour vouloir faire des changements nécessaires. C’est pour cela que Gattaz s’efforce tellement de peindre ce nouveau marché du travail comme à la fois attirant et sécurisant. Le nouveau modèle économique et social français tient compte aussi de

l’environnement d’une manière profondément respectueuse, « conscient du réchauffement climatique, conscient de la transition énergétique et de la raréfaction des ressource terrestres et donc acteur du développement durable. »

En évoquant les aspects économiques, sociaux et environnementaux d’une France influente dans l’Europe et dans le monde, Gattaz veut prouver dans sa vision pour 2030 que le MEDEF et lui en tant que chef des chefs d’entreprises est un acteur sur lequel on peut

compter et sans lequel il sera impossible de construire un modèle qui va permettre à la France de réussir.

3.3.3 Les quatre réformes nécessaires

Au début de cette partie du discours, où les réformes nécessaires à mettre sur place sont décrites, Gattaz fait allusion à Saint-Exupéry « fais de ta vie un rêve et de ton rêve une

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réalité ». Après cette référence littéraire, son discours va devenir plus pragmatique sur le plan politique. « si nous changeons pas nos modèles nous n’y arriverons pas. Si nous restons dans les postures, politiques politiciennes, d’idée d’opposition, de lutte de classe je crois qu’on n’y arrivera pas. », il a déjà pris une position forte politiquement en dévalorisant le discours politique classique français et en mettant au-dessus les valeurs économiques. Pour faire conscience au monde qui bouge par ses mutations (un fait dont lui et ses chefs d’entreprises sont au courant), il utilise une assertion, « ce ne sont pas les plus grands qui vont manger les plus petits, ce sont les plus agiles, les plus rapides qui vont manger les plus lents », venant du livre It's Not the Big That Eat the Small. It's the Fast That Eat the Slow : How to Use Speed as a Competitive Tool in Business (Jennings, Haughton, 2002). Pour décrire l’évolution du marché du travail mondial il fait référence aux notions de base sur le management venant des théories américaines. Il veut ainsi exhorter les politiques à avoir cette assertion, qu’il appelle

« extrêmement importante, brasée ou ressassée éternellement », en tête et de les faire

comprendre l’urgence de changer le marché du travail pour qu’il soit plus adapté et flexible.

Pour revendiquer les réformes dont la France a besoin, Gattaz va ensuite parler des conditions dans lesquelles fonctionnent les entreprises françaises. Il le fera d’une manière très réaliste et pragmatique, en utilisant beaucoup d’exemples. Des exemples où il se met souvent lui-même à côté des chefs d’entreprises de toutes catégories pour expliquer la situation à laquelle les entreprises se heurtent. Il évoque quatre exemples dont chaque exemple correspond à une réforme spécifique

Le fait de personnaliser et renforcer la côte humaine dans cette partie du discours pour après présenter ses revendications concrètes, basées sur des faits réels, est un essai de rendre son allocution plus persuasive. « Pourquoi vous n’embauchez pas? Qu’est-ce qui vous empêche de vous développer? Et depuis quatre ans on me fait toujours les mêmes réponses, première chose on me dit : ”Pierre j’adorerais embaucher, c’est mon rêve, mais j’ai peur. J’ai peur d’embaucher en France, trop compliqué, trop risqué trop aléatoire, trop coûteux ».

L’exemple illustre le besoin de simplifier le code de travail. Gattaz exprime d’une manière métaphorique qu’il s’agit de « déverrouiller les verrous pour faire que l’écriture des

ordonnances soit simple, lisible, applicable par nos TPE, PME principalement et qu’en effet il y ait des curseurs dans les ordonnances […]. Je leur ai dit mais accompagnez, venez avec moi.

Moi je vais en Inde fin novembre, à Nairobi fin novembre […]. Non mais je n’ai pas les marges. Je ne peux pas quitter mon entreprise, je n’ai pas le cash. J’aimerais bien embaucher

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un apprenti, j’aimerais bien former mes salariés mais je n’y arriverai pas, je n’ai pas l’argent, je n’ai pas les marges… ».

Présenté sous la forme d’un dialogue très réaliste entre Gattaz et un chef d’entreprise, où l’image du chef d’entreprise et les conditions dans lesquelles il fonctionne sont plutôt sinistres, le locuteur veut mettre l’accent sur l’importance d’une nouvelle réforme sur la fiscalité qui doit être baissée pour permettre aux entreprises d’améliorer leur marge. Il montre ainsi une forme d´empathie en montrant ce que ressentent les chefs d´entreprise. Les exemples qu’il utilise pour argumenter sont très concrets. Il compare les marges des

entreprises françaises, qui doivent passer de 28 à 32 pour cent avec celles de « nos collègues européens » qui sont autour de 40 pour cent. Il évoque aussi que toutes les taxes pour les entreprises ont augmenté de 10 à 20 pour cent depuis quatre ans.

« Je suis tétanisé, je passe trois heures par jour à faire de la paperasserie. Je n’en peux plus. J’attends mon autorisation de m’implanter depuis dix-huit mois…”. Il faut

simplifier notre bureaucratie, notre technocratie ». Ce troisième exemple parle de la simplification administrative. C’est un sujet que Gattaz adore « parce qu’il n’est pas politique. ». Pour simplifier, « il faut du courage, il faut de la détermination, il faut de

l’autorité, il faut un brin de génie ». Il fait référence à Apple et au Smartphone en illustrant ce qu’il demande à l’administration et aux fonctionnaires. « Faites nous un environnement simple d’utilisation même s’il peut être extrêmement complexe derrière! Et je crois que c’est important. Pour moi, le vrai génie, ce n’est pas de maitriser la complexité, c’est de se

simplifier la complexité ». Son expression est anaphorique en utilisant « il faut » à plusieurs reprises. Il exhorte d’une façon directe l’administration française en leur demandant « un environnent simple… même s´‘il est complexe derrière ». Il utilise des mots opposés

« simple-complexe » ainsi que des oppositions et des présentatifs dans les deux derniers énoncés « ce n’est pas de… », « c’est de… ». « Ce qui ne trouvent pas de talents, pas les compétences pour certains métiers. C’est le cas de Radiall (dont Gattaz occupe le poste du président du directoire), Il faut impérativement trouver les talents, faire une réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle et inciter au travail ».

Gattaz insiste sur la nécessité de mettre en place des réformes pour la formation et pour l’apprentissage pour des triples raisons : Les entreprises ont besoin de trouver les talents et les compétences nécessaires, les jeunes doivent trouver par l’apprentissage d’un métier, un travail, un premier emploi. Les salariés doivent se former tout au long de la vie pour se rassurer d’avoir la compétence nécessaire sur un marché du travail en pleine mutation.

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