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Dieu, le monde et l’homme: Une analyse sur la liberté d’action et la conscience chez quelques personnages du XVIIe siècle

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Mémoire de licence

Franska III, Sarah Chiche Dieu, le monde et l’homme

Une analyse sur la liberté d’action et la conscience chez quelques personnages du XVIIe siècle

An analysis of free will and conscience in some 17th century characters

Författare: Sarah Chiche Handledare: André Leblanc Examinator: Mattias Aronsson Ämne/huvudområde: Franska III Kurskod: GFR2AS

Poäng: 15 hp

Ventilerings-/examinationsdatum: 17 december 2020

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2 Résumé :

Corneille et Racine sont deux auteurs emblématiques de la tragédie classique du XVIIe siècle.

L’objectif de ce mémoire a consisté en une analyse et une réflexion à travers des personnages féminins et masculins sur un corpus de quatre de leurs œuvres en matière de libre arbitre et de conscience. Ces personnages représentent le héros tragique, issus de l’aristocratie et/ou de sang royal. Notre choix des œuvres s’est porté pour Corneille sur - Polyeucte et Le Cid - et pour Racine sur - Andromaque et Polyeucte. La méthode est basée sur le livre Le dieu caché de Goldmann plus particulièrement sur son concept des trois sphères : du divin, du monde et de l’homme. L’analyse, a porté sur la capacité des protagonistes à utiliser le libre arbitre, à faire usage de la volonté et sur la notion de conscience.

La complexité de cette étude a résidé dans la complexité des personnages et dans la coexistence des trois sphères du divin, du monde et de l’homme, à l’intérieur desquelles il y a différentes subtilités, d’autant plus que les sphères interagissent entre elles.

De ce fait, cela génère la complexité de mesurer le degré de volonté, le libre arbitre des personnages. Par ailleurs, à travers les tragédies étudiées, nous pouvons voir la place centrale de la femme, la différence de l’homme et de la femme en ce qui concerne le libre arbitre, la place des émotions chez les personnages.

Mots-clés : XVIIe siècle, tragédie, Racine, Corneille, libre arbitre.

Abstract :

Corneille and Racine are two emblematic authors of the 17

th

century classic tragedy. It features characters of high rank from the nobility and/or from royal blood. The aim of this thesis is an analysis and a reflection, through female and male characters on a corpus of four of their works, in the field of free will and consciousness. These characters represent the tragic hero, coming from the aristocracy and/or of royal blood. Our choice is for Corneille, Polyeucte and Le Cid and for Racine, it is Andromaque and Britannicus. The method is based mainly on Goldmann’s book Le dieu caché and mainly the concept of three spheres: of the divine, the world and mankind. The analysis is focused on the protagonists’ ability to use free will, to make use of the will and on the notion of consciousness.

The complexity of this study has been in the complexity of the characters and in the coexistence of the three spheres of the divine, of the world and of mankind, in which there are various subtleties especially since the spheres interact between them.

By the same ways, it is complex to measure the will, free will of the characters. Through the studied tragedies, we can see the central place of women, the difference between man and woman in the matter of their free will, the place of emotions in characters.

Nyckelord : 17th century, tragedy, Racine, Corneille, free will.

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Table des matières

1 Introduction ... 4

1.1 But et Problématique ... 4

1.2 Méthode et structure ... 5

1.3 Choix méthodologique ... 6

2 Cadre théorique ... 6

2.1 Définition du libre arbitre ... 6

2.2 La notion de conscience ... 9

2.3 Antagonisme religieux au XVIIe siècle et/ou la place de Dieu ... 10

2.4 Les trois sphères ... 11

2.5 Être, vouloir et vouloir-être ... 12

3 La tragédie, reflet de l´idéal classique ... 12

3.1 Les codes de la tragédie et le héros tragique ... 12

3.2 Le choix cornélien et racinien ... 13

4 Analyse des personnages ... 15

4.1 Les personnages féminins ... 15

Pauline de Corneille (Polyeucte) ... 15

Hermione de Racine (Andromaque) ... 22

4.2 Les personnages masculins ... 27

Rodrigue de Corneille (Le Cid) ... 27

Néron de Racine (Britannicus) ... 33

5 Les schémas féminins/masculins au regard du libre arbitre ... 38

5.1 Résultat pour Corneille ... 38

5.2 Résultat pour Racine ... 39

5.3 Corneille et Racine ... 40

Les similitudes ... 40

Les différences. ... 40

6 Conclusion ... 41

7 Bibliographie ... 43

7.1 Œuvres étudiées ... 43

7.2 Ouvrages, articles consultés et ressources électroniques ... 43

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4

1 Introduction

Le XVII

e

siècle est marqué par l'avènement de Louis XIV, le Roi Soleil, qui a instauré une monarchie absolue. Ainsi Versailles est créée par la seule volonté du roi. Ce dernier montrait de l'intérêt dans de nombreux domaines avec un goût marqué pour le beau, l’esthétique, la perfection, notamment de la nature. Tout doit être conçu en bon ordre, rigueur et symétrie. Par son influence, on retrouve ces derniers critères dans l’art et la littérature. Sur le plan religieux, ce siècle est marqué par une grande ferveur religieuse. A cet égard deux courants s’opposent : les jansénistes et les jésuites. Pour les premiers, tout vient de Dieu, l’homme est donc prédestiné car seul Dieu peut le sauver en dépit de ses actes. Pour les seconds, la liberté personnelle prime dans ses décisions, le salut est possible par ses comportements et ses actes. Sur le plan littéraire, le XVIIe siècle s’inscrit dans le mouvement du classicisme dans lequel, comme il vient d'être dit, on retrouve des règles d'harmonie et de morale. Le déterminisme historique et social influence le théâtre classique du XVIIe siècle où la bienséance et l’harmonie se doivent d’être respectées.

Le déterminisme renvoie à la notion de la liberté d’action, au pouvoir de la décision, à la volonté morale et personnelle, au libre arbitre. La question primordiale est de déterminer l’usage du libre arbitre, l’impact de la situation sociale sur les œuvres et à travers l’existence de variations selon le sexe des personnages, leur statut et leur situation morale. Dans la tragédie, en particulier celle de Racine (1639-1699) et de Corneille (1606-1684), le héros est confronté à des conflits, aux passions humaines qui en appellent à son sens du devoir, de la culpabilité et de la responsabilité. La tragédie soulève les questions du libre arbitre et du rôle de la conscience morale qui permet au héros de distinguer le bien du mal et le rend responsable de ses décisions et de ses actes.

1.1 But et Problématique

L’objectif de ce mémoire a consisté en une analyse et une réflexion sur l’existence du libre arbitre et de la place de la volonté chez des personnages féminins et masculins dans quatre œuvres où ces thèmes sont présents.

Il apparaît que les termes de volonté, de liberté d’action, de choix en toute connaissance de cause se réfèrent à la notion du libre arbitre. Corneille et Racine ne posent-ils pas implicitement la question du libre arbitre et de la volonté dans la prise de décision de leurs personnages ?  Y a-t-il une approche différente du libre arbitre selon le sexe des personnages ?

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5 1.2 Méthode et structure

Dans la tragédie, compte tenu du contexte historique où les personnages doivent représenter la morale, le respect de la morale, des convenances, des règles, dans une société où la vraisemblance, la non-violence sur scène et la religion ont une place primordiale. Dans ce travail, qui se veut une recherche sur les modalités du libre arbitre dans la tragédie au XVIIe siècle, l’analyse se basera autant sur un plan littéraire que philosophique.

Nous effectuerons une division en quatre parties. Le cadre théorique s’inscrit dans la

démarche sociocritique et historique. Dans le cadre théorique, nous définirons tout d'abord la

notion de libre arbitre en règle générale et également telle qu'elle peut être comprise à cette

époque. Nous nous référerons à Descartes, philosophe contemporain de ce siècle dont l´analyse

est pertinente en ce qui a trait au libre arbitre. Il y a une autre source lexicographique : Le Grand

Robert. Notre analyse abordera également la définition des mots : volonté, liberté,

déterminisme et fatalité liés à la définition du libre arbitre. Nous poursuivrons avec la notion de

conscience puis avec le contexte religieux. Pour clôturer ce chapitre, nous définirons les trois

sphères : le divin, le monde et l’homme et enfin nous expliquerons les notions d’être, de vouloir

et de vouloir être. Nous ouvrons un nouveau chapitre sur la tragédie, ses codes, la vision du

héros tragique en nous référant à différents auteurs tels qu’Aristote et Goldmann. Nous

mentionnerons ensuite le choix racinien et cornélien. Notre démarche sera d'analyser dans notre

partie principale le libre arbitre selon le sexe et les personnages. Pour affiner notre étude nous

nous appuierons sur Doubrovsky, Forestier et Goldmann, auteurs des XXe et XXIe siècles, dont

les approches diffèrent dans leur analyse d’un auteur. Le premier a une approche textuelle

mettant en évidence la dialectique des thèmes, le second une approche biographique et le

dernier sociologique. Nous nous limiterons à quatre œuvres, respectivement deux de Corneille

- Polyeucte et Le Cid - avec un personnage masculin et un personnage féminin et deux de

Racine - Andromaque et Britannicus- avec également un personnage masculin et un

personnage féminin. Dans le cadre de notre étude, nous allons nous inspirer particulièrement

de la méthodologie de Goldmann, auteur du livre Le dieu caché (1959). Selon lui, « toute

grande œuvre littéraire ou artistique est l'expression d'une vision du monde » (1959 : 28) et il

abordera cette vision à travers une étude de ce qu’il nomme la vision tragique (1959 : 29)

et établit une correspondance entre trois sphères : Dieu, le monde et l’homme. Pour chaque

personnage, chaque sphère sera analysée. Cela ne nous empêche pas de nous référer à une

analyse du vocabulaire et des champs lexicaux exprimant la problématique du libre arbitre. La

recherche sera complétée par un chapitre sur les schémas féminins/masculins du libre arbitre.

(6)

6 Pour répondre à notre problématique, nous choisirons dans ces œuvres des personnages qui ont fait basculer les pièces dans le drame. Ces derniers se retrouvent dans des situations inextricables, avec des dilemmes moraux qui mettent en jeu les valeurs du libre arbitre. Ils sont la représentation du héros tragique. Ainsi, notre choix du héros cornélien s'est porté sur Pauline et Rodrigue et celui du héros racinien sur Hermione et Néron.

1.3 Choix méthodologique

Goldmann, auteur du livre Le dieu caché (1959), étudie la société du XVIIe siècle, les différents courants qui la traversent et qu’il appelle « vision tragique ». Il s’appuie sur Les pensées de Pascal et le théâtre de Racine à travers différentes œuvres de ce dernier pour comprendre l’histoire, le contexte social et culturel du XVIIe siècle. Dans son œuvre, Goldmann met en avant trois sphères : Dieu, le monde et l’homme (1959 : 351). A la fin de son œuvre il applique le concept de ces trois sphères sur des œuvres de Racine telles que Phèdre, Andromaque, Britannicus, plus particulièrement sur les personnages principaux de chaque œuvre dans le but de déchiffrer leurs fonctions, ce qu’ils représentent et ainsi établir un parallèle avec la société du XVIIe siècle. Dans son analyse, chaque personnage ne relève que d’une seule sphère ce qui peut expliquer ainsi le fonctionnement de la société.

Ce mémoire, bien qu’utilisant la méthodologie de Goldmann, c’est-à-dire les trois sphères, est le fruit d’une étude des personnages dans chaque sphère distincte qui, contrairement à ce critique, étudie la problématique de la fatalité, du choix et du libre arbitre. Par ailleurs, le choix du mémoire s’est porté sur un personnage masculin et un personnage féminin pour chacun des deux auteurs choisis afin de comparer le thème du libre arbitre pour chaque genre, masculin et féminin et chaque auteur. Cette perspective genrée est absente chez Goldmann.

Il est nécessaire de préciser pour la bonne compréhension du mémoire que Goldmann parle de trois concepts mais il utilise également dans Le Dieu caché le terme de vision à la place de celui de concept. Dans cette étude, étape, concept, vision ou sphère sont autant de termes que nous retrouverons dans le corps du mémoire.

2 Cadre théorique

2.1 Définition du libre arbitre

Dans un premier temps, il est intéressant de noter que l'expression « libre arbitre » que

nous employons fréquemment comprend deux mots essentiels à savoir « libre » qui renvoie à la

liberté et « arbitre » qui renvoie à l’arbitrage c’est-à-dire se réfère à des règles afin de trancher

(7)

7 un conflit ou alors d’agir en conciliateur. Un individu libre serait une personne indépendante, affranchie qui a des libertés et peut les utiliser comme elle le souhaite. Il s’agit de la liberté de mouvements, de penser, de décider par soi-même. Le libre arbitre serait cette volonté qui émane de soi pour choisir son action, sa pensée voire sa raison, de trancher, de juger librement en toute conscience, a priori. Le Grand Robert de la langue française (2017, site internet) donne la définition suivante du libre arbitre : « volonté libre, non contrainte » et donne comme exemple :

« il n’avait pas son libre arbitre, il a agi sous la menace ». Le Grand Robert se réfère également à Bossuet, théologien et écrivain français du XVIIe siècle qu'il prend comme exemple :

LIBRE ARBITRE : faculté de se déterminer sans autre cause que la volonté elle-même, « dans les choses où il n'y a aucune raison qui nous penche d'un côté plutôt que de l'autre

» (Bossuet, Traité du libre arbitre). Arbitre : anciennt. franc arbitre

Nous remarquons que ces définitions appuient davantage sur le mot arbitre que sur la notion de liberté. Selon Wikipédia, l’homme peut se déterminer librement et agir de son propre fait par opposition au déterminisme ou au fatalisme qui font obstruction à l’action libre. Ces deux définitions sont intéressantes. En effet, le Grand Robert appuie sur la notion de volonté tandis que Wikipédia intègre la liberté de penser et d’agir, l’homme n’est pas le jouet de la fatalité.

Ces deux définitions reprennent les idées de Kant, philosophe allemand du XVIIIe siècle, à savoir la liberté, notion fondamentale chez Kant, et la volonté, idées développées dans plusieurs de ses œuvres telles que La Critique de la raison pratique. Toutefois, ces concepts fondamentaux de liberté et de volonté de l'homme étaient déjà débattus dans l'antiquité, principalement chez les Grecs.

Il est à se demander si la définition du libre arbitre revêt le même sens et la même dimension au XVIIe siècle qu’aujourd’hui. Il serait donc intéressant de transposer à cette époque la notion du libre arbitre, notamment à travers René Descartes, mathématicien, physicien et philosophe français du XVIIe siècle. Selon ce dernier, seul le choix fait librement et issu de la volonté de l’homme est l’expression du libre arbitre notamment dans sa lettre au P.

Mesland du 9 Février 1643 :

(..) pour ce qui est du libre arbitre, (…) Et, pour exposer plus complètement mon opinion, je voudrais noter à ce sujet que l'indifférence me semble signifier proprement l'état dans lequel est la volonté lorsqu'elle n'est pas poussée d'un côté plutôt que de l'autre par la perception du vrai ou du bien.

Mais également il pose la question de Dieu, qui représente l'infini, et du libre arbitre qui

représente la volonté dans son œuvre les Méditations métaphysiques :

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8

(..) car en effet ce n’est point une imperfection en Dieu, de ce qu’il m’a donné la liberté de donner mon jugement, ou de ne le pas donner, sur certaines choses dont il n’a pas mis une claire et distincte connaissance en mon entendement. (1641 : 61)

Pour Descartes la volonté et le libre arbitre ne sont qu'une même et seule chose. Ainsi, nous nous rendons compte qu´au XVIIe siècle déjà, grâce à la réflexion cartésienne, les hommes avaient la possibilité d'accepter ou de refuser tel ou tel choix, d’avoir en outre la conscience de leurs décisions. Les multiples études et analyses de la littérature classique nous ont permis, avec le recul, d’avoir une visibilité de ce que pouvait représenter le libre arbitre au XVIIe siècle qui relevait de l'ordre de la réflexion, de la psychologie, de la recherche, de la philosophie du questionnement lié non seulement à l'être humain mais à Dieu aussi.

Si le libre arbitre relève de la volonté et du pouvoir de la décision il est constamment et logiquement opposé au déterminisme. Le Grand Robert de la langue française (2017, site internet) définit ainsi le déterminisme :

Ordre des faits suivant lequel les conditions d'existence d'un phénomène sont déterminées, fixées absolument de telle façon que ces conditions étant posées, le phénomène ne peut pas ne pas se produire. (...) Principe du déterminisme. Croire au déterminisme des phénomènes et être convaincu que la nature obéit à des lois

.

Le déterminisme influe sur le principe de causalité : tout arrive par une cause, une influence extérieure. Le déterminisme ne revêt pas la même signification que le fatalisme en ce sens que le fatalisme va plus loin. Tout est déterminé voire prédestiné avant notre naissance, l’homme a peu ou pas de marge de manœuvre. La fatalité est inéluctable. Toujours avec la définition du Grand Robert, la fatalité est le 

caractère de ce qui est fatal* (1., 2.). La fatalité d'un événement. Présenter un caractère de fatalité. La fatalité d'une loi naturelle. Fatalité de la mort. Force naturelle ou surnaturelle par laquelle, selon certaines doctrines, tout ce qui arrive est déterminé d'avance d'une manière inévitable. ➙ Destin, destinée, fatum, sort. Philosophie fondée sur la croyance en la fatalité. ➙ Fatalisme

.

En conséquence de ce qui précède, nous pouvons résumer que la fatalité et le libre

arbitre semblent antinomiques voire incompatibles. Le libre arbitre est la possibilité de vouloir,

pouvoir et faire. Il est ou peut être cependant tempéré, influencé par une forme de déterminisme

lié aux événements extérieurs mais également par l’éducation des valeurs. Par ailleurs, pour

Descartes, auteur du célèbre « cogito ergo sum » (« je pense donc je suis »), à partir du doute,

le mécanisme de réflexion se met en route pour aboutir au « je » en tant que « je pensant », je

en tant que conscience « le sujet pensant est conscient de lui-même ». (2001 : 41-42). La

conscience joue également un rôle dans notre libre arbitre, c’est une plus-value car la

conscience suppose une connaissance de soi. Elle permet de distinguer le bien du mal et renvoie

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9 à la notion de dignité mais elle n'empêche pas de faire des erreurs. La conscience est liée à la réflexion et à la morale. Ces précisions établies, il serait bon, dans notre étude sur le libre arbitre, d’envisager la capacité de conscience chez les personnages et les auteurs du XVIIe siècle. Il s’agira en premier lieu de définir la conscience.

2.2 La notion de conscience

A noter qu’au XVIIe siècle, le sentiment d'avoir bonne ou mauvaise conscience ne s'exprimait pas en ces termes. Avoir de la conscience signifiait pêcher contre la morale.  Au cours de ce siècle, le terme devient un fondement de la réflexion sur l’esprit, le mot désignait la conscience morale, c'est-à-dire l’idée du bien et du mal. Dans Le Grand Robert (2017, site internet), la conscience est définie comme la « faculté qu’a l’homme de connaître sa propre réalité et de la juger ; cette connaissance.

».

La conscience serait donc liée avec cette aptitude de la connaissance de soi et des sens, à cette capacité d'avancer des jugements sur le bien et le mal mais par là même de se distancer du monde et de soi. Nous avons parlé plus haut de Descartes et de la remise en cause des certitudes avec son expression « cogito ergo sum », « cogito » en latin signifiant « je pense » (2001 : 41-42). La conscience est un thème cartésien important. Par le raisonnement fondé sur le doute, l’interrogation, la réflexion, la pensée, le sujet arrive à la conscience, la conscience de soi en tant que « je » pensant. Descartes écrit : « ma propre pensée ou conscience » (Descartes in Straehli, 2012 : 210). La conscience permet à l’homme d’avoir la notion de lui-même mais également de ses émotions et de ses actes. La conscience est l’essence de l’homme grâce à la pensée. Elle va permettre et contribuer à la connaissance de soi et de ce qui l’entoure. La conscience peut se révéler fortement lorsque nous sommes face à des choix importants. Elle en appelle à notre responsabilité dans la prise de décision et notre volonté d´action.  Elle devient conscience morale qui permet de distinguer le bien du mal. Par conséquent, elle nous rend responsables de nos choix. Elle est ainsi reliée à la capacité de faire des choix. Pour Bergson, « la conscience est synonyme de choix » (2012 : 16) comme il l’énonce dans une réflexion sur la question des variations de nos degrés de conscience. Si l’homme est doté d’une conscience, pour autant, elle ne le définit pas dans sa totalité et sa complexité. Qui dit conscience dit inconscient.  Par exemple, ce qui est de l'ordre de l’inconscient ce sont les rêves, les actes manqués et pourquoi pas un lapsus, et ce qui est enfoui, refoulé.

La conscience est cette part de dignité en l’homme. D’ailleurs, « avoir du remords »,

c'est avoir la conscience d’avoir commis une faute. Autrement dit la culpabilité. Nous

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10 retrouvons ces notions de faute et d’erreur dans Les Méditations métaphysiques de Descartes (2010 : 41- 44). L’homme est en souffrance.  La notion de la faute nous renvoie au péché originel, à la transgression de la loi divine et par extension à la religion au XVIIe siècle. Selon Goldmann,

on peut caractériser la conscience tragique à cette époque par la compréhension rigoureuse et précise du monde nouveau créé par l´individualisme rationaliste (…) mais en même temps par le refus radical d'accepter ce monde comme seule chance et seule perspective de l´homme.(1959 : 43)

2.3 Antagonisme religieux au XVIIe siècle et/ou la place de Dieu

Une certaine effervescence religieuse perdure et se fait sentir au XVIIe siècle. Le siècle du classicisme fut touché par des querelles religieuses importantes. En plus des protestants qui essayaient de conserver leur position sur les acquis de l’Edit de Nantes, il y a eu une querelle entre les jansénistes et les jésuites. Suite au développement à Port-Royal du jansénisme, émerge un christianisme austère proposant une interprétation radicale de la Bible inspiré par le théologien hollandais Jansénius. Cette doctrine religieuse et intellectuelle, reflet de la pensée de Saint-Augustin, se base sur la grâce et la prédestination. Plus précisément, selon ce mouvement, l’homme est foncièrement mauvais et quoi qu´il fasse ou décide, seul Dieu peut et décide de sauver quelques élus de leurs péchés. Dans ce cas la liberté de l’homme est limitée.

Ses actions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, sont jugées d’avance par Dieu. Ils représentent la négation du libre arbitre. En parallèle, le courant des jésuites se développe fortement. Selon eux, par la notion de grâce suffisante, l’homme peut obtenir son salut en fonction de ses actions. L’homme est libre de son destin, de ses choix et de contrôler sa vie dès sa naissance, de faire et peut faire la différence entre le bien ou le mal (Forestier, 2006 : 44-51).

A travers des penseurs du XVIIe siècle tels que Descartes et Pascal, une autre

perspective plus philosophique que religieuse nait. Il se développe une réflexion entre « la

pensée et la réalité physique et humaine » (Goldmann, 1959 : 34), c'est-à-dire la recherche de

la vérité et la question de Dieu, sa place, sa fonction, sa réalité. En effet, le XVIIe siècle est une

période où l'on doute, de ce qui est vrai ou pas. Une pensée se développe qui remet en question

la théologie et la connaissance. Selon Goldmann, le XVIIe siècle connaît une évolution

vers « des individus isolés, libres et égaux » (1959 : 37), voire égoïstes. Cette « évolution (…)

a trouvé (..) une puissante expression intellectuelle, scientifique, littéraire et philosophique »

(1959 : 38) dû au capitalisme qui se développe au cours de ce siècle. Il n’y a plus de distinction

entre « le bien et le mal » versus « le rationnel et l’absurde, la réussite ou l’échec » (1959 : 40).

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11 La morale et la religion évoluent vers une toute nouvelle vision du monde. Goldmann précise :

« Il n’y a pas de place pour un Dieu ayant une fonction propre et réelle dans une pensée individualiste conséquente, il n’y a pas non plus de place pour une véritable morale. » (1959 : 40)

.

Toutefois, Dieu tient toujours un rôle majeur et éducatif : « empêcher les réactions

"irrationnelles" et dangereuses "des masses incultes" » (1959 : 42). Pour beaucoup de penseurs du XVIIe, Goldmann avance que « la voix de Dieu ne parle plus de manière immédiate à l’homme. Voilà un des points fondamentaux de la pensée tragique » (1959 : 45).

De ces diverses et nouvelles visions du monde découle une vision tragique dans laquelle « Dieu est caché à la plupart des hommes, mais il est visible pour ceux qu’il a élus en leur accordant la grâce » (Goldmann, 1959 : 46).  Pour certains cependant comme Pascal, « le Dieu caché est un dieu absent et non pas présent quelquefois et absent quelquefois, mais toujours présent et toujours absent » (Pascal in Goldmann, 1959 : 46). Il est alors une présence permanente. Ces dissensions religieuses et ces pensées influencèrent les codes du XVIIe siècle tant sur la vie sociale que littéraire et mettent en avant la question du libre arbitre, de la volonté interne et externe, de la culpabilité tant chez l'individu que chez les personnages classiques dans la tragédie.

2.4 Les trois sphères

Dans notre étude, la première sphère, celle du divin, représente ce qui relève de la fatalité, du destin ou ce qui peut symboliser le divin. Cette vision dégage également l’idée du lien tragique de l’homme et de Dieu, c’est le concept du Dieu présent/absent comme Pascal le décrit. Dans cette sphère, il sera analysé ce qui a trait à cette idée du divin et notamment la tragédie elle-même car elle est liée à la mythologie. Il sera intégré un travail sur Dieu, à la fois le Dieu chrétien et les Dieux païens, sur la représentation du peuple et de la ville, poids politique dont peut être soumis le héros, sur le père ou sa représentation symbolique dans ce sens que le père peut symboliser Dieu, sur la fatalité de la passion, sur le devoir et l’obéissance qui entrave la liberté. Cette sphère du divin représente la conscience collective.

La deuxième sphère est une vision tragique du monde, « le monde c’est le lieu de notre

épreuve décisive, Dieu s’en est retiré » (Burgelin, 1957 : 174). C’est le moment où le choix est

donné au personnage et où ce dernier est empreint de confusion et de doute en raison du

dilemme auquel il est confronté. Dans cette sphère la notion de dualité est présente, c’est l’éveil

de la conscience du héros avant son passage dans la troisième sphère.

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12 Cette troisième sphère est celle de l'homme précisément où le choix décisif est fait.

Cette sphère relève de la volonté de l’homme, du « je », de son essence. C’est la sphère de l’affirmation de sa conscience individuelle.

Par ailleurs, les sphères sont liées entre elles, elles coexistent voire elles n’existent que par l’existence de chaque sphère elle-même. Elles sont interdépendantes.

2.5 Être, vouloir et vouloir-être

Le Grand Robert de la langue française définit être comme :

Verbe exprimant la réalité, le rapport à la conscience (..) Avoir une réalité ➙ 1. Exister. Dieu se définit dans les Écritures comme Celui qui est (..) Je pense, donc je suis (cf. Cogito ergo sum, Descartes).

Être est un ancrage dans la réalité de la conscience, dans la réalité de la personne.

Le Grand Robert de la langue française définit vouloir comme : « avoir de la volonté ; l’intention, le désir de… » mais encore « commander, ordonner ».

Le vouloir être c’est la volonté du devenir, dans la construction de son identité. C’est un processus d’évolution pour parvenir à être dans cette conscience individuelle.

3 La tragédie, reflet de l´idéal classique

« La vision tragique est (…) un retour à la morale et à la religion, (...) un ensemble de valeurs qui transcende l'individu », déclare Goldmann dans son œuvre Le dieu caché (1959 : 43).

3.1 Les codes de la tragédie et le héros tragique

La tragédie vient de l’Antiquité dont une figure importante Aristote, qui n’était pas un

auteur tragique mais un philosophe, va établir un traité que l’on nomme La Poétique. C’est une

étude théorique sur les différents genres littéraires dans laquelle sont définies les règles de la

tragédie, récit théâtral. Selon la théorie d’Aristote, la tragédie doit s’appuyer sur le modèle

antique grec toujours en vers et comprend cinq actes. La tragédie doit également provoquer

chez le spectateur la terreur, causée par la fatalité qui s’abat sur le héros tragique, et la pitié,

pour les malheurs éprouvés par le héros. La terreur et la pitié lui permettent ainsi de se purger

de ses émotions violentes. La passion est l’outil de la tragédie et concomitamment elle permet

l’action à travers les différentes péripéties. La transmission des émotions par l’identification au

héros déchiré se fait par le phénomène de catharsis qui est une propriété de la tragédie. Elle est

la purgation, la purification. Selon Aristote, « c’est cette sorte de reconnaissance et de péripétie

qui excitera la pitié ou la terreur, sentiments inhérents aux actions dont l’imitation constitue la

tragédie. » (1922 : 23).

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13 Les thèmes les plus souvent abordés dans la tragédie sont l’amour, la jalousie, le sens de l'honneur et la fatalité. Pour Goldmann, « le centre de la tragédie : un dieu toujours absent et toujours présent. » (1959 : 47). Il cite un commentaire de Lukács : « la tragédie est un jeu, un jeu de l’homme et de sa destinée, un jeu dont Dieu est le spectateur mais il n´est que spectateur et jamais ni ses paroles ni ses gestes ne se mêlent aux paroles et aux gestes des acteurs » (Lukacs in Goldmann, 1959 : 47).

Dans la tragédie classique on parle de héros tragique. Qui est-il ? Quel est le nœud de la tragédie ?  La tragédie est un genre noble et le héros tragique mis en scène est noble, de bonne famille, créé sur un modèle antique, biblique ou mythologique. Il est l’incarnation de l’honneur, des valeurs. Or, il se retrouve confronté à des dilemmes, des choix impossibles. Étant de haut rang, cela induit également qu’il fait preuve de noblesse des sentiments. Or, la passion est une des actions essentielles de la tragédie et l'élément catalyseur des conflits. En effet, le nœud tragique est le moment où le héros est en face de ce choix impossible, est acculé et ne peut plus reculer. Par le biais des quiproquos et des péripéties, le héros tragique est amené à lutter contre le destin, la fatalité, la colère des Dieux mais aussi ses propres excès. Il va être déchiré entre raison et amour, plus précisément honneur et passion. Le héros tragique se doit d’avoir une cruelle destinée et être déchiré par des conflits intérieurs ou extérieurs pour justement servir de catharsis. Le dénouement pourrait conduire le héros à la mort, elle-même tragique. Une des règles de la tragédie est également la fatalité : son destin est scellé depuis le début.  Lucien Goldmann définit ainsi l’homme tragique dans Le Dieu caché :

L’homme est un être contradictoire, union de force et de faiblesse, de grandeur et de misère ; l’homme et le monde dans lequel il vit sont faits d’oppositions radicales, de forces antagonistes qui s’opposent sans pouvoir s’exclure ou s’unir, d’éléments complémentaires qui ne forment jamais un tout. La grandeur de l’homme tragique, c’est de les voir et de les connaître dans leur vérité la plus rigoureuse et de ne jamais les accepter. (1959 : 69).

Qu'en est-il de ces règles pour les héros et héroïnes cornéliens et raciniens ? 3.2 Le choix cornélien et racinien

« La tragédie cornélienne n’a qu’un ressort : la volonté d’une série de personnages que

l’on appelle héros et qui sont d’une qualité morale surhumaine » (Lyons, 2007 : 436). Le héros

cornélien est en proie à un conflit entre la passion et le devoir, souvent associés à un enjeu

politique. Dans Corneille et la dialectique du héros, Doubrovsky écrit (1963 : 35) : « Corneille

met en scène des gentilshommes ». Les personnages héroïques ont un caractère entier, parlent

souvent de leur gloire : forme passionnée de l’honneur, ils ont une haute opinion d’eux-

mêmes. Lyons cite un commentaire de Taylor :

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14

chez Corneille, selon Taylor, et surtout dans ses "premières tragédies", les héros étaient motivés avant tout par la quête de l’honneur et de la gloire (Taylor in Lyons, 2007 : 433).

L’honneur est transcendé. Corneille met en avant le devoir cornélien, c´est-à-dire le dépassement de soi et le renoncement à ce que l'on aime.  Pour corriger son image, le héros doit faire un effort sur lui et tenter de canaliser ses passions. Selon Corneille, il incarnera la mesure, le contrôle. Au nom de l’honneur le héros ne veut pas reconnaître son erreur. Or il désire atteindre la perfection de son caractère. Il a une quête de perfection, de gloire, de grandeur mais elle est dénaturée par la naissance du conflit qui entraîne une grave crise morale. Le héros choisit le devoir plutôt que l’honneur. Pour autant cette quête va lui permettre de se dépasser. Le nœud tragique, le déclencheur est justement ce conflit entre amour et honneur d’autant plus que notre héros ne veut pas perdre l’objet de son amour. Il y a une invraisemblance dans ses démarches entre la famille, l’être aimé, son pays. Cela donne une vision positive et plus humaine de l’homme. Au contraire de Racine, Corneille, qui est entre baroque et classicisme, préfère susciter l’admiration que la pitié ou la terreur comme l’indiquent les théoriciens classiques. Selon Perrier-Chartrand, « pour le héros cornélien, donc, la domination de soi-même, et la dissimulation de l’ambivalence, s’imposent en toutes circonstances ; se laisser emporter par sa passion serait pour lui un aveu de défaite » (2012 : 69-77).

En ce qui concerne Racine, il place le personnage dans ce que nous appelons le choix racinien. Celui-ci est représenté à travers le dilemme rencontré par le héros de haute société, de sang royal, mais ne symbolise pas la perfection car en effet il a des failles. Racine écrit lui- même dans la préface d’Andromaque :

 Aristote veut que les personnages tragiques, c'est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu´ils soient extrêmement bons, parce que la punition de bien exciterait plus l´indignation que la pitié du spectateur, ni qu´ils soient méchants avec excès car on n'a point pitié d'un scélérat. (1667 : 13-14)

Le héros mène un conflit intérieur qui le pousse au choix entre sa passion et son devoir moral,

son honneur dû à son rang. D’où vient ce conflit ? Il naît bien de la passion mais parce que le

personnage se heurte à l'indifférence de la personne aimée. Il y est assujetti, soumis à

ses passions. Le héros est donc coupable par son désarroi violent dû à la passion et innocent

dans ses désirs d´accéder au bonheur mais jamais pleinement coupable et innocent, comme

l´énonce Aristote, ce qui le conduit à des emportements et des excès à travers le chantage, la

colère, la jalousie, l’incapacité à se contrôler mais surtout il délaisse et hésite dans son devoir

politique. A l’instar de son pouvoir dont il se sert à des fins politiques il va se servir de la

passion. Celle-ci l’emporte sur le devoir, sur sa raison. Ainsi le choix racinien conduit le héros

(15)

15 à l'échec, au malheur, à la mort. À noter que le mot « dénouement » signifie à cette époque

« catastrophe ». Toutes ces caractéristiques représentent le choix racinien. Son auteur suit ainsi les règles de la tragédie classique mais aussi les règles imposées à cette époque qui traduisent une vision négative de l’homme, vision propre au jansénisme, toujours dans une idée de vraisemblance. Ce choix racinien qui mène à la mort est étroitement lié au destin, aux Dieux, à la fatalité. La passion amoureuse de Racine est soumise donc à trois obstacles : les sentiments, l´honneur et la politique. Les sentiments car le héros tragique aime, mais cet amour est à sens unique. L’honneur car l’obstacle est dû au choix nécessaire. Le dernier obstacle, la politique, est lié à l’honneur. En effet, l’être aimé peut faire partie du camp ennemi. La passion chez Racine résulte de l’amour.

4 Analyse des personnages

Les personnages de la tragédie antique que l'on retrouve dans les œuvres du XVIIe siècle, celles plus particulièrement de Corneille et Racine que nous allons étudier, ont des personnalités extrêmement complexes. La tragédie repose sur ces personnages qui se définissent par leur position, leur destinée tragique, leurs contradictions. Ils se retrouvent au centre d’intrigues qui génèrent choix et souffrance. Également la tragédie a des racines antiques basées sur la religion.

4.1 Les personnages féminins

Pauline de Corneille (Polyeucte)

Polyeucte fut joué pour la première fois en 1640. L'action se déroule en Arménie au IIIe siècle après J.C. Par obéissance pour son père Félix, gouverneur romain d'Arménie, et selon une rumeur portant sur la mort de Sévère, favori de l'empereur Decius, dont elle était éprise, Pauline épouse Polyeucte. L'empereur a décidé la mort de tous les chrétiens. Polyeucte se convertit au christianisme malgré le songe de Pauline : son ancien amant n´est pas mort et son mari va périr au milieu de chrétiens. Entre-temps, Félix a reçu l’ordre de faire exécuter les chrétiens et Sévère revient. Par engagement Pauline reste au côté de Polyeucte, déterminé à confesser sa foi devant tous. Malgré les menaces de Félix, les supplications de Pauline et l'intervention de Sévère, Polyeucte persiste dans sa foi. Le gouverneur ordonne sa mort.

Polyeucte demande à Sévère d´épouser Pauline. A la mort de son mari, Pauline se convertit

suivie de son père touché par la grâce. Sévère les épargne.

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16 Cette pièce de théâtre est une tragédie chrétienne avec dès lors des références à un Dieu unique omniprésent dès le premier acte et tout au long de la pièce à travers les discours des personnages et notamment de Pauline : « Dieu » (Acte I, sc. 1, v.27), « Quel dieu » ( Acte 4, sc. 3, V. 1215) et aussi avec l’emploi récurrent du mot « chrétiens » (Acte 1, sc.4, v. 254),

« Les chrétiens » (Acte III, sc. 2, v. 771), « chrétien » (Acte III, sc. 3, v. 904) et avec irruption de la grâce divine à la fin de la pièce. Il est à noter que le théâtre des opérations se situe en Arménie dont d’une part les habitants adorent plusieurs divinités, une influence que l’on retrouve tout au long de la pièce : « Dieux » (Acte II, sc. 2, v. 499), « au nom des dieux » (Acte 3, sc.3, v. 915), : « nos dieux » (Acte III, sc. 3, v. 947) et où d’autre part les chrétiens sont persécutés. À travers l'antagonisme religieux, nous retrouvons bien la sphère du divin dans cette tragédie dans laquelle la fatalité divine trouve sa place, présent/absent et où « Dieu est un spectateur, et jamais ni ses paroles ni ses gestes ne se mêlent aux paroles et aux gestes des acteurs. Seuls ses yeux reposent sur eux » (Goldmann, 1959 : 47). Avec l’ensemble de ces références à Dieu et aux Dieux, le personnage de Pauline subit cette influence du divin qui entrave sa liberté et qui est retranscrit également par la notion de présence/absence de l´empereur : « empereur Décie » (Acte I, sc.2, v. 174), « César » (Acte I, sc. 3, v. 228), « Au nom de l´empereur » (Acte III, sc.3, v. 918) et le champ lexical de Rome : « notre Rome » (Acte I, sc. 2, v. 181), « rendre hommages aux dieux » (Acte I, sc. 4, v. 316) et les références au peuple romain. Pauline se doit de servir l'empereur et par là même de servir les Dieux.

L´empereur symbolise le Dieu « toujours présent et toujours absent » (Goldmann, 1959 : 60).

Le père est très présent, il représente la fatalité familiale, l’autorité à laquelle Pauline est soumise et qu’elle reconnaît elle-même : « de la main de mon père » (Acte I, sc.2, v.194),

« Pour ici suivre mon père » (Acte I, sc.2, v. 204), « Mon père » (Acte III, sc.3, v. 915), « c’est à moi d’obéir puisque vous (son père) commandez » (Acte II, sc. 4, v. 351), « à vos commandements » (Acte II, sc. 4, v. 364) ; son père lui rappellera « ton devoir » (Acte I, sc.4, v. 332), « Ou tu trahis ton père et toute ta famille ». (Acte II, sc. 4, v. 350). D’ailleurs, Doubrovsky avance que « l’autorité paternelle est impitoyablement au service de la volonté de toute puissance » (1963 : 254). Dans ses discours, Pauline faits des courtes phrases, et à l’écoute de la pièce (lien internet, 1978, 11-12 minutes), elles sont déclamées sur un ton grave, les termes

« père » et « devoir » sont employés de manière répétitive et ils sont souvent intimement liés :

« Mon père et mon devoir » (Acte I, sc. 3, v. 202), « J’attendais un époux de la main de mon père » (Acte I, sc. 2, v. 194), « Pour suivre mon père en son gouvernement » (Acte I, sc. 2, v.

204). Ainsi, Pauline se retrouve bien dans cette obéissance à la famille, sans que sa volonté

(17)

17 puisse se manifester. Elle se positionne dans ce concept du divin. Sa volonté est d’autant plus amenuisée par la contrainte du mariage. Elle est sous l'influence du devoir et de l’engagement du mariage :

Et moi, comme à son lit je me vis destinée.

Je donnai par devoir à son affection (Acte I, sc. 3, v. 214-215)

De plus, elle soutient son mari : « mon époux » (Acte IV, sc. 3, v. 1177). Nous retrouvons ainsi les nombreux marqueurs de l’autorité, religieuse, familiale, maritale à laquelle Pauline se trouve assujettie.

Elle se trouve également à la vue de Sévère face à la fatalité de la passion : « Je sens déjà mon cœur qui pour lui s´intéresse » (Acte I, sc. 4, v. 342), « Dans le pouvoir sur moi que ses regards ont eu » (Acte I, sc. 4, v. 347), « (..) qui me percent le cœur » (Acte I, sc. 4, v. 340),

« Le dedans n'est que trouble et que sédition » (Acte II, sc. 2, v. 504), « Sévère brouille ma fantaisie » (Acte III, sc. 1, v.733). La passion est exprimée à travers le champ lexical du feu :

« Pouvait bien étouffer les restes de sa flamme » (Acte II, sc. 2, v. 498), « il alluma mes feux » (Acte II, sc. 2, v. 508). Au fur et à mesure sa passion est transférée vers son mari Polyeucte comme le souligne Doubrovsky (1963 : 236) :

Sévère satisfait donc à tout ce qu´il y a de féminité amoureuse en Pauline, et, par opposition, à l’affection de "tête " qu'elle porte à Polyeucte, polarise en elle le mouvement spontané du « cœur » (" je sens déjà mon cœur qui pour lui s´intéresse "). (Acte I, sc. 4, v. 342)

Même ses sens sont perturbés : « ces troubles puissants » (Acte I, sc. 4, v. 355), « la révolte des sens » (Acte I, sc. 4, v. 356). Elle est donc bien, dans cette sphère de Dieu, sous l’emprise de la fatalité de la passion : « Je crains ce dur combat » (Acte I, sc. 4, v. 355).

Rappelons que Pauline est la fille d’un gouverneur. Elle véhicule des valeurs aristocratiques telles que l'engagement et la vertu, à l’image des héroïnes de la tragédie classique au XVIIe siècle. Nous la retrouvons notamment en femme vertueuse à travers ses discours mais aussi à travers le regard des trois hommes de sa vie que sont son père, son ancien amant et son mari. Polyeucte dit par exemple : « Ô vertu trop parfaite » (Acte II, sc. 4, v. 621),

« Elle a trop de vertus pour n’être pas chrétienne ». (Acte IV, sc.3, v. 1268). Félix de dire : « Ta

vertu m´est connue » (Acte I, sc. 4, v. 353). Enfin Sévère : « Qu’un peu de votre bonheur ou de

votre vertu » (Acte II, sc. 3, v. 487). Elle représente donc bien l’idéal moral de son temps mais

également de celui du temps de Corneille. Elle semble déterminée par le devoir dévolu par sa

condition. Elle se situe dans la sphère du divin non par son rang mais par sa vertu. Mais alors,

dans ce contexte de déterminisme, dans la conscience collective, nous pouvons nous demander

où se situe le dilemme et le choix cornélien chez Pauline ?

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18 Goldmann avance l’idée que la sphère du monde est un monde « confus et obscur » (1959 : 54) C’est l’endroit de l'alternative, du dilemme, de l’obstacle. Pauline évolue dans deux mondes, où il y a des chrétiens et des païens, deux hommes, l'ancien amant et le mari, mais aussi le devoir envers le père et le mari Polyeucte. La dualité est présente et symbolise un monde

« confus et obscur » (Goldmann, 1959 : 54). Dès le début de la pièce, Pauline, fraîchement mariée à Polyeucte, se trouve confrontée au devoir envers son époux et son amour pour Sévère qu’on croyait mort et qui vient de revenir. La sphère du monde dans lequel se trouve Pauline semble liée à l'obstacle symbolisé par ces représentations de contraire et de double. D’ailleurs, Doubrovsky écrit : « c´est la présence même de certains sentiments qui constitue l'épreuve et comme disait Pauline « ce n´est pas le succès que mon âme redoute » (1963 : 237), « La victoire est pénible, et le combat honteux » (acte II, sc. 5, v. 620). De plus, dans son monologue, acte III scène 1, Pauline est emplie de doutes et de questions :

(..) que mes troubles produisent

Dans mon cœur ébranlé tour à tour se détruisent. (V. 725-726).

Ses doutes, ses combats intérieurs sont traduits par l’utilisation et la répétition du verbe oser :

Douce tranquillité, que je n’ose espérer, Que ton divin rayon tarde à les éclairer ! Mille agitations, que mes troubles produisent, Dans mon cœur ébranlé tout à tour se détruisent : Aucun espoir n’y coule où j’ose persister ;

Aucun effroi n’y règne où j’ose m’arrêter (Acte III, sc. 1, v. 723-728).

et aussi par l'utilisation de tantôt : « voit tantôt mon bonheur et tantôt ma ruine » (v. 730) et les répétitions des expressions l’un et l’autre : « L’un conçoit de l’envie et l’autre de l’ombrage » (v. 742), et également à travers la dualité des mots « espoir » (v. 727) et « effroi » (v. 728),

« deux rivaux » (v. 736), « l’époux et l’amant » (v. 747). Dans son monologue, Pauline relie ce que Goldmann appelle la « réunion des contraires » (1959 :67) et qui fait le concept du monde.

Par ailleurs, nous pourrions penser que ses doutes sont amplifiés par l’intégration supplémentaire du père dans son monologue lorsqu’elle cite dans trois vers consécutifs les trois hommes :

Que sert à mon époux d'être sans Mélitène, Si contre lui Sévère arme l´aigle romaine

Si mon père y commande, et craint ce favori (Acte III, sc. 1, v. 757 à 759)

Mais elle maintient une distanciation avec l´utilisation à la troisième personne de son prénom

« Pauline » et aussi une distanciation entre elle et les objets de ses doutes par la description de

la situation actuelle. Enfin elle met en doute ses sentiments par l’utilisation à la voix négative

du verbe oser. Elle est comme un reflet. Nous pourrions aussi avancer qu’elle est dans cette

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19 sphère par un autre obstacle posé entre son mari et la religion païenne notamment manifesté à travers le dialogue entre Pauline et Polyeucte acte IV scène 3 qui n’utilise que des effets de doublon, d’opposition et d’alternative :

Au nom de cet amour ne m´abandonnez pas (Pauline)

Au nom de cet amour daignez suivre mes pas (Polyeucte) (v. 1280-1282) Imaginations ! (Pauline)

Célestes vérités ! (Polyeucte) (v. 1285-1286) Etrange aveuglement ! (Pauline)

Eternelles clartés ! (Polyeucte) (v. 1287-1288) Tu préfères la mort à l´amour de Pauline ! (Pauline)

Vous préférez le monde à la bonté divine ! (Polyeucte) (v. 1289-1290)

« Si le monde est trop limité, trop ambigu pour que l’homme s’y consacre entièrement (...) il n’en est pas moins le seul lieu où il puisse et doive en faire l’essai (…) le oui et le non reste la seule attitude valable pour la conscience tragique » souligne Goldmann (1959 : 61) et Doubrovsky de dire « le déroulement même de l’histoire présente (...) une succession de contradiction » (1963 : 44). Pauline est au centre de multiples antagonismes . De plus, Goldmann avance que le monde est cette « absence de dieu » (1959 : 64) car l’homme n’est plus lié à lui. En nous appuyant sur Emmanuelle Henin qui souligne que « l´idole et la croix offrent deux objets antithétiques au regard (...) comme du simulacre à la réalité » (2005 :153), nous pouvons nous demander si le fait que Pauline soit païenne avec « ces dieux de pierre et de métal » (Acte II, sc. 6, v. 716), « De bois, de marbre ou d´or » (Acte IV, sc. 3, v.

1218), cette multiplicité de divinités ne serait pas en fait une absence de divin, de Dieu, une

« opposition entre le faux éclat des idoles et le vrai éclat de la croix », « une apparence sans réalité » (Hénin, 2005 :153).

Elle serait donc bien dans la sphère du monde mais elle n’en n’est pas vraiment représentative car c’est une femme de devoir, intègre et décidée à rester auprès de son mari.

Rappelons qu’à l’origine, Pauline était amoureuse de Sévère mais cesse de « prendre ni de part ni de goût », selon l’expression de Goldmann (1959 : 69). Nous pourrions relier Pauline à l’idée de Goldmann selon laquelle « refuser le monde s'offre à la conscience comme exigence du choix entre possibilités contraires, qui s'excluent et donc (..) aucune n'est valable et suffisante

» (1959 : 66). En effet, cela s’exprime durant l'acte III qui est d’ailleurs le noyau de cette

tragédie. Pauline bascule et tente de se détacher du devoir, de l'obéissance en se jouant des trois

hommes, de les manipuler et de les attendrir . Elle use de son influence, de ses charmes et de

l’amour que Polyeucte éprouve pour elle, à travers des questions et des exclamations, afin que

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20 celui-ci renonce à sa conversion et surtout pour lui éviter la mort : « Est-ce là ce beau feu ? » (Acte IV, sc. 3, v. 1237), « Te peut-elle arracher une larme, un soupir ? » Acte IV, sc. 3, v.

1246), « Tu préfères la mort à l’amour de Pauline ! » (Acte IV, sc. 3, v. 1287).

Elle fait de même avec son père pour défendre la cause de son mari : « Mon père au

nom des dieux » (Acte III, sc. 3, v. 915). Nous notons l’accumulation de phrases brèves :

« Souffrez que votre fille embrasse vos genoux » (Acte III sc. 3, v. 867). Elle appuie notamment sur le verbe espérer : « Le bien que j’espérais de la bonté d'un père ? » (Acte III sc. 3, v. 894) et en appelle à l’affection d’un père pour sa fille appuyée par le mode interrogatif : « Voyez- vous qu’avec lui vous perdez votre fille ? » (Acte III, sc. 3, v. 929).

L’acte IV scène 5 est assez court, Pauline et Sévère n’interviennent qu’une seule fois chacun.

Cependant, leur tirade respective est très longue. Pauline fait appel aux sentiments de Sévère afin qu’il intercède en faveur de son époux : « Sévère, connaissez Pauline en entière » (v. 1335),

« Et que cette chaleur, qui sent vos premiers feux » (v. 1333), « L’amour que j'eus pour vous » (v. 1348), « Sauvez ce malheureux » (v. 1353). Nous notons qu’elle a conscience de ce que sa demande a de difficile pour Sévère et qu’elle fait preuve de volonté : « Je sais que c’est beaucoup ce que je demande » (v. 1355).

Tout au long de l’œuvre, Pauline fait référence à son devoir envers son mari même lorsqu’elle est prise de doute. Finalement elle va s’affirmer dans sa prise de décision à savoir le choix du devoir envers son mari. Cette position affirmée en termes de devoir envers son mari, du soutien qu'elle lui apporte ainsi que sa confiance envers lui, l'intègrent dans la sphère de l'homme. La sphère de l’homme est caractérisée par le choix décidé et la volonté. C’est l’éveil, les prémisses de l’émergence des émotions et de la conscience individuelle. Son amour affectueux se mue en un amour fait d'admiration et de passion. Après avoir enduré tant de dualités, d’obstacles, entre raison et amour, devoir et amour, entre les deux religions, Pauline matérialise le choix. Elle veut guérir de ses passions anciennes : « Je veux guérir des miens, ils souilleraient ma gloire » (Acte I, sc.2, v. 555). Elle choisit la voie du cœur pour son mari tout en contrôlant ses émotions lorsqu’il s’agit des tiers. Son ton reste mesuré et sa vertu tant de fois soulignée par les dires et les actes.

Pauline se révèle être une femme qui fait preuve tout autant d’engagement, de volonté, de vertu et de raison :

Ma raison, s’il est vrai, dompte mes sentiments

Mais quelque autorité que sur eux elle est prise. (Acte II, sc. 2, v. 500-501)

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21 Pauline utilise beaucoup les mots vertus et raison dans ses propres discours : « Cette vertu » (Acte II, sc. 2, v. 533), « La vertu » (Acte II, sc. 5, v 612 et 619), « la raison » (Acte I, sc. 2, v.

166), « ma raison souveraine » (Acte II, sc. 2, v. 477) mais aussi le verbe dompter : « Ma raison (..) dompte » (Acte II, sc. 2, v. 500). Dans son goût de l’absolu, Pauline, femme de cœur et de courage, dira alors « ma mort suivra la mort de ce cher criminel » et choisira de se convertir elle aussi au christianisme. Elle choisit la mort par amour et devoir envers son mari. La mort de Polyeucte provoque une évolution radicale :

M’a dessillé les yeux et me les vient d´ouvrir Je sais je vois, je crois. (Acte V, sc. 5, v.1726-1727)

Cette tirade nous renvoie au « je » en tant que je pensant de Descartes en cela que Pauline affirme et s’affirme avec volonté et détermination :

Apprend que mon devoir ne dépend point du sien :

Qu´il y manque, s´il veut ; je dois faire le mien (Acte III, sc. 2, v. 795-796)

Ne libérerait-elle pas alors sa conscience de l’illusion ? Il est à remarquer qu’elle obtient le salut car elle est épargnée par Sévère alors qu’elle s'est convertie par choix. Dans cette pièce Corneille donne de l’envergure à une femme, en l’occurrence Pauline, qui fait preuve de grandeur, de décisions et même de pouvoir sur les hommes, ce qui la conduit au salut et à la conversion. Il l’érige en héroïne du devoir. Elle semble maîtriser son destin, elle utilise sa raison, assume sa conversion affirmant ainsi son identité. Le choix et l’affirmation permettrait de dire qu’elle exerce véritablement le libre arbitre.

Pauline est une femme d’engagement en quête d’idéal à travers son admiration pour

Polyeucte et son nouvel idéal religieux la menant à la conversion. Elle se caractérise par son

sens aigu du devoir et sa vertu. Après toutes les alternatives qui se sont présentées à elle, les

conflits intérieurs mêlant amour, religion, autorité paternelle, ces deux valeurs ne seraient-elles

pas à elles seules, in fine, le moteur ayant guidé ses choix personnels et n'auraient pas été de ce

fait, même inconsciemment, un prétexte pour ne pas s’en détourner et se donner une bonne

conscience ? Dans cette optique, on peut s’interroger sur sa réelle liberté de choix. Nous

pouvons appuyer notre propos avec l´œuvre de Goldmann : « la conversion (…) est l´effet du

choix intelligible ou de la grâce divine. (..) La première chose que Dieu inspire à l´âme (..) est

une connaissance et une vue extraordinaire » (1959 : 73). D’un côté, nous avons Lukács qui

avance que ce moment est « le miracle (…) qui transforme la vie dans le monde en conscience

univoque et en exigence rigoureuse de clarté » (Lukács in Goldmann 1959 : 75). D’un autre

côté, selon Pascal « la raison qui est la faculté de penser ne peut affirmer ni l´existence ni la

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22 non-existence de Dieu » (Pascal in Goldmann, 1959 : 75) et de souligner que cette « certitude théorique » est celle de la volonté (Pascal in Goldmann, 1959 : 76).

Hermione de Racine (Andromaque)

Andromaque, écrit et joué pour la première fois en 1667, se passe après la guerre de Troie. Pyrrhus prend en otage Andromaque, qui le déteste suite à la mort de son mari Hector, et son fils Astyanax pour les amener en Epire. Oreste, envoyé pour faire exécuter Astyanax, qui représente une menace pour l´avenir, va retrouver Hermione dont il est amoureux. Celle-ci est amoureuse de Pyrrhus, qui lui est tombé amoureux de sa captive Andromaque. Pyrrhus fait chanter Andromaque : si elle refuse de l'épouser il livrera Astyanax aux Grecs. Hermione, de son côté, est en colère contre Pyrrhus et fait chanter Oreste : s´il la veut, Pyrrhus doit mourir.

Suite à la mort de ce dernier, Hermione repousse Oreste, se suicide avec un poignard

Hermione rassemble les caractéristiques du héros tragique : de sang royal, fille d´Hélène et de Ménélas roi de Sparte, inspirée du modèle antique par la référence à l’épopée d´Homère, l’Iliade, récit de la prise de Troie par les Grecs. Hermione est soumise à sa passion pour Pyrrhus, amour unilatéral qui en renforce le caractère démesuré. Rappelons que la tragédie antique était liée à la mythologie et aux Dieux. Cette référence antique nous positionne dans la tragédie classique dans la première sphère, celle de Dieu. Mais où se situe Dieu ? Il est dans l’histoire antique où les divinités sont omniprésentes mais également dans la tragédie racinienne où Dieu tient une place importante. L’homme dépend de Dieu et est soumis à sa volonté. Le choix revient donc à Dieu et non à l’homme ou au personnage tragique. Le personnage est prisonnier de sa destinée. Nous pouvons voir dans Andromaque que Racine puise dans la tragédie grecque, époque où l’homme est soumis à la fatalité car seul Dieu décide. Racine dépeint à travers la tragédie grecque, cette pensée janséniste du XVIIe siècle où l’homme n’a aucune marge de liberté. Il est dans l´univers du divin, dans l´univers de la fatalité, de l'impossibilité du choix. Ainsi Hermione dès le départ est déterminée à une mort voulue par Dieu.

Les Dieux ne jouent pas un rôle dans l’œuvre mais ils sont présents à travers le discours des personnages et par l’emploi des termes les représentant : « grâces au ciel » (Acte I, sc. 1, v.

9), « Dieux » (Acte III, sc. 4, v. 858). Ils sont même apostrophés « Ah dieux » (Acte II, sc. 1,

v. 401). Il s’agit là d’une interjection. Tout au long de la pièce on ne les voit donc pas mais ils

exercent implicitement leur pouvoir divin sur Hermione. C'est en cela que réside la présence,

et donc la place du divin dans l'œuvre, et par là-même ce sentiment de fatalité divine. On peut

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23 observer cependant dans cette œuvre que la fatalité n’est pas liée qu’à la sphère divine ou à une malédiction comme en témoigne l'œuvre de Phèdre. Ici, l’accablement ne vient pas de Vénus ou d’une autre divinité.

Tout au long de la pièce, Hermione fait davantage appel à son « père » ou invoque les

« Grecs » au lieu de se référer aux divinités. N'oublions pas de signaler que le père tient une place importante, il est de haut rang et lié aux divinités, à l`autorité divine de par sa position.

Tout comme Dieu, le père et les Grecs n’apparaissent jamais physiquement sur la scène.

Comme le dit d’ailleurs Hermione : « De la part de mon père » (Acte II, sc.2, v. 585), « Mon père l’ordonnait » (Acte II, sc. 2, v. 523), mais encore « Mon père avec les Grecs m´ordonnent de partir » (Acte II, sc. 1, v. 406), « Quand mon père a parlé, m’ordonne de me taire » (Acte 3, sc. 5, v. 882), « La gloire d’obéir est tout ce qu´on nous laisse » (Acte III, sc. 2, v. 822). Une parenthèse sur le fait que c'est une pièce de théâtre et lors de l'écoute des dialogues (lien internet, 2015, 25-32 minutes), le personnage d'Hermione souligne et insiste sur la première syllabe du mot père pour accentuer ses dires ainsi que le pouvoir que son père exerce sur elle. Dans le même temps, le champ lexical de l’obéissance fait apparaître celle-ci comme double : celle dans son sens général et l´autorité parentale, ces dernières s'exerçant symboliquement dans la sphère divine. De plus, le champ lexical de l’obéissance est lié au champ lexical du libre arbitre. En effet, il y a cette idée d’opposition par le fait de subir une pression de Dieu ou des autres, d’être soumis à eux.

C'est une fatalité liée à la famille avec le poids du rang et du sang mais également une fatalité politique représentée symboliquement par les Grecs : « Mon père avec les Grecs m’ordonne de partir » (Acte II, sc. 1, v. 408). Une précision est à apporter concernant la dimension politique à savoir que dans la tragédie racinienne elle ne constitue pas un élément central mais elle est utilisée comme support pour exacerber les passions.

Dans ces deux cas, la fatalité rejoint l'idée de Goldmann d’un « Dieu présent mais

absent » (1959 : 46). Ainsi le pouvoir du père dans sa manifestation non tangible symbolise ce

Dieu caché, le pouvoir divin. Hermione est dans l'impossibilité de décider et d’agir par elle-

même, son destin semble scellé entre les mains des Dieux. Dans cette influence et dans cette

perfection du « divin », son discours n’est pas hésitant, elle est mesurée. Hermione est liée à la

sphère de Dieu. Son devoir dans son statut de femme, son rang, sa lignée sont soumis avant le

mariage à l’autorité paternelle : « malgré mon devoir » (Acte II, sc. 2, v. 527), « Mon devoir

m’y retient » (Acte II, sc. 2, v. 583), « Soit qu’ainsi l’ordonna mon amour ou mon père ». (Acte

IV, sc. 3, v. 1194).

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24 Il est à préciser qu’au début de l’œuvre jusqu’à l’acte II Hermione n’apparaît pas mais elle est présente à travers le regard et les tirades d’autres personnages tel Oreste, amoureux d´elle. A ce stade, rien ne présage encore la survenue d’un événement tragique. Dans cette absence physique mais présente par les dialogues elle se situe dans cette sphère du divin, voire elle est elle-même divine : de sang royal, mesurée, présente et absente à la fois, parfaite car entière. En effet, le nœud tragique n’étant pas encore dévoilé, Hermione n’est pas encore entachée des passions qui vont la traverser et ces conséquences. A ce stade il faut se rappeler que Racine a reçu à Port-Royal une culture janséniste et gréco-latine où selon Forestier, « pour les hommes de Port-Royal (…) seul Dieu connaît la finalité réelle des événements historiques : par-delà leur apparente confusion » (Forestier, 2006 : 64) et Goldmann d'écrire : « le Dieu est un Dieu caché c´est pourquoi nous pouvons dire que les pièces de Racine, d´Andromaque à Phèdre, sont profondément jansénistes » (1959 : 351). Hermione apparaît dans l’acte II et dès ce moment nous apprenons ses tourments et ses craintes qui amèneront les intrigues et les passions à venir. Ainsi, Pyrrhus, promis d’Hermione, aime sa captive Andromaque avec dans l’acte IV un coup de théâtre annonçant son mariage avec elle, ce qui se révèle être une injure pour Hermione. La fureur de la passion d´Hermione et sa jalousie se déchaînent avec l’objectif de se venger en utilisant Oreste. On retrouve une intensité dans les discours d´Hermione. Les multiples passions s'emmêlent et s'enchaînent et deviennent plus fortes que la raison et sont le moteur de son conflit. Hermione se dévoile comme une femme sous influence passionnelle qui la rend cruelle, intrigante. On peut ainsi dire qu'Hermione est rattachée à la fatalité de la passion.

La sphère du divin comprend ainsi différentes variations : la fatalité divine, le devoir familial et celui du rang, et celui de la fatalité de la passion. Hermione invoque le sacré par sa position dans chaque variation et par là même son lien au divin. On peut donc dire qu´Hermione n'est pas libre de ses choix, de sa volonté dans cette sphère du divin car Hermione est liée au devoir et à l’obéissance.

Pourtant, selon l’analyse de Goldmann, « le monde est représenté par plusieurs

personnages divers notamment Hermione » (1959 : 351). Pourquoi ? Il s’agit de rappeler que

le Monde est cette absence totale de Dieu dans la vision de Goldmann car l’homme n’est plus

lié à Dieu. L’homme se retrouve dans une autre réalité limitée et ambiguë qui correspondrait à

l'alternative dans laquelle Hermione se trouve. Ainsi le monde serait le choix, le dilemme ou

l’illusion du choix qui se présente. Hermione est le symbole du monde par l'ambivalence de son

discours confus. Quand elle se sait face au choix, au dilemme, à l’alternative, son discours

navigue entre oui et non, entre confiance et peur, entre doutes et décisions, à travers des phrases

(25)

25 affirmatives et des courtes phrases interrogatives : « Mais que puis-je seigneur ? » (Acte III, sc.

2, v. 819) et dans la construction des tirades voulues par Racine entre alexandrin, tétramètre et hémistiches : « Ah ! Ne puis-je savoir si j’aime, ou si je hais » (Acte V, sc. 1, v. 1396) mais encore :

Ou suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ?

Quel transport me saisit ! Quel chagrin me dévore ? (Acte V, sc. 1, v. 1393-1394)

Ce passage dans le monde, la présence d’Hermione dans cette sphère se passe au moment où l’alternative apparaît. Rien n'est décidé, tout est en suspens. Soit elle accepte ce qui est, soit elle est dans le refus de voir la vérité. Le Monde représente l’illusion ou le reflet de la réalité

:

Qui l'eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle ? Que sa flamme attendrait si tard pour éclater ?

Qu'il reviendrait à moi, quand j'allais le quitter ? (Acte3, sc. 2, v. 810-811)

Georges Forestier d'ailleurs reprend un commentaire de Corneille sur l'œuvre d’Andromaque :

« il (Pyrrhus) décide d´épouser Andromaque et rejette Hermione, voilà le milieu » (2006 : 300).

Ainsi le monde est bien cette interface entre deux plans, horizontalité et verticalité, c'est-à-dire entre Dieu et l’homme, mais un monde indécis, obscur, entre fatalité et volonté, entre vérité et illusion. Le monde c'est aussi « le manque de grandeur des personnages qui constituent le monde consiste précisément dans leur manque de conscience authentique et claire » (Goldmann, 1959 : 359). Notre personnage évolue et en un sens apparaît, tel un éveil entre deux mondes. Ses pensées deviennent floues, incertaines, ses actes aussi. Elle se situe dans un monde soumis à aucune présence supérieure. Même si aucune faute n'a été commise ni qu’aucun choix n’a été fait, Hermione a perdu de sa grandeur divine mais également de sa grandeur humaine.

Elle a peur de la vérité et elle est tiraillée entre être trompée et se tromper elle-même :

Je crains de me connaître en l´état ou je suis.

De tout ce que tu vois tâche de ne rien croire ; Crois que je n´aime plus, vante-moi ma victoire ;

Crois que dans son dépit mon cœur est endurci. (Acte II, sc. 1, v. 428-431)

On peut se demander si l'emploi répétitif du mot « croire » et de la répétition du son « oire » de ce même mot « crois », « crois » et dans le mot « victoire » est un écho du verbe « croire » qui marque l’indécision. Mais également avec la répétition du mot « si » : « Si la foi » (Acte II, sc.

2, v.437), « S’il venait » (Acte II, sc. 2, v. 438), « Si sous mes lois » (Acte II, sc. 2, v. 439),

« S´il voulait » (Acte II, sc. 2, v. 440) n'est pas pour Hermione dans son discours un reflet de

son indécision, d’une fuite ou bien de lui permettre en verbalisant de mieux se convaincre elle-

même. Les mots sont aussi un instrument pour se tromper et tromper les autres, tel Oreste. La

verbalisation, les interrogations et les hésitations reflètent les variations de l’état d’esprit

References

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