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Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux: deux femmes face à un même destin tragique fait de rêves, de péchés et de désillusions

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Academic year: 2022

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Mémoire

Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux: deux femmes face à un même destin tragique fait de rêves, de péchés et de désillusions

Författare: Mariam El Abidi Handledare: André Leblanc Examinator: Mattias Aronsson Ämne: Franska

Kurs: FR2001 Poäng: 15

Betygsdatum: 2011-05-30

Högskolan Dalarna 791 88 Falun Sweden

Tel 023-77 80 00

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Sommaire

I. Introduction. ... 3

II. Analyse de Madame Bovary. ... 4

II. a. Gustave Flaubert : une écriture subjective et une peinture intérieure et détaillée des personnages. 4 II. b. Le procès de Madame Bovary : entre scandale et révolution littéraire. ... 5

II. c. Emma Bovary : une femme rêveuse et révoltée mais condamnée à subir la réalité en silence. .... 7

III. Analyse de Thérèse Desqueyroux. ... 9

III. a. François Mauriac : une écriture omnisciente mais une peinture extérieure et limitée des personnages. ... 9

III. b. La critique de Mauriac par Sartre : l'écrivain qui se prenait pour Dieu. ... 10

III. c. Thérèse Desqueyroux : une femme tiraillée entre son désir d'indépendance et de reconnaissance sociale, entre ses rêves et la réalité. ... 12

IV. Synthèse. ... 15

IV. a. L’insatisfaction traitée par Flaubert dans Emma Bovary... 15

IV. b. L’insatisfaction traitée par Mauriac dans Thérèse Desqueyroux. ... 20

V. La réception morale du comportement d'Emma Bovary et de Thérèse Desqueyroux. ... 23

V. a. Les avis des lecteurs sur Emma Bovary. ... 23

V. b. Les avis des lecteurs sur Thérèse Desqueyroux. ... 25

VI. Conclusion. ... 26

VII. Bibliographie ... 30

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3 I. Introduction.

Le sentiment d'insatisfaction a toujours été présent dans l'existence de l'être humain, et la littérature en a fait un de ses sujets principaux. Parler de l'insatisfaction revient alors à parler de ce qui provoque ce sentiment, de ce qui en est à l'origine, afin de pouvoir découvrir et comprendre à quel point il est révélateur de l'état d'une société d'êtres humains. Ce sentiment peut être provoqué, par exemple, par une vie qui ne se passe pas comme cela était prévu, et qui est emmurée et étouffée par un milieu social conservateur et oppressant, où tout est structuré, codifié de façon extrêmement stricte et religieuse. Et où il n'y a pas de place pour les rêves et les passions condamnables et condamnés sévèrement à certaines époques comme les XIXème et XXème siècles.

A un monde de la bienséance, de la propriété et de la possession matérielle s'oppose un monde des désirs et des plaisirs éphémères et immatériels. Ce monde est une échappatoire, une fuite vers un idéal de vie où les êtres ne sont pas enchaînés par les mœurs sociales et religieuses, où les vies ne se passent pas de façon cadrée et monotone depuis la naissance jusqu'à la mort. C'est de cela que parlent les romans de Gustave Flaubert et de François Mauriac où les deux héroïnes, Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux, refusent de mener les vies qu'on leur a imposé de vivre. En effet, les révoltes de ces femmes contre un ordre social établi sont alors une manière d'exprimer leur insatisfaction de leurs vies : les existences réelles ou imaginaires qu'elles se créent bouleversent la triste réalité de leur temps et elles s'y opposent avec force. Chacune revendique la liberté intérieure, malgré l’aliénation produite par des milieux sociaux étouffants et conservateurs au niveau des mœurs.

L'étude de ce mémoire va traiter du destin tragique de ces deux femmes et héroïnes de romans : Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux. Ce sont deux femmes qui sont insatisfaites de leurs vies et dont elles ne sont pas les actrices mais les spectatrices. Elles décident alors de revendiquer leur liberté et de noyer leurs insatisfactions dans le monde du désir et des plaisirs : elles transgressent les codes sociaux et moraux de leur époque. Nous pouvons nous poser deux questions afin de démontrer en quoi Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux font toutes les deux face à un destin tragique. D'une part, on peut se demander dans quelle mesure le sentiment d'insatisfaction pousse ces femmes à commettre des actes extrêmes pour échapper à ce sentiment ? D'autre part, on peut s'intéresser à la manière dont ont été jugés le sentiment d'insatisfaction et le passage à l'acte des deux héroïnes par les lecteurs des romans.

En premier lieu, ce mémoire a été réalisé à partir d'une analyse séparée de Madame Bovary de Flaubert et de Thérèse Desqueyroux de Mauriac qui a permis de voir le processus de création des

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deux romans et de relever les caractéristiques propres à chacun d'entre eux. Par la suite, une étude comparée des romans a été faite afin de mettre en rapport les points communs et les différences qui existent entre eux. En effet, cela nous a permis de constater qu’Emma Bovary et Thérèse Desqueyroux sont deux femmes qui font face à une même vie faite d'illusions et d'insatisfactions, à un même destin tragique mais dont l'issue n'est pas la même : l'une survit à ses épreuves alors que l'autre se donne la mort.

Dans un premier temps, l'étude du mémoire portera d'une part sur Madame Bovary de Flaubert. Il s'agira de montrer en quoi l'écriture de Flaubert est subjective et détaillée pour décrire avec précision son personnage principal : Emma Bovary. Nous verrons ensuite pourquoi le procès de Madame Bovary a été à la fois un scandale et une révolution littéraires lors de sa publication, et pourquoi Emma Bovary est une femme rêveuse et révoltée contre le milieu social où elle vit, mais qui est condamnée à y rester, à y souffrir en silence jusqu'à sa mort. D'autre part, l'étude portera sur Thérèse Desqueyroux de Mauriac. Nous verrons en quoi l'écriture de Mauriac est partagée entre une présence omnisciente du romancier-narrateur, et une description extérieure et limitée des personnages, y compris pour l'héroïne du roman : Thérèse Desqueyroux. En effet, il s'agira également de voir pourquoi Jean-Paul Sartre a critiqué l'œuvre de Mauriac en lui reprochant d'être plus un Dieu qu'un romancier dans la mesure où il sait tout de ses personnages, et où il contrôle tous leurs faits et gestes. Puis, nous analyserons le comportement de Thérèse Desqueyroux en montrant que celle-ci est une femme tiraillée entre son désir d'indépendance et de reconnaissance sociale, entre ses rêves de liberté et une réalité oppressante et aliénante. Dans un second temps, nous ferons la synthèse de la manière dont Flaubert et Mauriac décrivent les comportements de leurs personnages face au sentiment d'insatisfaction qui les ronge, au point de commettre des actes insensés et extrêmes. Finalement, nous étudierons comment les lecteurs de Madame Bovary et de Thérèse Desqueyroux ont réagi face aux comportements d'Emma Bovary et de Thérèse Desqueyroux. Comment ils ont jugé moralement les actes de ces personnages : leurs adultères, la tentative de meurtre de Thérèse sur son mari, et le suicide d'Emma.

II. Analyse de Madame Bovary.

II. a. Gustave Flaubert : une écriture subjective et une peinture intérieure et détaillée des personnages.

Selon Czyba, le roman Madame Bovary de Gustave Flaubert est la remise en question du réalisme objectif souvent attribué au style d’écriture du romancier, et considéré comme une de ses caractéristiques majeures : « l’image que l’œuvre de Gustave Flaubert donne de la femme montre le

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caractère illusoire de l’impersonnalité professée par le romancier et suffit à remettre en cause le réalisme objectif qu’on lui a si souvent attribué » (Czyba, 1983:326). En réalité, Czyba défend l'idée que Flaubert n'a pas écrit Madame Bovary en portant un regard objectif sur le monde et sur les êtres, comme il a pu le faire dans d'autres de ses romans, dans la mesure où il donne à voir au lecteur une image de la femme qui n’est pas « extérieure mais intérieure » (idem). Nous pouvons nous rendre compte après avoir lu le roman que le mariage est un sujet sur lequel « Flaubert insiste particulièrement » (ibid.). Il nous le présente comme n'étant qu'un ensemble d’unions arrangées entre des êtres, au nom de l’intérêt « financier, social, matériel » (Czyba, 1983 :327), et surtout pas au nom de « l’amour » (idem).

Pour Czyba, « Flaubert voit et décrit » (Czyba, 1983 :328) la société française de son temps à travers les yeux d'Emma : une femme pour qui les rêves et les désirs sont l'unique moyen qu'elle possède pour se sentir aimée et vivante, et pour qui le monde intérieur remplace un monde extérieur qui ne lui apporte que des désillusions et des souffrances. Ce qui fait la beauté triste d'Emma, c'est qu'elle possède de grandes valeurs morales comme l'amour, le droit au bonheur et à la liberté. Mais ce sont des valeurs qui resteront immatérielles car elles se heurtent aux valeurs de la société bourgeoise, déjà bien établies, et imposent une conception de la vie beaucoup plus terre-à- terre, matérielle et qui semble inchangeable. Selon Czyba, « en donnant à voir au lecteur avec autant de précision toutes les agitations qui existent dans l'esprit d'Emma, ses rêves et ses troubles, Flaubert ne peut donc pas être complètement objectif dans son roman. Mais, il y est au contraire absolument subjectif » (Czyba, 1983: 330).

II. b. Le procès de Madame Bovary : entre scandale et révolution littéraire.

C’est dans la Revue de Paris, un recueil de textes réputé à l’époque de Flaubert, que Madame Bovary paraît pour la première fois en 1857. La publication du roman fut un événement à la fois marquant et troublant pour la littérature française du XIXème siècle : d'une part le roman connut un succès immense, mais d'autre part il dut faire face aux méfiances et aux craintes de la « censure officielle de l’époque » (Flaubert, 1885:30). En effet, le parquet mit tout en œuvre pour faire condamner le roman : il étudia le livre et il en releva certains passages qui étaient condamnables selon lui pour deux délits : offense à « la morale publique » (idem) et offense à la « morale religieuse » (ibid.). Mais le ministère public, représenté lors du procès de Madame Bovary par le substitut du procureur impérial Ernest Pinard, fût « grotesque dans la condamnation » (idem) excessive qu’il fit du roman de Flaubert.

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Le titre du roman Madame Bovary et le sous-titre Mœurs de province ne laissaient pas paraître clairement la pensée de l'auteur selon Pinard, bien qu'ils permettent au lecteur de la deviner. Le roman n'est pas basé sur un système de pensée mais sur des tableaux de genre, des descriptions d'êtres où la plus sérieuse et la plus riche n'est pas celle du mari, bien qu'il inaugure et achève le livre, mais celle de l'épouse : Emma Bovary. Le titre « Histoire des adultères d’une femme de province » (idem) attribué par Pinard au roman convenait plus au roman selon lui. En effet, il dévoilait sans ambiguïté l'objectif attribué par Flaubert à son œuvre : faire un portrait des mœurs dissolues d'une femme vivant dans la société bourgeoise provinciale du XIXème siècle. L'œuvre était ainsi accusée de deux délits établis par Pinard : offense à la morale publique, en raison des descriptions sensuelles et érotiques d'Emma Bovary. Et offense à la morale religieuse en raison de l'union inhabituelle et provocatrice réalisée dans plusieurs images entre le domaine des plaisirs et des sens et celui de la religion. Pour Pinard, «l'offense à la morale publique résidait dans les tableaux sensuels et érotiques, et l'offense à la morale religieuse dans des images qui mélangent volupté et 'choses sacrées', c'est-à-dire le domaine de la religion » (idem).

Par ailleurs, toujours selon Pinard, le portrait principal du roman est celui d’Emma Bovary : il est au cœur de l’œuvre, et Flaubert a employé tout son talent, toutes les richesses et les ressources de son style pour le réaliser comme il le souhaitait : sensuel et provocateur. En effet, ce portrait exprime le plus le caractère provocateur du roman dans la mesure où l’auteur ne décrit pas l’intelligence, les sentiments ou les pensées d’Emma, mais il peint la sensualité de cette femme. Selon Pinard, « il [Flaubert] n'y montre pas son intelligence, son cœur, son esprit mais, il dévoile surtout la sensualité de cette femme [...] Emma Bovary est une femme belle et voluptueuse, mais elle est avant tout une femme provocatrice : sa beauté est une provocation, elle vise à troubler et à choquer » (idem).

De ce fait, si l'adultère occupe une place centrale dans Madame Bovary, c'est sans doute parce qu'il s'inscrit dans la démarche provocatrice donnée au roman par Flaubert selon Pinard. A cause de son atmosphère sensuelle et érotique, le roman fut présenté comme un roman qui manque de morale et en cherchant à provoquer, en mettant en avant des portraits qui décrivent la beauté du corps et son pouvoir d'attraction. Selon Pinard, « c'est un roman de qualité au niveau de la forme, mais pas au niveau du fond dans la mesure où l'auteur décrit la nature sans retenue et sans finesse, mais dans sa forme naturelle et primaire» (idem). Après avoir analysé le roman de Flaubert, Pinard pensait avoir découvert les « délits d'offense » « idem » à la morale publique et religieuse dont il était accusé, et pour cela toutes les personnes qui avaient participé à la réalisation du roman étaient toutes

« coupables » (idem) : autant l’auteur que l’imprimeur du roman M. Pillet.

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Pour Flaubert, le procès fait à son roman Madame Bovary n’était pas qu’un simple procès : il était avant tout un exemple de plus des mauvais traitements que la censure et la morale sociale et religieuse faisaient subir à la littérature en général durant son époque. C’est en tout cas ce que l’auteur exprimait dans une lettre écrite à Champfleury datée du 4 février 1857 et citée par Leclerc :

« Vous avez compris que ma cause était celle de la littérature contemporaine tout entière. Ce n’est pas mon roman qu’on attaque, mais tous les romans, et avec eux le droit d’en faire ». (Leclerc, 2001:245).

II. c. Emma Bovary : une femme rêveuse et révoltée mais condamnée à subir la réalité en silence.

Malgré une origine bourgeoise souvent modeste, une petite bourgeoisie provinciale qui a conservé des liens étroits avec la paysannerie, les personnages féminins des romans Madame Bovary et Thérèse Desqueyroux adhèrent aveuglement aux valeurs fondamentales de l’idéologie bourgeoise, classe dominante à cette époque. Aussi, lire ce roman oblige en quelque sorte à prendre en compte l’histoire sociale de l’époque. Il n’aurait pas de sens sans ce contexte, selon Czyba : « l’histoire d’Emma Bovary s’inscrit et s’écrit dans ce contexte sociologique, n’a de sens que par rapport à lui » (Czyba, 1983:53), puisque respecter les valeurs sociales signifie qu’une femme doit avant toute chose faire un beau mariage, et par la suite, avoir une vie de famille. Être épouse et mère semblent donc les deux seules raisons d’être pour ces bourgeoises : « la grande, la seule affaire dans la vie de ces femmes est le mariage, suivi de son corolaire, la maternité » (idem).

Liées par le mariage indissoluble, privées d’autonomie, condamnées à répéter des comportements séculaires, les femmes apparaissent invariablement comme des victimes. Elles apparaissent donc telles des victimes destinées à obéir, que ce soit aux maris, aux valeurs bourgeoises, ou aux mœurs de l’époque : vivre pour elles signifient souffrir. Or, Emma aspire à un idéal romanesque qui ne correspond pas à cette « destinée féminine » (Czyba, 1983:57). Et l’amour impossible qu’elle cherchera en vain va la conduire à l’adultère, donc au péché : « l’amour impossible [….] situe Emma du côté des femmes adultères, des pècheresses» (idem).

Devenue pécheresse en dépit ou à cause de son éducation ? La question se pose alors qu’ « Emma reçoit aux Ursulines une belle éducation » (Czyba, 1983:61) et que l’on regarde de plus près en quoi consiste cette « belle éducation » (idem). Cet enseignement paraît plutôt destiné à lui donner l’illusion d’apprendre à devenir bourgeoise. Selon Czyba, « cette éducation ne la prépare donc nullement à une pratique sociale authentique mais la voue à l’illusion du paraître » (ibid.). Elle pourrait paraître « demoiselle de ville » (Czyba, 1983:64), mais en vérité trop modeste, elle ne sera

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sans doute jamais à l’image des bourgeoises de la haute société. Le couvent « engourdit » (idem) donc son esprit au lieu de l’inciter à observer la réalité et d’en tirer de bonnes conclusions. Ainsi, son apprentissage surfait conduit Emma à une rêverie continuelle, « celle de la passion amoureuse et de la vie idéale » (Czyba, 1983 :65). Et cette rêverie s’alimente de passions romantiques rencontrées aussi bien dans des romances « apprises dans les classes de musique » (idem). Emma apprend alors l’amour à travers le romanesque, isolée dans son couvent elle ne peut comparer ce qu’elle lit ou apprend à la réalité brutale d’une société accrochée à ses valeurs bourgeoises. Et

« l’amour romanesque » (ibid.) devient ainsi à ses yeux le but ultime de son existence.

Emma sera toujours en quête de cet amour rêvé, imaginé, mais qui n’existe pas : « Elle [Emma]

confondait, dans son désir, les sensualités du luxe avec les joies du cœur » (Flaubert, 2001:113). Et cet amour est encore plus impossible parce que le luxe associé à ses passions rêvées lui sera toujours interdit : sa condition sociale ne lui permet pas d’égaler avec l’aristocratie. Emma est donc prisonnière de ces rêveries créé lors de son séjour en tant que pensionnaire au couvent, tout comme elle va le devenir durant son mariage. Selon Czyba, « à la prison du mariage […] est associé un vécu particulier du temps, caractérisé par la monotonie, la répétition stérile, le vide angoissant»

(idem). Ainsi le mariage ne répond pas à ses attentes, en outre, il introduit une monotonie stérile dans sa vie déjà angoissante. Toujours selon Czyba, « le temps est vide à l’intérieur duquel existe un seul moment toujours pareil, n’apportant rien» (idem). C’est sans doute pour cette raison que l’invitation à la Vaubyessard, « survenu par hasard, de l’extérieur » (idem), apparaît comme un événement insolite au regard d’Emma : «[Le narrateur du roman] quelque chose d’extraordinaire tomba dans sa vie » (Flaubert, 2001:97). Cette invitation vient briser la monotonie de sa vie, déserte de toutes surprises, et sans pour autant modifier durablement la situation de l’héroïne, elle brise temporairement l’étroitesse de sa vie. Selon Czyba, « cette visite rompt le cercle étroit de l’existence d’Emma et lui substitue une « circonférence infinie » (Czyba, 1983:76) parce que pendant une nuit, Emma vit dans « le monde de l’illusion » (idem). Au moins le temps d’une nuit, Emma va oublier sa réalité quotidienne dont elle se sent prisonnière. Flaubert le décrit d’ailleurs dans son roman : « après le bal, elle [Emma] faisait des efforts pour se tenir éveillée, afin de prolonger l’illusion de cette vie luxueuse ». (Flaubert, 2001:107). Cet épisode est donc « une illusion » (Czyba, 1983:79). Et Emma s’illusionne avec « volupté » (idem) car ce qu’elle vit ressemble à ce qu’elle avait rêvé au couvent : c’est l’illusion d’une « existence aristocratique » (ibid.).

Contrairement à d’autres personnages célèbres, Emma Bovary n’est donc qu’une femme trop faible pour échapper à ses passions alors même qu’elle a conscience du danger de ces désirs. Czyba dira

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que « Flaubert n’a pas voulu attribuer à Emma une folie visionnaire semblable à celle de Don Quichotte, ni en faire une poétesse « voyante » comme Rimbaud ». (Czyba, 1983:96). Sa folie n’est certes pas aussi « active et infatigable » (idem) que la folie de Don Quichotte, Flaubert la limitant à une folie passionnelle qui la conduit à « l’adultère » (ibid.). En effet, ses deux amants (Rodolphe Boulanger et Léon Dupuis) « aggravent » (Czyba, 1983 :97) en quelque sorte sa folie puisque la dépression la guette avec la fin de chaque aventure : « deux amants, deux dépressions » (Czyba, 1983:98). Mais cette folie, aussi limité qu’elle semble être, aurait pu ne jamais connaître de fin.

Pour Czyba, « la mort » (idem) devient alors la seule alternative pour échapper à cette folie. Le suicide finalement reste la seule arme en sa possession pour fuir cette société qui ne correspond pas à l’illusion qu’elle s’était forgée : «[Le narrateur du roman] Elle [Emma] n’existait plus». (Flaubert, 2001:420). Selon Czyba, cette phrase simple indique de manière « brutale » (Czyba, 1983:99) l’annulation complète du personnage, la « survenue du néant » (idem). Mais le suicide d’Emma ne saurait traduire à lui seul la misère de son existence toute entière. Mourir ainsi semblerait encore trop sublime alors que ce geste paraît n’être rien de plus qu’un geste de « désespoir » (ibid.). Cela peut expliquer la présence incongrue de la chanson de l’aveugle au moment de la mort de l’héroïne.

Selon Ozanam, « la chanson de l’aveugle semble un résumé de l’existence d’Emma » (Ozanam, 1989:79). Cette Chanson devient alors « l’allégorie de la mort » (idem), une allégorie grotesque afin d’amplifier le caractère illusoire d’une vie aussi misérablement vécue et qui se finit comme elle a commencé dans « l’indifférence » (ibid.). Ozanam écrira ses propos qui concluent parfaitement cet exposé : « jamais l’effet de contrepoint grotesque, si fréquent dans le roman, n’a été aussi fort. C’est au milieu d’une scène tragique entre toutes que retentissent les couplets paillards ». (Ozanam, 1989:80).

III. Analyse de Thérèse Desqueyroux.

III. a. François Mauriac : une écriture omnisciente mais une peinture extérieure et limitée des personnages.

Selon Cormeau, Mauriac est également un auteur qui met en scène des personnages féminins qui sont fortement mis en valeur : ce sont des femmes qui ont l’air d’être des créatures sauvages et passionnées dans leurs manières d’être et de penser, animées d’une passion de vivre qui ne peut être ni domptée ni maîtrisée. Ces femmes vivent dans la société bourgeoise provinciale, et comme cela est le cas pour Thérèse Desqueyroux, l’amour semble être le seul moyen qu’elles ont pour s’échapper d’une réalité fade et insatisfaisante : « dans les romans de François Mauriac, les femmes sont aussi des personnages favoris. Mauriac voit en elles une force de passion indomptable. Dans la

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société de la bourgeoisie provinciale dont elles font partie, elles ne trouvent d’épanouissement que dans l’amour » (Cormeau, 1951:19).

Selon Cormeau, « Mauriac connaît tellement bien ses personnages » (idem) qu'il n'est pas nécessaire selon lui de décrire avec précision leur intérieur, c'est-à-dire tout ce qui anime et agite leur âme, et qui les mène à agir d'une telle façon ou d'une autre. Toujours selon Cormeau, Thérèse Desqueyroux n'échappe pas à cette règle, elle est uniquement décrite de l'extérieur par Mauriac et, cela a pour conséquence qu'elle n'a pas l'apparence d'un être complet, ou d'une femme dont l'existence serait animée et guidée par une multitude de désirs et de passions. Bien au contraire, elle a plutôt l'air d'être un fantôme de femme, un spectre enchaîné à une division permanente entre un immense désir d’affection qu'elle n'obtient pas, et une nostalgie de ce qui est absolu et qu'elle ne pourra jamais obtenir. Selon Cormeau, « en la décrivant de l’extérieur, Mauriac fait de Thérèse Desqueyroux une essence privée de liberté. Mauriac ne donne aucune explication aux agissements de son personnage et se borne à retranscrire toutes les obscurités du cœur humain » (idem).

Nous pouvons en effet nous rendre compte qu'aucune information n'est donnée par Mauriac sur la psychologie ou le caractère de Thérèse Desqueyroux, et qui pourrait donner un sens à ses actions.

Le lecteur est ainsi en face d'un personnage qu'il ne comprend pas vraiment car les moyens et les ressources nécessaires pour le comprendre ne lui sont pas donnés par le romancier. Sans entrer dans les détails, en restant distant par rapport à son personnage, pour Cormeau, « Mauriac se contente en définitive de peindre un tableau général et non pas une galerie de portraits. Il donne à voir au lecteur les contradictions et les mystères insondables du cœur humain, et non pas ceux de plusieurs cœurs humains » (idem).

III. b. La critique de Mauriac par Sartre : l'écrivain qui se prenait pour Dieu.

La crise du genre romanesque fait rage dans la littérature française du XXe siècle, et l'œuvre de Mauriac n'échappe pas aux critiques qui sont faites sur les styles d'écriture des écrivains et sur leurs conceptions de ce qu'est, ou plutôt de ce que doit être le roman. Jean-Paul Sartre écrit un article sur Mauriac publié dans La Nouvelle revue française le 1er février 1939, et dont le titre reflète le point de vue de l'auteur sur l'œuvre de Mauriac. En effet, l'article « Monsieur François Mauriac et la liberté » est un texte où Sartre porte un « jugement négatif » (Sperkova, 2008 :http://www.sens- public.org/spip.php?article408), sur la conception que Mauriac a du romancier et du narrateur.

En effet, selon Paulina Sperkova, Sartre présente Mauriac comme un auteur-narrateur omniscient aussi puissant qu'un Dieu, qui sait tout de ses personnages, et qui les fait agir comme des marionnettes dont il tire les ficelles. Toujours selon Paulina Sperkova, « il [Sartre] reproche à

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Mauriac le manque de liberté de ses personnages. Sartre introduit dans sa critique, sans les distinguer tout à fait, la question de la toute-puissance du romancier et celle de son omniscience » (idem).

En critiquant l'œuvre de Mauriac, Paulina Sperkova estime que Sartre critique ainsi bien plus qu'un simple roman : il fait la critique d'une conception académique, conservatrice et bourgeoise du roman dont Mauriac est à ses yeux un parfait défenseur. Il y a ainsi une rivalité entre une conception traditionnelle du roman, représentée par Mauriac, qui est encore toute puissante, et une conception nouvelle du roman (le roman existentialiste), représentée par Sartre. Selon Paulina Sperkova,

« Mauriac représente l'archétype de tout ce que Sartre rejette : l'homme bourgeois et l'écrivain catholique […] en dénonçant l'esthétique romanesque de l'un des maîtres du roman de l'époque, Sartre lutte contre la littérature académique et traditionnelle » (idem).

Le fait de vouloir être un auteur omniscient qui contrôle tout détruit l'art selon Sartre car il supprime tout ce qui rend vivant le roman, tout ce qui donne l'impression au lecteur que ce qu'il est en train de lire n'a pas été inventé de toutes pièces : les passions incontrôlables, les pensées imprévues et les mystères de l'existence humaine. Selon Sartre, « il [Mauriac] a choisi la toute-connaissance et la toute puissance divines... Dieu n'est pas un artiste ; M. Mauriac non plus » (Sartre dans Sperkova, 2008 : http://www.sens-public.org/spip.php?article408).

Mais, il semble que Mauriac ne peut pas abandonner la présence omnisciente et active du romancier-narrateur dans ses romans dans la mesure où elle est une caractéristique de son univers littéraire. En effet, selon Mauriac, il est le guide de ses personnages : sans lui, ils ne sauraient pas quoi penser ou faire, ils seraient perdus et seraient comme des créatures sans âme. C'est l'idée qu'il avance dans son essai Le Romancier et ses personnages. Selon Mauriac, « le romancier peut obliger ses personnages à découvrir en eux leur âme, il peut les sauver (…) il peut les obliger à lever un peu la tête, (...) prendre leurs mains tâtonnantes » (Mauriac dans Sperkova, 2008 : http://www.sens- public.org/spip.php?article408).

Ainsi, malgré son souci de laisser une part de liberté à ses personnages pour donner de la vraisemblance à son roman, Mauriac estime que le rôle joué par le romancier dans son livre doit être total : l'écrivain est à la fois créateur, artiste et Dieu. Et ainsi, il doit être libre de créer et diriger ses personnages comme il le veut, puisqu'ils font partie du monde qu'il a créé de toutes pièces.

Selon Mauriac, « il faut aussi que Dieu soit libre, infiniment libre d'agir sur sa créature ; et il faut que le romancier jouisse de la liberté absolue de l'artiste en face de son ouvrage (...) il dirige les personnages de ses livres dans la voie qu'il leur a choisie » (Mauriac dans Sperkova, 2008 : http://www.sens-public.org/spip.php?article408).

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En définitive, l'attaque de Sartre envers l'œuvre de Mauriac a eu plus d'impact que ne l'avait pensé le romancier puisqu'il décida de ne plus intervenir en tant qu'auteur dans les récits de ses romans futurs comme il le faisait auparavant. Tel est le cas dans La Pharisienne qu'il écrivit en 1951. Selon Sperkova, « la critique de Sartre poussa Mauriac à modifier une caractéristique majeure de son univers romanesque ». (Sperkova, 2008 : http://www.sens-public.org/spip.php?article408).Après cette critique, la présence de l'auteur cessa d'être « omnisciente » (idem) et présente à travers le narrateur. Mauriac auteur-narrateur devint Mauriac « narrateur », (idem), et ce changement marqua un tournant majeur dans « sa carrière de romancier » (idem).

III. c. Thérèse Desqueyroux : une femme tiraillée entre son désir d'indépendance et de reconnaissance sociale, entre ses rêves et la réalité.

En 1927, Mauriac publie Thérèse Desqueyroux. Roman provincial, Jacob-Champeau dira même

« roman de province et roman d’une province » (Jacob-Champeau, 1991:103), il choisit de situer l’action dans sa chère région landaise. Moyen habile de décrire un milieu, une manière de vivre et de penser le monde, en somme de décrire des « mœurs à valeurs emblématiques » (idem) et une mentalité particulière à une certaine classe sociale. Pour autant, ses personnages possèdent une valeur universelle. Malgré le cadre régional, les bourgeois et les paysans de ce roman se préoccupent sensiblement des mêmes choses que leurs homologues dans d’autres régions. Selon Jacob-Champeau, « leurs activités, leurs préoccupations, leurs valeurs sont, à peu de choses près, celles de tout propriétaire terrien ou de tout paysan » (ibid.).

Cette universalité dans le choix de personnages peut expliquer le caractère fugitif des descriptions de chaque personnage. Les « indications restent fugitives, dispersées dans le roman » (Maucuer, 1970:64). Ainsi que sait-on de Thérèse, pourtant personnage principal du roman, si ce n’est qu’elle serait apparemment plus grande que son père ? De la couleur de ses cheveux aucune indication ne nous sera donnée, à nous lecteurs. Pour Maucuer, « Mauriac est moins curieux de l’apparence physique de ses personnages, que du secret de leur cœur» (idem). De cette manière, Thérèse pourrait aussi bien être une autre jeune fille, présente dans « une autre région » (idem), mais vivant une vie identique. Il en est de même pour le reste des personnages composant ce roman. Donner à lire un « portrait aussi fugace » (ibid.) permet aux lecteurs d’imaginer un univers qui leur est propre, tout en laissant suffisamment de marge afin de le rendre « plausible partout ailleurs » (idem). Selon Maucuer, « ce qui intéresse particulièrement Mauriac, ce qu’il souhaite révéler, ce sont bien des caractères, ce par quoi un être se trahit » (idem). Nous pourrions alors dire que c’est un portrait

« plus moral que physique » (ibid.) qui est fait de chacun. De ce fait, il est difficile d’imaginer leurs

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corps. Imparfaitement décrits, ils sont davantage des caractères, des traits généraux. Et pourtant, ces personnages dont on imagine « imparfaitement le corps » (idem), vivent d’une vie physique intense.

Ils aiment, ils mangent, ou ne veulent plus manger. Tous répondent en effet aux besoins de « leurs corps » (idem) : l’amour, la faim, le sommeil, ils y succombent ou y résistent mais en tout cas ils le vivent. Selon Maucuer, « les personnages de Mauriac semblent souvent souffrir d’un certain malaise. Il est notable que le malaise est chez eux un état plus fréquent que la santé » (idem).

Thérèse n’échappe pas à cet état. Bien au contraire, elle est usée par le mariage. Son corps tout entier semble souffrir de cette contradiction entre ses attentes physiques et morales et ce que la vie lui a réellement offert. D’après Maucuer, « le mariage a laissé sa chair insatisfaite et révoltée » (idem). Autrefois pareille à toutes les jeunes filles, le malaise qu’elle éprouve la pousse alors à

« attendre sa mort » (idem) plutôt qu’à vivre réellement sa vie.

Cependant, beaucoup des personnages n’ont pas conscience de leur état, se contentant de parcourir le chemin qu’ils se sont tracés, sans vraiment se demander à quoi pourrait être dû ce « mal-être » (idem) qu’ils éprouvent parfois, ou même s’il serait possible de trouver une solution. Au contraire, bien souvent l’impression qu’on éprouve est qu’ils tentent d’enfermer les autres avec eux. Ceux qui les entourent se retrouvent donc emprisonnés dans la même prison faite de docilité et d’habitudes.

Maucuer résume bien les raisons qui conduisent l’héroïne dans une sorte d’impasse : « l’emprise familiale, la docilité aux habitudes de son milieu, la tentation du moindre effort semblent avoir contribué à jeter Thérèse dans la prison qu’elle voulait fuir » (idem).

Ainsi Thérèse, tout en voulant fuir l’emprise familiale et certaines mœurs de son époque, se retrouve jetée dans la prison qu’elle tentait en vain de fuir. Consciente, à la différence des autres, de son emprisonnement, elle ne parvient pas à trouver une issue pour s'en échapper. Selon Maucuer,

« le malheur de Thérèse est de vivre au milieu de ces demi-morts, trop consciente pour ignorer l’asphyxie qui la menace et incapable d’imaginer une issue ». La citation de Mauriac qui suit résume alors cette incapacité d’échapper à une vie étouffante mais rassurante car connue, composée de règles et d’habitudes apprises depuis si longtemps qu’il devient impossible de fuir leurs étreintes : « [Thérèse qui parle] Tout ce jour à vivre encore, dans cette chambre ; et puis ces semaines, ces mois…». (Mauriac, 1989:121).

Thérèse s’ennuie dans cette vie qu’elle n’a finalement pas choisie, « supplice d’ennui et de dépérissements moraux et physiques » (Maucuer, 1970:79). Alors, incapable de s'en sortir, elle se laisse mourir lentement. A l’image de la nature qui l’entoure, son corps, aussi bien que son cœur,

« s’assèche » (ibid.). Et si elle trouve encore la force de se rebeller contre l’injustice de sa vie ce n’est pas pour échapper à sa condition mais plutôt, semble-t-il, pour appeler la mort de ses vœux.

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Pour Maucuer, « Mauriac évoque alors la nature qui l’entoure comme le reflet de son être. La nature devient le symbole de l’aridité de son âme et de son lent dépérissement » (idem). Mais à travers Thérèse, ce sont tous les hommes qui semblent condamnés, comme s’il avait fallu donner un visage à l’humanité et que Thérèse serait ce visage universel. Maucuer ajoute, « le spectacle de la nature nous renvoie à celui de l’humanité, et la vie secrète des hommes apparaît en accord profond avec la vie des plantes ou des animaux» (idem).

Thérèse Desqueyroux est donc un roman qui rapproche la nature et les hommes. Il nous rappelle sans cesse que tout homme est avant tout un animal, et qu’aucun ne peut le nier, car le comportement de chacun reste imprégné du milieu animal. Ce sont des instincts primitifs, sauvages et violents qui guident les hommes vers l’assouvissement de leurs besoins les plus élémentaires, comme se nourrir, se reproduire, se dévouer ou se cacher. Selon Maucuer, « les mêmes instincts, une même inquiétude, semblent rapprocher les bêtes et les hommes » (idem).

Thérèse ne veut pas appartenir à ce monde, elle entend « être libre » (idem). Pourtant le regard ou encore l’approbation des autres comptent énormément pour elle. Et c’est parce qu’elle veut exister aux yeux des autres, avoir une importance dans leur existence, qu’elle finira réduite dans un rôle trop étroit pour elle, rôle que les autres veulent la voir tenir même s’il ne lui convient pas. « Elle désire s’affirmer » (idem), au point que Maucuer écrira que « sa vie est une constante et maladroite affirmation de soi » (idem), mais elle reste pourtant prisonnière du regard des autres qui attendent qu’elle se comporte d’une certaine manière. Pour Maucuer, « des autres elle [Thérèse] guette un regard, une attention ; elle veut exister à leur yeux, être importante pour eux » (Maucuer, 1970:92).

Ce besoin d’être reconnu par ses semblables la conduira à ressentir un sentiment « d’injustice » (idem) face au bonheur des uns : « [Thérèse qui parle] pourquoi pas moi ? » (Mauriac, 1989 :56), ou de refus face à la médiocrité des autres, car le spectacle des autres, de leur bonheur, ou de leur vie médiocre l’oblige à « comparer » (Maucuer, 1970:93) sa propre vie, et donc sa propre médiocrité, avec la leur.

Thérèse Desqueyroux est un roman de « l’insatisfaction » (idem) due à l’attente, à l'attente de jours meilleurs, d'un bonheur espéré en vain et d’un changement qui pourrait bouleverser le cours de sa vie et l’éloigner de son ennui mortel. Mais si Thérèse est la victime, son mari et ses proches ressemblent beaucoup à des coupables. Selon Maucuer, et là encore Mauriac choisit de lier la vie de Thérèse à la nature pour l’exprimer. En faisant de Bernard un chasseur, il fait de Thérèse une proie idéale. Elle est la seule à détester la chasse : sa place est donc parmi les victimes, dont la moindre imprudence lui coûtera la vie. Selon Maucuer, « c’est un univers de chasseurs et de chassés, occupés à tendre leurs filets et à guetter leur proie, ou à éviter le piège, à se tapir pour survivre »

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(idem). Prisonnière des filets de sa condition de bourgeoise, Thérèse ne peut pas fuir sans craindre de perdre la vie. Alors elle attend, elle attend qu’on la « délivre de sa souffrance » (idem) et de ses angoisses, jusqu’à ce que la fureur la pousse à commettre l’irréparable. Et même là, elle redeviendra

« la victime » (ibid.) puisque le meurtre ayant échoué, elle devient esclave de sa conscience.

Ainsi, en attendant une vie plus proche de ses espoirs et de ses attentes, Thérèse doit affronter la mesquinerie, l’étroitesse d’esprit de toute une classe sociale. Mais lorsque cette attente devient trop lourde à supporter elle y ajoute un poids supplémentaire : « le poids de ses actes » (idem). Elle devra affronter l’horreur de son geste. Elle aurait pu, elle aurait dû, tenter de combler cette attente dans l’espoir d’un infini de « pureté, de beauté, d’amour et de paix » (idem), au lieu de quoi elle agonise dans l’indifférence et l’ennui.

IV. Synthèse.

IV. a. L’insatisfaction traitée par Flaubert dans Emma Bovary.

Selon Melchior Bonnet et de Tocqueville durant plusieurs siècles les femmes étaient considérées et représentées à travers le regard des hommes. Ce regard n'était pas flatteur dans la mesure où il mettait en avant les défauts et les fautes commises par les femmes, comme cela est le cas pour l’adultère : « une histoire de l’adultère pourrait se confondre avec une histoire de la femme vue à travers le prisme masculin : lascive, inconstante, dangereuse, coupable et même 'criminelle' » (Melchior Bonnet, de Tocqueville, 1999:10). Les femmes pouvaient être en effet considérées comme des criminelles lorsqu'elles trompaient leurs maris, elles étaient alors inexcusables et méritaient d'être punies sévèrement car l'adultère pouvait créer des doutes sur la paternité des enfants nés des mariages : « Longtemps, l’infidélité du mari n’est pas prise en compte, tandis que la

« trahison » de l’épouse n’admet aucune excuse, car elle brouille les filiations » (idem).

Melchior Bonnet et de Tocqueville ont présenté Madame Bovary comme étant une illustration des ravages que peut provoquer l'adultère dans la vie d'une femme et d'une épouse comme Emma Bovary. Emma est insatisfaite de son mariage avec Charles Bovary et de l'existence qu'elle mène dans sa province bourgeoise, et c'est face à ce double constat d'échec qu'elle décide de tromper son mari afin de se sentir aimée et vivante : « Cette petite provinciale, mal mariée et insatisfaite de sa vie auprès de son mari Charles s’invente une passion pour se sentir vivre et palper l’indicible » (Melchior Bonnet, de Tocqueville, 1999:16). « L'adultère » (idem) est pour Emma l'unique moyen de se sentir vivante et aimée car son mariage avec Charles est froid et silencieux comme une tombe pour elle. Mais cette fuite passionnée ne lui apportera pas « le bonheur rêvé » (ibid.), elle ne la mènera au contraire que vers une « déchéance cruelle » (idem), et puis finalement vers une lente

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agonie. Selon Melchior Bonnet et de Tocqueville, si Madame Bovary a provoqué beaucoup d'émotions auprès du public de lecteurs lors de sa publication en France, c'est sans nul doute parce que Flaubert a fait le choix de ne pas idéaliser l'adultère comme l'avait fait auparavant le romantisme : « Le romantisme avait idéalisé l’adultère ; Flaubert s’acharne contre les rêves de félicité d’Emma en la confrontant aux sordides questions d’argent et il dépoétise volontairement la réalité » (idem).

En effet, il n'est pas question d'embellir la réalité avec les rêves d'Emma, bien au contraire, ses rêves de bonheur se heurtent de façon violente à la réalité et à ses implications matérielles. Selon Czyba, « Flaubert fait mourir les rêves d'Emma en la confrontant à une vérité implacable et inévitable : elle ne pourra jamais réaliser ses envies de vivre un amour heureux qui n’existent que dans ses rêves » (Czyba, 1983:80). Et l'adultère, au lieu d'être le moyen pour accéder à cet amour heureux comme elle l'imaginait, sera au contraire le moyen pour elle de trouver « la mort » (idem).

Selon Czyba, « Flaubert désire ainsi montrer qu'il n'y a pas de place pour de tels rêves dans le monde de la société bourgeoise provinciale, c'est en ce sens qu'il dépoétise la réalité » (ibid.). Mais Emma ne renonce pourtant pas à ses rêves avant la fin. Emma croit très fort en ses rêves de bonheur parce qu'ils la maintiennent en vie, et l'adultère est à ses yeux le seul moyen de les atteindre et de les rendre vivants. En effet, si Emma décide de tromper Charles, c'est parce qu'elle réalise qu'il ne pourra jamais la rendre heureuse comme elle le souhaite : il n'est qu'une déception, il est un obstacle à son bonheur car il est l'homme qui la garde prisonnière dans une vie qui est en fait une véritable prison. Selon Czyba, « l’adultère est vécu par Emma comme une déception de son mariage avec Charles et de l’insatisfaction de sa vie avec lui. La rancœur accumulée contre le mari geôlier, obstacle au bonheur, jugé responsable de toute la « misère » de l’existence quotidienne, nourrit l’amour adultère » (idem).

Le mariage et le foyer conjugal sont donc synonymes de prison pour Emma, et Czyba estime que Madame Bovary s'articule ainsi autour de la tentative d'évasion de cette prison par Emma au long du roman. L'adultère n'est pas un crime, mais un espoir aux yeux d'Emma : il est à la fois un interdit et l'unique moyen qu'elle a pour s'évader vers l'amour libre et choisi, et vers le monde extérieur et vivant dont elle rêve sans cesse : « Opposé à l’espace-prison du mariage, à la réclusion à l’intérieur du foyer conjugal, à l’espace de la maison, l’adultère pour Emma figure ainsi comme l’évasion, l’ouverture, l’élargissement, l’accès au monde interdit du dehors, la liberté » (idem).

Selon Czyba, l'éloignement du foyer conjugal est pour Emma le début de cette évasion vers le bonheur : lors de la scène de la promenade à cheval, elle se rend compte que le village de Yonville est terriblement petit, et qu'il y a une quantité d'autres lieux à voir et à découvrir où le bonheur se

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trouve certainement : « La promenade à cheval figure l’ouverture, l’élargissement de l’espace habituellement imparti à Emma parce qu’elle implique un départ de la maison. La vision qu’elle a du paysage signifie la libération par l’éloignement […] Emma demeure persuadée que le bonheur existe ailleurs » (idem). C'est à ce moment qu'Emma semble réaliser qu'elle vit dans un espace trop

« délimité » (idem) et trop petit pour elle, dans un espace où le bonheur ne peut pas exister, car elle ne trouve à l'intérieur que son mari qu'elle n'aime pas et un sentiment « d'insatisfaction permanent » (ibid.). La fuite du foyer conjugal devient alors aux yeux d'Emma la fuite vers le bonheur, et c'est dans l'adultère qu'elle imagine s'évader de l'« espace-prison du mariage » (idem) qui la rend malheureuse.

Il s'agit ici d'une opposition entre un ici : la vie d'Emma dans le foyer conjugal de Yonville et son mariage malheureux avec Charles, et un ailleurs : sa vie rêvée et heureuse dans un autre endroit et avec un autre homme. L'idée avancée par Czyba est que cette opposition existe à travers l'image qu'Emma se fait des hommes : Charles est pour elle l'obstacle au bonheur, et l'amant est au contraire l'accès à ce bonheur désiré et sublimé par elle. Selon Czyba, « l’amant qui se définit par opposition au mari, représentant de l’ici intolérable, est celui qui donne accès à cet ailleurs mythique » (idem).

En effet, Emma semble créer une image parfaite et idyllique de l'amant qui s'oppose complètement à l'image qu'elle a de son mari Charles : Charles est l'homme ennuyeux et oppressant qui l'enferme dans un « mariage malheureux » (idem), alors que l'amant apparaît comme étant l'homme sauveur, l'homme attendu qui doit la « libérer » (ibid.) de ce mariage , et qui doit l'amener vers le monde fait d'amour et de bonheur pur qu'elle imagine.

En effet, Emma ne peut pas s'échapper du monde parfait qu'elle a inventé où l'amour est absolument parfait. Elle n'a pas ainsi le comportement d'une femme adulte mais celui d'une jeune fille qui n'arrive pas à grandir et qui se perd dans ses rêves romantiques : aller au théâtre est pour elle la réalisation d'un rêve, d'une image qu'elle se faisait du mariage parfait, de la vie idéale en tant que femme mariée. En assistant au spectacle, Emma retombe en effet dans sa tendre enfance, faite de rêves de vie et d'amour parfaits. Selon Czyba, « l’accès au théâtre, signe d’appartenance à une classe sociale supérieure […] constitue un des rêves d’Emma, imaginant la vie idéale de la femme mariée. Le spectacle lui-même la replonge dans l’univers fantasmatique de son adolescence » (idem).

Selon Czyba, Emma ne semble pas avoir d'autre choix que de tromper son époux si elle veut pouvoir accéder au bonheur dont elle rêve tant : « L’adultère d’Emma est présenté comme le seul moyen pour s’évader de sa vie insatisfaisante» (idem). Emma veut pouvoir décider elle-même de l'homme avec qui elle veut être, bien que ce soit de manière « officieuse » (idem) et cachée, afin

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d'avoir le sentiment d'être « libre » (ibid.). A travers cette recherche désespérée et secrète de l'amour et de la liberté, selon Czyba, «Flaubert rappelle les inégalités » (idem) qui existent dans la société du XIXème siècle entre hommes et femmes : ils ne sont pas égaux dans la mesure où « les femmes ne sont pas libres » (idem) comme les hommes le sont.

Mais l'adultère d'Emma n'est en fin de compte qu'un moyen temporaire et illusoire d'être libre. Elle ne vit que des moments de plaisir qui la condamnent moralement pour avoir commis une faute impardonnable, et qui entraînent une punition définitive qu'elle s'inflige à elle-même : sa mort par empoisonnement. Selon Czyba, « et comme la faute par excellence : elle sera libre et vivra des moments d’évasions et des passions mais elle sera condamnée moralement ; on feindra d’oublier que c’est la même société qui lui confère cette liberté parodique et qui fait son procès » (idem).

L'adultère est ainsi pour Emma tout le contraire de ce qu'elle imaginait : il est une fuite ratée vers le bonheur et sans autre destination que la mort.

En effet, Czyba estime que Flaubert ne donne pas une liberté totale à son personnage. Emma est libre sexuellement dans la mesure où elle s'épanouit dans l'adultère mais, elle n'est pas libre spirituellement, car sa conscience peut seulement s'exprimer à travers des moments de liberté qui ne sont faits que de plaisirs physiques, et qui ne mènent qu'à sa condamnation: « L’érotisme d’Emma, incompatible avec le mariage, s’épanouit dans l’adultère mais il condamne l’héroïne […] En affirmant la sexualité d’Emma, Flaubert reconnaît qu’elle a droit à une certaine autonomie mais il limite cette autonomie au plaisir physique ». (Czyba, 1983:104).

Selon Czyba, Flaubert présente Emma comme étant une femme – objet qui n'est libre que d'utiliser son corps comme elle le souhaite, mais pas son âme. Emma est une femme – objet en raison de la manière dont les hommes la considèrent (une source de plaisir physique pour Charles et pour ses amants), mais aussi parce qu'elle n'a le sentiment d'exister qu'à travers son corps et sa sensualité :

«dans l’adultère, Emma est, mais elle n’est que son corps, elle aime n’être que son corps, elle s’objective elle-même en corps ; à travers ses personnages masculins, Flaubert traite son héroïne en objet, non en sujet » (idem).

Emma Bovary n'est ainsi qu'un corps privé de son âme dans ses adultères, elle semble aimer ses amants mais en laissant de côté toutes ses pensées et tous ses rêves romantiques, comme s'ils ne pouvaient pas exister dans ces relations passagères et cachées car condamnables. En effet, dans le roman, le corps d'Emma et son pouvoir de séduction sont mis en avant. Emma est décrite comme une créature sensuelle, dont les passions nombreuses et dévorantes sont un danger pour les hommes. Pour Czyba, « aux prestiges du corps d’Emma, objet d’une constante focalisation du texte,

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s’oppose la peur victorienne provoquée par le pouvoir de séduction qu’exerce ce corps infernal, pouvoir dévorant qui menace l’intégrité du sujet masculin en le ruinant dans tous les sens du terme » (idem). On peut penser qu'Emma ne semble pas pouvoir combiner son âme et son corps dans ses amours avec ses amants, et c'est sans doute pour cela qu'elle n'arrive pas à retenir et à comprendre les échecs et les désillusions vécus lors de ces relations qu'elle répète les mêmes erreurs qui la détruisent toujours plus jusqu'à la fin. Pour Czyba, « Emma, condamnée à répéter les mêmes erreurs, incapables de transformer ses 'désillusions' en expérience, reste incurable et meurt désespérée » (idem). Le mal qui la ronge jusqu'à sa mort est « d'aimer mal » « idem » les hommes qu'elles rencontrent, et avec qui elles espèrent connaître un amour heureux. Le fait de s'affirmer et d'exister uniquement à travers son corps aux yeux de ses amants, alors qu'elle a une âme pleine de rêves et de pensées pour construire un amour romantique, est le grand « paradoxe cruel » (ibid.) d'Emma Bovary.

L'amour libre est une caractéristique majeure du nouveau roman inauguré par Flaubert en cette dernière moitié du XIXe siècle et Madame Bovary est une illustration de cet amour libre. Selon Czyba, Emma Bovary est une incarnation, un symbole de tous les rêves et les désirs que peuvent avoir les lecteurs et les lectrices de ce roman, et cela de tous les temps : « Cette liberté de l’amour est celle du nouveau roman qu’inaugure Flaubert, la liberté d’un personnage qui résume tous nos rêves, tous ceux que nous avons formés par nos lectures » (idem). En effet, le personnage d'Emma Bovary nous semble être universel et intemporel : c'est un personnage qui oppose, à une vision médiocre et « fataliste » (idem) du monde, une vision du monde où l'amour libre est possible quand il brise toutes les barrières et les codes sociaux qui veulent l'empêcher d'exister.

Madame Bovary est sans conteste le roman le plus libre et le plus intemporel écrit par Flaubert, son héroïne est à la fois une femme et toutes les femmes, de plusieurs époques confondues. Elle incarne tout ce que la femme a de romanesque, de sensuel et de passionné, au point de s'opposer jusqu'à la mort à une vie et à un monde qui ne la satisfont pas du tout, car ils ne laissent pas de place au bonheur véritable. Pour Czyba, « dans son corset de style, cette œuvre est la plus libre de celles qu’a écrites Flaubert […] Emma est l’héroïne de toujours, condamnée mais se débattant contre la fatalité, un concentré de romanesque et de désir » (idem).

Tous les rêves et les désirs d'Emma Bovary sont ceux que peuvent avoir encore aujourd'hui les lecteurs au fond d'eux-mêmes : qui ne rêve pas de trouver l'amour parfait ? Qui ne court pas après le bonheur ? Emma Bovary réunit en elle tellement d'espoirs et de déceptions, de rêves et de souffrances qu'elle semble avoir « vécu la vie de tous les personnages de roman » selon Czyba (idem). C'est sans doute la raison pour laquelle tant de lecteurs peuvent se reconnaître à travers les

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« traits de caractère » (ibid.) d'Emma Bovary et avoir le sentiment de vivre ce qu'elle a vécu, et ce que tant d'autres avant elles ont également vécu.

IV. b. L’insatisfaction traitée par Mauriac dans Thérèse Desqueyroux.

Un avis au lecteur inaugure Thérèse Desqueyroux de Mauriac, ainsi qu'une épigraphe de Charles Baudelaire extraite du Spleen de Paris (Mademoiselle Bistouri) : « Seigneur, ayez pitié, ayez pitié des fous et des folles ! Ô créateur ! Peut-il exister des monstres aux yeux de celui-là seul qui sait pourquoi ils existent, comment ils se sont faits, et comment ils auraient pu ne pas se faire... » (Charles Baudelaire dans Mauriac, 1989:19). Pourtant, selon, Jacob-Champeau, l'avis au lecteur ou l'épigraphe n'étaient pas présent dans un seul des manuscrits composés par Mauriac. On peut ainsi s'interroger sur le rôle que joue l'épigraphe de Baudelaire au début du roman. Selon Jacob- Champeau, « il sert à Mauriac à donner au lecteur à la fois le thème et l'atmosphère du roman : la folie de vivre, la folie d'aimer au-delà des interdits et des règles sociales. » (Jacob-Champeau, 1991 :12) En effet, à travers cette épigraphe, Jacob-Champeau ajoute que « Mauriac évoque deux évènements » (idem) tirés de sa propre existence et qui ont sans doute « inspiré » (ibid.) l'écriture du roman.

Le premier évènement est le procès qui avait eu lieu à Bordeaux d'une femme nommée Madame Canaby, et auquel Mauriac avait assisté. Cette femme était accusée d'avoir voulu se débarrasser de son époux en l'empoisonnant car elle aimait un autre homme. Selon Jacob-Champeau, « Mauriac rappelle un procès auquel il avait assisté au Bordeaux, le procès de Madame Canaby accusé d’avoir tenté d’empoisonner son mari, parce qu’elle aimait un autre homme » (idem). Le second événement est la rencontre avec une autre jeune femme qui avait était elle aussi négligée et abandonnée : « À cette source historique, s’ajoute une source plus personnelle, la rencontre d’une « jeune femme hagarde », elle aussi laissée pour compte » (idem).

Le récit de Thérèse Desqueyroux est ainsi composé à partir de la réalité de ces femmes qui mènent des vies insatisfaites qui les enferment, les étouffent et les privent du bonheur. C'est à travers le dialogue entre Mauriac et son héroïne au début du roman, que Jacob-Champeau nomme le créateur et sa créature, que le lecteur peut selon lui découvrir que la vie de Thérèse Desqueyroux sera identique à celle de ces autres femmes. Selon Jacob-Champeau, « dans ce dialogue entre le créateur et sa créature, apparaissent d’emblée les thèmes qui seront développés dans Thérèse Desqueyroux : Thème de l’enfermement et l’étouffement » (idem).

Mauriac a voulu présenter Thérèse Desqueyroux comme étant un personnage qui est indéniablement animé par cette folie de vivre en liberté. Le sujet central du roman est l'opposition

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constante de Thérèse contre une société provinciale bourgeoise et restreinte, dont les règles sont pour elles comme des barreaux qui la tiennent prisonnière dans une véritable prison : une vie de mariée qui la rend toujours plus triste au lieu de la rendre heureuse. Selon Maucuer, « pour Mauriac Thérèse est l’une de ces femmes qui sont différentes de leur milieu natal ; par le fait de leur naissance dans une campagne perdue, dans une société très restreinte, elle se trouve en fait, emprisonnées derrière des barreaux, des barreaux vivants » (Maucuer, 1970 :59). On peut sentir au fil de la lecture du roman que Thérèse est un être à part et incompris dans la société perdue dans la campagne française dans laquelle elle vit. Elle rejette cette société car elle sait qu'elle ne pourra jamais y trouver quelqu'un qui puisse la comprendre.

Maucuer nous présente le contexte social dans lequel vit Thérèse afin de comprendre la situation dans laquelle elle se trouve : elle vit dans la société française du XXème siècle où « l'homme domine la femme » (idem), où c'est lui qui a le droit de parler, de juger et décider pour tous. De son côté, la femme n'a que le droit de « se soumettre à son autorité » (idem). Thérèse a l'apparence d'une

« femme étrange » (ibid.) et qui n'a pas sa place dans cette société. Elle joue ainsi le rôle de l'élément étranger dont les hommes semblent se méfier. On peut se rendre compte de cela dans le premier chapitre de Thérèse Desqueyroux : lorsque Thérèse sort du Palais de Justice où s'est déroulé un procès, elle se retrouve entourée par deux hommes : son père (Larroque) et l'avocat (Duros) :

« Thérèse marchait entre les deux hommes » (Mauriac, 1989:24). Pour Maucuer, Thérèse est comme « étouffée » (Maucuer, 1970 :63) par la présence des hommes qui la soumettent à leur autorité. En effet, dès le début du roman, le lecteur a sous les yeux une femme qui ne semble être qu'un corps sans âme, et qui se laisse dirigée par l'autorité des hommes qui l'entourent sans avoir d'autre choix. Selon Maucuer, c'est le manque d'amour éprouvé par Thérèse qui fait qu'elle se sent délaissée dans la vie : elle n'a pas reçu l'amour maternel qu'une jeune fille doit recevoir car sa mère est morte tôt après sa naissance, et elle n'est pas non plus reçue d'amour paternel puisque son père l'a placée dans une institution laïque pour faire son éducation : « Thérèse a grandi sans amour puisqu’elle a très tôt perdu sa mère et son père confia son éducation à une institution laïque. Thérèse se considère un être délaissé et en manque d’amour » (idem).

En outre, Maucuer donne une raison pour laquelle le mariage de Thérèse et de Bernard est voué à l'échec et ne peut pas être heureux : ils ne sont pas égaux dans leur mariage au niveau de ce qui est un élément principal d'un couple : l'attirance et la sexualité, le partage du plaisir sensuel et charnel.

Thérèse n'a pas le sentiment d'être une femme aimée par son époux selon Maucuer. Elle a plutôt le sentiment d'être un objet sexuel utilisé par Bernard, uniquement destiné à lui donner du plaisir ou des enfants : « Le jour même des noces, l’angoisse a saisi la jeune femme, l’arrachant à la fausse

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paix qu’elle vient de connaître : l’angoisse d’être désormais pour son mari non celle qu’on aime, mais celle qu’on utilise, qui est faite pour donner du plaisir ou des enfants » (idem). Elle n'est pas sa femme à ses yeux, elle est plutôt comme une « machine dépourvue » (idem) de sentiments dont se sert Bernard. Elle est « enfermée dans son plaisir » (Mauriac, 1989:51), et elle n'éprouve aucun plaisir lorsqu'il satisfait le sien. Mais lui ne se doute pas un seul instant que sa conception bestiale du plaisir lui enlève le sien. Selon Maucuer, « Bernard n’a chaque fois, retrouvé sa femme qu’au terme de ce plaisir ; étonné qu’elle montrât si peu le sien, incapable d’imaginer qu’elle en pût être privée » (Maucuer, 1970:67).

La vie monotone que mène Thérèse à Argelouse avec Bernard la déprime et ne la satisfait en aucun point, elle invente alors complètement une autre vie qu'elle mènerait à Paris, et dont elle crée tous les détails nécessaires pour qu'elle soit parfaite. Selon Maucuer, « face à une morne vie à Argelouse, Thérèse imagine une autre vie à Paris, où les repas monotones à la maison sont remplacés par des repas au restaurant ; la compagnie monocorde de Bernard sera remplacée par celle d’autres hommes» (idem). La fuite dans ce monde imaginaire, cette vie rêvée, est pour Thérèse un moyen de se consoler de son mariage raté et triste avec Bernard. Elle imagine vivre tout ce qu'elle pourrait vivre si elle était « libre » (idem), libre d'être considérée comme elle le mérite, d'être bien entourée et d'être heureuse. Le contraste entre Argelouse et Paris, entre la petite ville de province et la capitale, reflète l'opposition permanente entre « deux mondes » (idem), entre deux vies qui existe dans le roman : une vie « terrestre » « idem » et une vie « rêvée » (ibid.). Thérèse Desqueyroux s'achève sur l'entrée de Thérèse dans cette vie rêvée : elle est à Paris et tout ce qu'elle voit, tout ce qu'elle découvre de nouveau et d'imprévu la rend ivre de plaisir et la « transforme » (idem) en une autre femme.

A la fin du roman, Thérèse vit ainsi une véritable renaissance et délivrance : elle se libère de son corps, de son esprit et surtout d'elle-même car elle s'était enchaînée à une vie qui lui interdisait de vivre. La présence de deux points de vue qui se croisent, celui du personnage et celui du romancier, permet d'exprimer tout le sens et la force qu'a cette renaissance. Selon Jacob-Champeau :

« L’alternance entre le point de vue du personnage et celui du romancier permet de donner tout son sens à cette renaissance : renaissance physique, renaissance psychologique mais aussi renaissance morale car si Thérèse s’est libérée des servitudes familiales, elle s’est aussi libérée d’elle-même » (Jacob-Champeau, 1991:98). En effet, Mauriac pose une « atmosphère spirituelle » (idem) en cette fin de roman. Selon Jacob-Champeau « il s'agit pour Mauriac de montrer que Thérèse est désormais libre, libre d'exister, d'aimer et d'être heureuse comme elle le souhaite » (ibid.). Elle est libérée de ses démons du passé : sa rancœur et son amertume nées de son mariage avec Bernard.

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V. La réception morale du comportement d'Emma Bovary et de Thérèse Desqueyroux.

V. a. Les avis des lecteurs sur Emma Bovary.

Les avis des lecteurs divergent à propos du comportement d'Emma Bovary dans Madame Bovary : elle est tour à tour victime ou coupable, pitoyable ou détestable. D'une part, certains considèrent qu'elle est une victime et qu'elle inspire la pitié car elle est piégée dans un mariage désastreux et dans un milieu social qui l'oppressent. En effet, plusieurs lecteurs considèrent qu’Emma Bovary est une incarnation romanesque et romantique des sentiments féminins qui s'oppose à la manière de penser conservatrice et statique de la société bourgeoise de province. Selon une lectrice du roman, Emma se heurte à l'impossibilité de donner vie à ses rêves d'amour dans le milieu social où elle vit, et c'est cela qui provoque sa dépression et sa chute. « Madame Bovary retrace le parcours - ou disons plutôt la descente aux enfers - d'Emma Bovary, une jeune femme romantique toujours à l'affût du moindre évènement et qui, pour échapper à l'ennui du quotidien, s'abandonne aux rêveries que lui inspirent ses lectures, nourrissant sans cesse l'espoir qu'un jour, le rêve se confonde avec la réalité »(http://www.babelio.com/livres/Flaubert-Madame-Bovary/4134/critiques?tri=app,

'Zazette97')

Certains lecteurs de Madame Bovary avancent l'idée que les hommes et les femmes n'ont pas la même nature dans le roman, qu'ils ne peuvent donc pas totalement se comprendre, et surtout en ce qui concerne les sentiments. Si les hommes et les femmes ne peuvent pas communiquer et se comprendre quand ils parlent de l'amour, alors ils ne peuvent pas s'aimer de la même manière, et c'est ce qui se passe entre Charles et Emma Bovary selon une lectrice du roman. En effet, Charles se moque du romantisme d'Emma qui lui apparaît enfantin et ridicule, il n'a pas du tout la même vision de l'amour qu'elle : il est rationnel et pragmatique, alors qu'elle est totalement passionnée et rêve d'un amour parfait. Ils sont donc tous les deux incompatibles et opposés dans leurs façons d'être et d'aimer : « Emma Bovary va d'échec en échec. Mariée à un officier de médecine médiocre, elle multiplie les relations sentimentales adultérines sans trouver aucune joie. Paysanne d'origine, petite bourgeoise dans la vie et admirant les aristocrates, elle ne voit jamais le réel tel qu'il est » (http://www.babelio.com/livres/Flaubert-Madame-Bovary/4134/critiques?tri=app, 'Aela').

Selon une lectrice de Madame Bovary, si Emma se suicide à la fin du livre, c'est parce qu'elle préfère mourir libre que vivre enchaînée à un mariage malheureux, mais aussi parce qu'elle s'est placée dans une situation dramatique contre laquelle elle ne peut rien faire : elle ne peut pas rembourser ses dettes. En effet, le suicide est l'unique moyen qu'elle trouve pour échapper à cette situation et à ce sentiment terrible d'insatisfaction et de solitude qui la ronge tout au long du roman.

« Elle ne se tue pas par amour, elle se tue parce qu'elle ne peut pas payer ses dettes. Le thème

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essentiel, finalement, c'est la difficile situation économique de la femme dans une société fondée sur l'argent » (http://www.babelio.com/livres/Flaubert-Madame-Bovary/4134/critiques?tri=app, 'Aela').

Au contraire, d'autres lecteurs ont un point de vue tout à fait différent vis à vis du comportement d'Emma : selon eux, elle est coupable de tromper son mari et elle est responsable de sa propre chute, de sa propre mort. En effet, une lectrice de Madame Bovary estime qu'Emma est injuste de ne pas vouloir laisser une seconde chance à son mari, car bien qu'il soit ennuyeux à ses yeux, il est prêt à tout faire pour elle, alors pourquoi ne pourrait-il pas être prêt à changer, à l'aimer comme elle le souhaite ? L'intransigeance d'Emma à l'égard de Charles semble ainsi inverser les rôles : Charles devient victime d'Emma qui est détestable car elle le rejette radicalement, sans chercher à vouloir changer la situation, et sans chercher à sauver leur mariage en fin de compte : « A l'époque, j'avais pris en pitié cette pauvre Emma, victime de ce mari qui, faisant tout de travers, ne réussissait pas à la rendre heureuse. Mon avis est à présent beaucoup plus contrasté.

[…] Certes, Charles Bovary apparaît comme un homme plutôt fade et ennuyeux. Mais le dévouement extrême qu'il porte à Emma est si touchant que j'en suis venue à mépriser cette femme de ne pas réussir à l'aimer malgré tout, ou du moins à lui accorder une chance » (http://www.babelio.com/livres/Flaubert-Madame-Bovary/4134/critiques?tri=app, 'Zazette97').

Selon une autre lectrice du roman, Emma, en voulant à tout prix s'échapper de son mariage avec Charles et vivre dans le monde idyllique qu'elle a inventé, est la vraie responsable de sa ruine personnelle (ses échecs amoureux et ses dettes). Mais, ce qui la rend coupable, c'est le fait qu'elle ruine aussi l'existence de son époux et de famille en les ignorant, en allant chercher le bonheur ailleurs. Elle est égocentrique, manipulatrice et cruelle dans la mesure où Charles, même s'il n'est pas un mari parfait, aime Emma au point de lui offrir tout ce dont elle a envie, de satisfaire ses caprices. Charles semble être ainsi la victime dans cette histoire : il aime éperdument Emma sans être aimé en retour : « Au motif de sacrifier sa vie, Emma agit sans scrupules envers sa famille.

Égocentrée, elle néglige sa fille, trompe son mari, dilapide son argent et le manipule afin qu'il cède au moindre de ses caprices. Et Charles […] lui passe tout, se contente du peu d'affection qu'elle consent à lui donner et ne se rend compte de rien » (http://www.babelio.com/livres/Flaubert- Madame-Bovary/4134/critiques?tri=app, 'Zazette97').

V. b. Les avis des lecteurs sur Thérèse Desqueyroux.

Thérèse Desqueyroux est aussi en conflit comme Emma Bovary, et comme dans Madame Bovary, ce conflit occupe la place principale dans le roman de Mauriac. En effet, Thérèse Desqueyroux est aussi une femme qui oppose sa vision de l'amour et de la vie, moderne et différente, au milieu social

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