• No results found

Mémoire de licence

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Share "Mémoire de licence"

Copied!
32
0
0

Loading.... (view fulltext now)

Full text

(1)

1

Mémoire de licence

Les thèmes de l’amitié et de la solidarité dans La

vie devant soi de Romain Gary (Émile Ajar) et Kiffe,

kiffe demain de Faïza Guène

Författare: Anna-Karin Widhagen

Handledare: Mattias Aronsson

Examinator: Nathalie Hauksson Tresch Ämne/huvudområde: Franska

Kurskod: FR2028 Poäng: 15

Ventilerings-/examinationsdatum: 27 augusti 2020

Vid Högskolan Dalarna har du möjlighet att publicera ditt examensarbete i fulltext i DiVA. Publiceringen sker Open Access, vilket innebär att arbetet blir fritt tillgängligt att läsa och ladda ned på nätet. Du ökar därmed spridningen och synligheten av ditt examensarbete.

Open Access är på väg att bli norm för att sprida vetenskaplig information på nätet. Högskolan Dalarna rekommenderar såväl forskare som studenter att publicera sina arbeten Open Access.

Jag/vi medger publicering i fulltext (fritt tillgänglig på nätet, Open Access):

Ja ☒ Nej ☐

(2)

2

Résumé

Dans ce mémoire, nous étudions comment les thèmes de l’amitié et de la solidarité sont représentés dans les romans La vie devant soi (1975) de Romain Gary (Émile Ajar) et Kiffe,

kiffe demain (2004) de Faïza Guène. Dans la notion d’amitié, nous incluons également l’amour

qui existe entre les membres d'une famille. Les récits se déroulent dans le cadre des quartiers populaires parisiens et les thèmes sont véhiculés par les auteurs à travers la voix d’un enfant/adolescent et à l’aide d’un style humoristique. Après notre analyse de ces thèmes, nous pouvons constater que la représentation de l’amitié consiste principalement en un amour entre une mère et un enfant ainsi que d’une amitié entre un enfant/adolescent et des personnes plus âgées. En ce qui concerne la solidarité, elle est surtout représentée par l’entraide parmi les voisins dans le quartier. Les résultats de la présente étude suggèrent qu’il y a plus de similitudes que de différences dans la représentation de ces thèmes. Les dissemblances sont principalement dues aux différentes époques où se déroulent les récits et les circonstances dans lesquelles se trouvent les personnages principaux.

Abstract:

This paper examines how the themes of friendship and solidarity are portrayed in the two novels

The Life Before Us (1975) by Roman Gary (Émile Ajar) and Kiffe Kiffe Tomorrow (2004) by

Faïza Guène. In the notion of friendship, this paper includes love that exists between family members. Within the context of working-class Parisian neighborhoods, the authors explore these themes through the narration of a child/teenager by using a humorous style. The results of the study indicate that the representation of friendship for the protagonists mainly consists of a love between a mother and a child and of a friendship between the child/teenager and an older individual. As far as solidarity is concerned, it is mainly represented by the mutual aid within the community among neighbors. The results of the present study suggest that there are more similarities than differences in the representation of the themes. The points of contrast generally relate to the particular era or setting in which the stories unfold and the particular set of circumstances experienced by the main characters.

(3)

3

Table des matières

1. Introduction ... 4

1.1. Problématique et but du mémoire ... 6

1.2. Plan du travail et méthodologie ... 6

1.3. Études antérieures ... 7

2. Biographie des auteurs et résumé des romans ... 9

2.1 Romain Gary (Emile Ajar) et La vie devant soi ... 9

2.2 Faïza Guène et Kiffe kiffe demain ... 10

3. Analyse des thèmes ... 11

3.1. La représentation de l’amitié ... 12

3.1.1. Amour familial... 12

3.1.2. Amitié – amis du même âge ... 18

3.1.3. Amitié – amis imaginaires et substituts d’amis ... 20

3.2. La représentation de la solidarité ... 21

4. Comparaison/discussion ... 24

4.1. Amitié ... 24

4.1.1. Amour familial... 24

4.1.2. Amitiés – amis du même âge, amis imaginaires et substituts d’amis ... 26

4.2. Solidarité ... 27

5. Conclusion ... 29

(4)

4

1. Introduction

Les romans étudiés dans ce mémoire, La vie devant soi de Romain Gary (écrit sous le pseudonyme d’Émile Ajar) et Kiffe kiffe demain de Faïza Guène, ont été publiés à des périodes différentes et par des auteurs de différents âges et horizons. La vie devant soi est paru en 1975, écrit par un homme de soixante-et-un ans, auteur de plusieurs romans et Kiffe kiffe demain en 2004 par une débutante de dix-neuf ans. Néanmoins, il y a des ressemblances dans le contenu et le style de ces récits. Ce que nous allons examiner de plus près est comment les thèmes de l’amitié et de la solidarité sont représentés dans les deux romans.

Nous allons concentrer notre attention sur le thème de l’amitié dans lequel nous inclurons la notion d’amour, surtout dans le sens de l’affection ou de la tendresse entre les membres d'une famille. Nous introduirons aussi le sentiment d’affection ressenti pour un animal ou quelque chose de semblable. Le thème de la solidarité a des parités avec l’amitié et sera étudié comme un sous-thème.

Les romans situés dans les banlieues pauvres à forte population immigrée, n’ont pas eu une place significative dans l’histoire de la littérature française jusqu’au début des années 1980. A ce moment émerge un courant littéraire, appelé « littérature beure »,auquel appartient Faïza Guène. Dans son article « La littérature beure : un cri de haine bourré d’espoir » publié en 1998, Patricia Toumi-Lippenoo souligne que « ses écrivains, issus de la seconde génération d’immigrés maghrébins (beur = arabe en verlan1) développent un discours de références

culturelles, d’appartenance à une communauté parentale avant d’être une auto-analyse »2. Les

romans faisant parti de ce courant littéraire traitent souvent du sentiment d’exclusion de la société française et donnent surtout une image négative de la banlieue en se concentrant sur la violence et la criminalité. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Faïza Guène a eu un tel succès avec Kiffe kiffe demain. Ce roman traite de la vie quotidienne dans la banlieue parisienne, vue à travers les yeux d’une adolescente mais décrite d’une manière plutôt positive. En plus, elle utilise un langage familier et argotique mélangé avec des mots en arabe. Tout cela était une nouveauté dans la littérature française même si des romans de style semblable et dont l’histoire se passait dans un milieu défavorisé existaient déjà auparavant. La vie devant soi de Romain Gary fait partie de ces romans. Le récit dans La vie devant soi n’est pas situé dans la banlieue, mais dans un quartier populaire de Paris, Belleville, qui à l’époque, regroupait des

1 Argot codé caractérisé par l’inversion des syllabes (par exemple zarbi, bizarre ; ripou, pourri).

https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/verlan/81556?q=Verlan#80592

(5)

5

immigrés provenant de différents pays. Sous le pseudonyme d’Émile Ajar, Romain Gary a écrit en utilisant un langage oral familier et un style propre, « l’ajarisme ». C’est un style qui ajoute de la nouveauté, comme le constate Amélie Vrla : « Les ajarismes font preuve d’un sens de l’innovation et de l’image, d’une poésie, ainsi que d’un humour noir et provocant qui en font un style bien particulier »3. Selon elle c’est « sur ce style humoristique qu’il a fondé son écriture, son art d’écrire et de tout transformer, de telle sorte que l’on ne peut que rire, même des images les plus choquantes »4. Par l’intermédiaire de la voix d’un enfant, Gary laisse le narrateur faire des fautes grammaticales, utiliser des mots et des expressions qu’il ne comprend pas. Cela crée des phrases astucieuses et amusantes.

Nous présenterons les auteurs et leurs œuvres en profondeur plus loin dans ce mémoire et nous nous limitons dans cette introduction à une brève présentation. Commençons par Romain Gary, né en Russie en 1914 de parents juifs, il arrive en France avec sa mère à l’âge de quatorze ans. Le quartier de Belleville à Paris où se déroule le récit La vie devant soi lui était inconnu et il a dû faire quelques recherches avant d’écrire son roman. La vie devant soi est l’histoire de Momo, un garçon arabe qui vit en pension chez Madame Rosa, vieille femme juive qui s’occupe des enfants de prostituées. Momo, le narrateur du récit, nous fait part de sa vie quotidienne mais peu habituelle, racontée de son point de vue d’enfant.

Continuons avec Faïza Guène qui est néeen 1985 dans une banlieue de Paris de parents algériens. Son roman Kiffe kiffe demain a eu un grand succès, aussi bien en France, qu’à l’étranger. Ce livre, écrit sous la forme d’un journal intime, décrit la vie quotidienne de l’adolescente Doria. Elle habite seule avec sa mère, d’origine marocaine, dans une banlieue de Paris depuis que son père les a quittées pour retourner au Maroc. Contrairement à Romain Gary, Faïza Guène connait bien le milieu qu’elle décrit. Cependant, il ne s’agit pas d’un livre autobiographique.

Dans les deux romans les thèmes sont abordés à travers la voix d’un enfant/adolescent et à l’aide d’un style humoristique. Certes, les auteurs décrivent une communauté ségréguée, mais c’est aussi un environnement qui comprend de l’amitié et de la solidarité. Bien que les romans traitent de sujets difficiles, ils le font d’une façon amusante et avec du charme et c’est pourquoi nous avons choisi ces livres. Il y a plusieurs autres thèmes qu’il aurait été intéressant d’étudier, entre autres le racisme, la ségrégation, la précarité,

(6)

6

l’abandon, la recherche d’une identité et le féminisme. Néanmoins, nous nous limiterons ici aux deux thèmes mentionnés ci-dessus.

1.1. Problématique et but du mémoire

Le but de notre mémoire est de comparer la représentation de deux thèmes littéraires importants dans deux romans français de l’après-guerre. Comme nous l’avons déjà mentionné dans l’introduction, la question que nous nous poserons dans ce mémoire est la suivante : Comment les thèmes de l’amitié et de la solidarité sont-ils représentés dans les romans étudiés. Nous examinerons en quoi consistent les différences et les similitudes en prenant en compte le fait que les deux livres sont écrits, non seulement avec un écart d’une trentaine d’années, mais aussi par des écrivains d’horizons et de générations différents.

1.2. Plan du travail et méthodologie

Nous commencerons par présenter la méthodologie et continuerons par les biographies des auteurs et les résumés des œuvres choisies. Ensuite nous discuterons les différents thèmes mentionnés dans l’introduction avec des références à des recherches précédentes. Au cours de notre travail nous allons essayer de répondre à la question posée. Finalement nous allons résumer les résultats de notre étude et proposer de futures études dans le même domaine.

La raison pour laquelle nous avons choisi les thèmes de l’amitié et de la solidarité est que les deux livres montrent un aspect plutôt positif de la vie dans un quartier populaire et nous avons voulu nous concentrer sur ce fait. Les auteurs mentionnent tous les deux la violence, la pauvreté, la discrimination et l’inégalité qui existent dans la communauté mais, avant tout, ce qu’ils ont réussi à transmettre aux lecteurs sont des récits pleins de tendresse, de charme et d’humour. Bien que le style narratif exprimé par un enfant/adolescent et le style humoristique ne soient pas directement inclus dans notre étude, nous y ferons référence parce que nous considérons que ce sont des éléments essentiels pour la bonne compréhension de nos thèmes.

Nous ferons une étude thématique traditionnelle des deux thèmes choisis. Nous nous appuierons sur la définition d’un thème selon le dictionnaire le Grand Robert qui est « sujet, idée, proposition qu’on développe dans un discours, un ouvrage didactique ou littéraire »5. Parfois le mot motif est utilisé dans ce contexte au lieu du mot thème, mais le cadre

théorique fait la distinction entre ces deux termes et considère que le thème est la formule abstraite des idées principales dans un texte. Le thème peut être exprimé à travers des motifs différents. Mattias Aronsson constate dans sa thèse de doctorat La thématique de l’eau dans

(7)

7

l’œuvre de Marguerite Duras6, qu’il n’y a pas de consensus sur la terminologie et la définition

du motif et du thème parmi les chercheurs. Néanmoins, il note que du moins pour quelques chercheurs, le motif est un élément textuel et donc concret tandis que le thème est une idée et donc abstrait. Suivant ce raisonnement, dans ce mémoire, nous considèrerons que l’amitié et la solidarité sont des thèmes.

1.3. Études antérieures

Dans les études antérieures des romans choisis, les thèmes de l’amitié/de l’amour et de la solidarité sont très souvent mentionnés mais nous n’avons pas trouvé d’études qui sont uniquement consacrées à ces sujets. Cependant, nous nous référerons à des études précédentes comme par exemple, concernant La vie devant soi, la thèse de doctorat d’Anne-Charlotte Östman L'utopie et l'ironie : Étude sur Gros-Câlin et sa place dans l'œuvre de Romain Gary7. Cette thèse traite de Gros-Câlin, le premier roman publié sous le pseudonyme d’Émile Ajar, mais il y a tout de même des références à La vie devant soi et il y a de ressemblances en ce qui concerne les thèmes, le style et l’humour. Plusieurs observations concernant Gros-Câlin sont aussi valables pour La vie devant soi. Tout comme Gros Câlin, La vie devant soi « contient un système de paradoxes. Le langage subjectif et ambigu du narrateur rend compte de données universelles : un désir d’amour fondamental et la volonté de l’homme de se ‘réaliser’ »8. Dans les deux livres les thèmes de l’amour, la solitude et l’état de manque sont parmi les thèmes principaux. A l’instar du narrateur Cousin dans Gros-Câlin, Momo dans La vie devant soi se sent seul et « souffrant du manque d'amour »9. Östman constate que les mots qui reviennent

comme des leitmotives dans l’œuvre d’Ajar sont « Les hommes ont besoin d’amitié »10. C’est

cette expression que Romain Gary lui-même a utilisée concernant Gros-Câlin dans son livre posthume Vie et mort d’Emile Ajar : « Le livre parut. Je n’attendais rien. Tout ce que je voulais, c’était pouvoir parfois poser la main sur mon Gros Câlin. Les hommes ont besoin d’amitié »11.

En ce qui concerne le thème de la solidarité, Östman observe que « Ce qui compte pour Cousin c'est la solidarité entre les gens »12. Le python « Gros-Câlin représente […] les mal-aimés de la société, ceux qui devraient être embrassés par la solidarité des autres »13.

6 Mattias Aronsson, 2008. « La thématique de l’eau dans l’œuvre de Marguerite Duras ».

7 Anne-Charlotte Östman, 1994. « L'utopie et l'ironie : Étude sur Gros-Câlin et sa place dans l'œuvre de Romain

Gary ».

8 Idem, p. 192. 9 Ibid., p. 84. 10 Ibid., p. 174.

11 Romain Gary, Vie et mort d’Émile Ajar, p. 25. 12 Östman, op.cit., p. 190.

(8)

8

Ther observe aussi dans sa thèse de doctorat La magie dans l’œuvre romanesque

de Romain Gary et Émile Ajar, que l’amour chez Gary « domine les autres thématiques. Alors

que l’humanité semble poursuivre l’amour éternel et absolu comme une quête inachevée et chimérique, cette recherche de l’amour tutoie, chez Gary, la quête de reconnaissance »14. Quant

à Vrla, son objet dans le livre Romain Gary, Emile Ajar Regards croisés, était d´étudier les connivences entre Gary et Ajar et de trouver des ressemblances dans les livres publiés sous le nom de Gary et dans ceux publiés sous le pseudonyme d’Ajar15. Ses recherches ne portent donc

pas sur la présence de l’amitié et l’amour, mais elle en a trouvé des exemples. Nous ferons aussi des références à l’étude de Britt-Marie Karlsson où elle compare les deux œuvres La vie devant

soi et Ett öga rött16 de Jonas Hassen Khemiri17.

Quant à Kiffe kiffe demain, nous nous référerons à des articles de Mattias Aronsson. Un aspect intéressant de notre point de vue est que, dans son étude « La réception de Faïza Guène en Suède : la banlieue française en traduction », il a trouvé parmi les comptes rendus des « blogueurs », une autre personne qui a noté les ressemblances entre la narratrice Doria dans Kiffe kiffe demain et le narrateur Momo dans La vie devant soi18.Dans l’article

« Trahison, hypocrisie et violence – la représentation de la masculinité musulmane dans Kiffe kiffe demain de Faïza Guène »19, Aronsson étudie de plus près les personnages masculins dans ce livre comme par exemple le père de Doria, qui bien qu’absent joue un rôle important dans sa vie. L’amour entre mère et fille dans Kiffe Kiffe demain est évoqué dans l’article « Mères migrantes et filles de la République : identité et féminité dans le roman de banlieue »20 de Mame-Fatou Niang.

Parmi les romans faisant partie de la littérature contemporaine traitant du thème de l’amour maternel et filial, il convient de rappeler le roman Promesse de l’aube de Romain Gary. C’est un exemple pertinent, compte tenu qu’il est considéré comme un roman autobiographique, même si, selon Jørn Boisen, presque tout dans le texte est fiction. Boisen

14 Cécile Ther, 2009. « La magie dans l’œuvre romanesque de Romain Gary et Émile Ajar », p. 150. 15 Vrla, op.cit., p 13.

16 Ett öga rött « Un œil rouge », non traduit en français.

17 Britt-Marie Karlsson, 2014. « Quêtes identitaires et enjeux littéraires. Résonances intertextuelles entre

Romain Gary et Jonas Hassen Khemiri » dans La langue dans la littérature, la littérature dans la langue – Textes réunis en hommage à Eva Ahlstedt.

18 Mattias Aronsson, 2018. « La réception de Faïza Guène en Suède : la banlieue française en traduction », p.

117.

19 Mattias Aronsson, 2012. « Trahison, hypocrisie et violence – la représentation de la masculinité musulmane

dans Kiffe kiffe demain de Faïza Guène ».

20 Mame-Fato Niang, 2013. « Mères migrantes et filles de la République : identité et féminité dans le roman de

(9)

9

écrit que Gary « réussit le tour de force d’écrire un récit autobiographique sans rapporter aucun fait réel. Tout est inventé de toutes pièces, sauf l’essentiel : l’histoire d’amour d’une mère et de son fils »21. Néanmoins, pour notre étude, la question de savoir s’il s’agit de fiction ou non importe peu.

En ce qui concerne le thème de la solidarité, nous nous référerons à l’article « Redefining stereotypes: The banlieue and female experience in Faïza Guène’s Kiffe kiffe demain »22 de Mirka Ahonen où elle évoque la solidarité dans la communauté. Nous parlerons aussi du roman Les misérables de Victor Hugo, une œuvre mentionnée plusieurs fois dans La

vie devant soi. Dans sa thèse de doctorat, Ther aborde non seulement le sujet de l’amour, mais

aussi del’humanisme chez Gary. Comme nous considérons que l’humanisme touche au thème de la solidarité, nous trouverons des références à ce sujet dans son étude23.

2. Biographie des auteurs et résumé des romans

2.1 Romain Gary (Emile Ajar) et La vie devant soi

Romain Gary, né Roman Kacew en 1914 à Wilno en Lituanie, a passé son enfance en Russie et en Pologne24. Son père les a abandonnés et il a grandi avec sa mère avec qui il a déménagé à Nice à l’âge de quatorze ans. Après des études en droit à Paris il a fait son service militaire dans l’armée de l’air et il a combattu pour la France pendant la seconde guerre mondiale. Quand le roman La vie devant soi est sorti en 1975 sous le pseudonyme d’Émile Ajar, il avait déjà une carrière de militaire, diplomate, scénariste et réalisateur derrière lui. Il avait publié plusieurs autres livres sous le nom de Romain Gary, d’Émile Ajar ou sous d’autres pseudonymes. Quand il a obtenu le prix Goncourt pour La vie devant soi, personne ne savait que c’était lui. Il n’a révélé le secret qu’après sa mort dans son livre Vie et mort d’Emile Ajar, publié en 1981, un an après son suicide. Ayant déjà obtenu ce prix en 1956 pour son roman Les racines du ciel sous le nom de Romain Gary, il est le seul écrivain à l’avoir reçu deux fois, ce qui est en fait interdit. Bien qu’il ait utilisé des thèmes, des personnages, des expressions et des métaphores qui se ressemblaient, personne n’a soupçonné qu’il s’agissait de lui.

21 Jørn Boisen, 2015. « Romain Gary est-il un grand écrivain? ».

22 Mirka Ahonen, 2016. « Redefining stereotypes: The banlieue and female experience in Faïza Guène’s Kiffe

kiffe demain ».

23 Ther, op.cit.

(10)

10

Dans La vie devant soi, il s’agit avant tout d’une histoire d’amour entre un garçon arabe, Momo, et une ancienne prostituée juive, Madame Rosa, survivante d’Auschwitz. Momo habite chez Madame Rosa qui gère une pension destinée aux enfants des prostituées à Belleville. Momo qui est le narrateur, est un enfant sensible, précoce et débrouillard. Il ne sait rien de ses parents et Madame Rosa qui veut le garder le plus longtemps possible auprès d’elle, lui cache le fait qu’il a quatorze ans et lui fait croire qu’il n’en a que dix. Ils ont des problèmes financiers parce que la santé physique et mentale de Madame Rosa se détériore. Elle ne peut plus s’occuper des enfants mais Momo reste fidèlement avec elle jusqu’à sa mort. Momo l’aime en dépit de toutes ses faiblesses et défauts et il voit au-delà de sa laideur. Le titre du roman La

vie devant soi, ne correspond pas à quelque chose de positif aux yeux de Momo. Avoir la vie

devant soi représente pour lui quelque chose d’effrayant. Néanmoins, les dernières lignes du livre montrent des signes d’espoir parce qu’il admet qu’ « il faut aimer »25.

2.2 Faïza Guène et Kiffe kiffe demain

Faïza Guène est née en France en 1985 de parents d’origine algérienne et a grandi à Pantin, une banlieue de Paris26. Son premier livre Kiffe kiffe demain a été publié en 2004 quand elle n'avait que dix-neuf ans. Depuis, elle a publié d’autres livres et a réalisé plusieurs courts métrages.

Kiffe kiffe demain a eu un grand succès international et a été traduit en plus de vingt-cinq

langues. Ce qui était nouveau avec ce livre était le milieu, c'est-à-dire la banlieue de Paris décrite sur un ton réaliste et sans miser sur la violence et la criminalité. En plus elle a osé écrire un livre dans un langage familier, argotique qui est vivant et drôle. Elle met en lumière le quotidien et critique la société française avec son racisme et ses préjugés mais aussi les mœurs des siens selon lesquelles les garçons sont considérés plus importants que les filles.

Dans Kiffe kiffe demain c’est Doria, une adolescente de quinze ans qui est la narratrice avec une imagination très vive. Elle vit seule avec sa mère dans une banlieue de Paris. Son père les a quittées pour retourner se remarier au Maroc. Depuis qu'il est parti Doria est malheureuse et a des problèmes à l'école. Sa mère qui est analphabète est obligée à commencer à travailler comme femme de ménage dans un hôtel. Comme elles n’ont pas assez d’argent, elles doivent accepter l’aide des assistantes sociales. Petit à petit leur vie commence à changer, sa mère apprend à lire et à écrire, elle trouve un meilleur travail et Doria se sent mieux. Vers la fin du livre Doria ose espérer qu’elles ont un avenir prometteur malgré tout. Ce n’est plus

25 Romain Gary (Émile Ajar), La vie devant soi, p. 274.

26

(11)

11

« kif, kif27 demain » mais plutôt « kiffe, kiffe28 demain »29. Pour Doria l’expression Kiffe kiffe

demain signifie qu’il y a de l’espoir et qu’elle commence à aimer l’avenir.

3. Analyse des thèmes

Les thèmes de l’amitié et de l’amour sont peut-être les thèmes les plus courants et universaux dans l’histoire de la littérature et il y a aussi de nombreux exemples de signes de solidarité. Nous y retournerons plus loin dans cette étude.

Commençons par les définitions des notions. Selon le dictionnaire Larousse30 les définitions de l’amitié sont « sentiment d'affection entre deux personnes ; attachement, sympathie qu'une personne témoigne à une autre », « bienveillance, gentillesse, courtoisie chaleureuse manifestées dans les relations sociales, privées, mondaines » et « relations entre collectivités fondées sur le bon voisinage, la bonne entente, la collaboration ». En ce qui concerne les définitions du mot amour il y en a plusieurs, mais dans notre étude nous allons surtout nous limiter à la définition « affection ou tendresse entre les membres d'une famille »31.

Nous allons dorénavant parler soit d’amitié, soit d’amour, mais comme nous considérons que les thèmes sont intimement liés, le thème principal dans notre étude restera l’amitié.

Étant donné qu’il peut y avoir des similarités et des liens entre les notions d’amitié et de solidarité, nous allons étudier les deux, mais traiter la solidarité comme un sous-thème. Selon le dictionnaire Larousse les définitions de solidarité sont « rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d'intérêts, sont liées les unes aux autres « et « sentiment d'un devoir moral envers les autres membres d'un groupe, fondé sur l'identité de situation, d'intérêts »32.

Comme nous avons déjà constaté ci-dessus, ces thèmes sont si souvent abordés dans la littérature qu’il n’est pas difficile de trouver des exemples mais plutôt de choisir entre eux. Ce qui est sûr c’est que les notions d’amitié et de solidarité méritent d’être examinées et discutées. L'amitié est un thème vaste et plusieurs philosophes ont réfléchi sur la notion d’amitié et d’amour. Par exemple, le philosophe grec Aristote a évoqué la notion d’amitié dans Éthique

27 C'est kif-kif, c'est pareil, c'est la même chose (familier) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais 28 Apprécier, aimer ; prendre du plaisir à (familier) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais 29 Faïza Guène, Kiffe kiffe demain, p. 188.

(12)

12

à Nicomaque33. Selon lui l’amitié « est ce qu’il y a de plus nécessaire pour vivre. Car sans amis

personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens »34.

3.1. La représentation de l’amitié

3.1.1. Amour familial

Momo et Madame Rosa

Dans La vie devant soi l’exemple le plus signifiant d’amitié, ou bien d’amour, est sans aucun doute la relation entre Momo et Madame Rosa. Dans son livre Romain Gary, Émile Ajar

Regards croisés, Vrla constate que « si Madame Rosa n’est pas la vraie mère de Momo, sa

conduite envers lui, l’amour qu’elle éprouve pour lui, qu’elle lui donne et qu’il a en retour pour elle, sont ceux d’une mère et de son fils »35. Dans sa thèse L'utopie et l'ironie : Étude sur

Gros-Câlin et sa place dans l'œuvre de Romain Gary, Östman note également que : « Au centre de La vie devant soi [...] il y a l’amour entre Momo et Madame Rosa »36 et que « Ce couple est aussi une réunion de deux solitudes »37.

Il est évident dès le début du récit que Momo et Madame Rosa ont besoin l’un de l’autre, Madame Rosa a besoin de l’argent qu’elle reçoit pour s’occuper de lui et Momo a besoin d’elle parce qu’il n’a personne d’autre :

Au début, je ne savais pas que Madame Rosa s’occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l’ai appris, j’avais déjà six ou sept ans et ça m’a fait un coup de savoir que j’étais payé. Je croyais que Madame Rosa m’aimait pour rien et qu’on était quelqu’un l’un pour l’autre. J’en ai pleuré toute une nuit et c’était mon premier grand chagrin38.

Bien qu’ils aient, tous les deux, peur de la solitude et soient économiquement dépendants l’un de l’autre, ils s’aiment vraiment. C’est pourquoi Madame Rosa lui cache le fait qu’il a quatorze ans et non dix comme elle lui a fait croire : « J’avais peur que tu me quittes, Momo, alors je t’ai un peu diminué. Tu as toujours été mon petit homme. J’en ai jamais vraiment aimé un autre. Alors, je comptais les années et j’avais peur. Je ne voulais pas que tu deviennes grand trop vite »39 . Momo éprouve le même sentiment et a « une peur bleue »40 de se retrouver sans elle et donc tout seul. C’est pour cette raison qu’il est toujours à la recherche de quelqu’un qui

33 Aristote, Éthique à Nicomaque, livres 8 et 9.

34 https://la-philosophie.com/aristote-ethique-nicomaque 35 Vrla, op. cit., p. 213.

36 Östman, op.cit., p.187. 37 Idem, p. 187.

38 Gary (Ajar), op.cit., p. 10. 39 Idem, p. 229.

(13)

13

pourrait la remplacer. La santé de Madame Rosa se détériore de plus en plus et il est conscient du fait qu’elle va bientôt mourir. Les sentiments d’amour de Momo pour Madame Rosa sont mélangés avec les sentiments de culpabilité parce que sa propre mère lui manque. Il ne peut donc pas s’empêcher de rêver, soit de la retrouver, soit de trouver quelqu’un d’autre, plus jeune et en meilleure santé que Madame Rosa. Tout de même, il y a plusieurs preuves de son amour pour elle, par exemple quand Madame Rosa devient de plus en plus sénile et n’a que des moments rares de lucidité de temps en temps, Momo dit :

On appelle ça gaga pour plus de simplicité et ça vient du mot gâteux, gâtisme, qui est médical. Je lui caressais la main pour l’encourager à revenir et jamais je ne l’ai plus aimée parce qu’elle était moche et vieille et bientôt elle n’allait plus être une personne humaine41.

Romain Gary a traité du thème de l’amour entre une mère et son fils dans son œuvre autobiographique, La promesse de l’aube. Vrla soulève une des citations les plus marquantes du roman :

Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais. (…) Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné42.

Selon Myriam Anissimov, il s’agissait pour Gary d’un amour irremplaçable mais également compliqué parce que sa mère était « excessivement possessive »43 et attendait des choses extraordinaires de lui. Il devait par exemple « devenir à la fois ambassadeur de France » et « Victor Hugo »44 . Cela n’est pas le cas de Madame Rosa, qui dit simplement que si Momo veut voir sa vraie mère un jour il doit « avoir une vie propre et honnête, sans délinquance juvénile »45. Vrla note aussi que le « rôle de mère et d’éducatrice que tient Madame Rosa dans l’existence de Momo lui permet de suivre une ligne de conduite droite et de ne pas se laisser aller aux dérives tentatrices que favoriserait son milieu »46.

Dans ce contexte il faut mentionner Madame Nadine, une jeune et belle femme, que Momo rencontre un jour par hasard. Contrairement à beaucoup d’autres femmes autour de

41 Ibid., p. 171. 42 Vrla, op.cit., p. 142. 43 Anissimov, op.cit., p. 11. 44 Idem, p. 12.

(14)

14

lui, elle n’est pas une prostituée, mais elle habite rue Saint-Honoré47 et fait du doublage de voix

dans des films. Elle s’intéresse à Momo et cela lui donne de l’espoir :

Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai eu un coup d’espoir. C’est pas que je cherchais à me caser, je n’allais pas plaquer Madame Rosa tant qu’elle était encore capable. Seulement il fallait quand même penser à l’avenir, qui vous arrive toujours sur la gueule tôt ou tard et j’en rêvais la nuit, des fois48.

Il voit en Madame Nadine une remplaçante possible de Madame Rosa, mais sa loyauté envers cette dernière l’empêche de la quitter. Ce n’est que quand Madame Rosa est devenue un « légume »49 et qu’il se trouve dans un tel « état de manque »50 qu’il ne sait plus quoi faire, qu’il va retrouver Madame Nadine pour avoir du réconfort. Il raconte tout de sa vie inhabituelle à Madame Nadine et à son mari qui l’écoutent attentivement. En fait, c’est Madame Nadine et son mari, qui viennent chercher Momo pour le ramener chez eux après la mort de Madame Rosa. Madame Nadine se montre être une vraie amie avec une affection et un intérêt sincère pour Momo.

Momo et le manque du père

Momo cherche surtout l’amour d’une mère puisque dans la pension de Madame Rosa il ne rencontre que les mères qui viennent parfois chercher leurs enfants. Comme elles sont des prostituées, les pères des enfants ne sont pas présents dans leurs vies. Tout de même, Momo rêve parfois aussi de son père. Dans le quartier il y a le docteur Katz qui « était bien connu de tous les Juifs et Arabes autour de la rue Bisson pour sa charité chrétienne et il soignait tout le monde du matin au soir et même plus tard »51. Quand Momo est triste et a peur, il va s’assoir dans la salle d’attente juste pour être près de lui : « Je pensais souvent en le regardant que si j’avais un père, ce serait le docteur Katz que j’aurais choisi »52.

L’amitié entre Momo et Monsieur Hamil, un vieux marchand de tapis arabe, pourrait être basée sur le manque d’un père. Britt-Marie Karlsson est du même avis et constate que Monsieur Hamil « sert à la fois de tuteur et de figure paternelle à Momo »53. Il lui enseigne sa religion54 et l’arabe. C’est aussi Monsieur Hamil qui l’introduit à Victor Hugo comme il ne

(15)

15

va nulle part sans le Coran et Les misérables de Victor Hugo sous la main, même quand il est devenu sénile et presque aveugle. Momo réfléchit beaucoup et il s’adresse volontiers à Monsieur Hamil pour les questions philosophiques qui le préoccupent, par exemple : « Monsieur Hamil, est-ce qu’on peut vivre sans amour ? »55. Quand celui-ci répond : « Oui »56, Momo commence à pleurer. Cela n’empêche pas que Momo continue toujours à aimer et à chercher l’amour.

Quand un jour son père surgit de façon inattendue chez Madame Rosa et veut le reprendre, Momo est déçu. Il trouve qu’il : « n’avait pas du tout la gueule qu’il fallait pour être mon père qui devait être un vrai mec, un vrai de vrai, pas une limace »57. Il apprend que son père a tué sa mère et qu’il a passé onze ans dans un hôpital psychiatrique. Heureusement, au moins pour lui et pour Madame Rosa, le père meurt soudainement d’une crise cardiaque, choqué car Madame Rosa lui a fait croire que son fils a été élevé en bon juif et pas en bon musulman. Par conséquent, Momo peut rester chez Madame Rosa. L’arrivée de son père lui procure tout de même une grande joie puisque c’est à cette occasion qu’il apprend qu’il n’a pas dix ans, mais quatorze58.

Doria et sa mère

Dans Kiffe kiffe demain l’amour entre mère et fille est très apparent et il y a des liens forts entre Doria et sa mère. Bien qu’elles aient des problèmes financiers et qu’elles soient complètement dévastées par leur nouvelle situation, la mère de Doria assume la responsabilité de la famille. Doria a beaucoup d’admiration pour sa mère qui se débrouille bien malgré le fait qu’elle est analphabète et qu’elle n’a jamais eu d’emploi auparavant. Doria trouve qu’elle montre de la dignité, par exemple quand elle ne veut pas récupérer des vêtements du Secours populaire du centre-ville par peur de choisir quelque chose qui a appartenu à quelqu’un qu’elles connaissent : « J’étais fière de ma mère. C’est ça la dignité, le genre de truc qu’on n’apprend pas à l’école »59 ou quand elle trouve que l’assistante sociale parle à sa mère d’une façon

condescendante : « Maman, elle s’en foutait. Elle rigolait avec elle quand même. J’ai l’impression que tout ça, ça l’atteint même pas. Je la regardais parler, assise à côté de l’autre Miss France, et je me suis dit que c’est comme ça que je voudrais être »60.

(16)

16

Doria est contente de voir le progrès de sa mère après qu’elle a commencé sa formation pour apprendre à lire et à écrire en français. Grâce à cette formation, sa mère trouve un nouveau travail dans une cantine municipale61 ce qui est positif aussi bien pour sa confiance en soi, que pour leur situation financière. Doria avoue que c’est embarrassant d’être plus pauvre que les autres et d’être obligée de porter des vêtements usagés. Néanmoins, elle comprend que sa mère fait tout ce qu’elle peut pour l’aider. Par exemple, quand Doria commence dans un nouveau lycée, sa mère a voulu la faire belle :

Le matin de la rentrée, Maman a été trop mignonne. Elle voulait que sa fille soit la plus belle à l’occasion de ‘L’écoule neuf, la jdida62… Hamdoullah63’. Enfin, pour le nouveau bahut 64 quoi.

Elle a repassé mes habits les moins moches, en particulier mon jean contrefaçon Levis (très bonne imitation) qu’elle m’a dégoté au marché de La Courneuve65.

Doria a de l’indulgence pour sa mère et ne se fâche même pas quand celle-ci oublie son seizième anniversaire. Si elle est déçue, elle ne l’admet pas non plus. Elle constate simplement que tout aurait été différent si elle avait été un garçon66.

Dans son article « Mères migrantes et filles de la République : identité et féminité dans le roman de banlieue », Niang met en lumière cette relation tendre et affectueuse entre Doria et sa mère :

Au début du roman, l’adolescente assure un relais vital entre les différentes administrations et sa mère illettrée. Pourtant, la relation entre Doria et sa mère Yasmina ne se résume pas à ce pont jeté entre deux rives identitaires. Les deux femmes vont esquisser ensemble les contours d’une reconstruction identitaire originale. Encouragée par sa fille, cette femme illettrée va opérer des changements drastiques dans sa vie. Cette relation mère-fille qui s’éloigne des poncifs sur la violence et la victimisation est une relation faite de complicité et d’entraide féminine67.

Doria et l’absence du père

Doria est fâchée contre son père, qui du jour au lendemain a abandonné sa famille en France pour retourner se remarier au Maroc:

61 Ibid., p. 139.

62 Nouvelle https://www.arabetunisien.com/traduction/TN/jdida

63 Formule par laquelle les musulmans expriment leur gratitude à Dieu, leur satisfaction d'un évènement ou

d'une affaire qui tourne bien. https://fr.wiktionary.org/wiki/hamdoullah

64 Lycée, collège (argot scolaire) https://fr.wiktionary.org/wiki/bahut 65 Guène, op.cit., p. 156.

(17)

17

Papa, il voulait un fils. Pour sa fierté, son nom, l’honneur de la famille et je suppose encore plein d’autres raisons stupides. Mais n’a eu qu’un enfant et c’était une fille. Moi. Disons que je correspondais pas tout à fait au désir du client. Et le problème, c’est que ça se passe pas comme à Carrefour : y a pas de service après-vente. Alors un jour, le barbu, il a dû se rendre compte que ça servait à rien d’essayer avec ma mère et il s’est cassé. Comme ça, sans prévenir 68.

Elle réfère à lui comme « le barbu »69, « le vieux »70 ou « celui qui me servait de père avant »71 et ne croit pas qu’il ira au paradis pour ce qu’il a fait à sa mère72. Aronsson constate, dans son article sur la représentation de la masculinité musulmane dans Kiffe kiffe demain, que

Le père est sans doute le personnage masculin le plus important dans le roman, et cette importance relève de son absence. C’est par sa trahison qu’il exerce une influence sur l’héroïne, car son acte a créé un sentiment de colère et de rancune chez elle73.

Dans le quartier, Doria fréquente souvent Hamoudi, un trafiquant de drogue de vingt-huit ans. « Hamoudi, il passe son temps à fumer des pétards. Il est tout le temps déconnecté et je crois que c’est pour ça que je l’aime bien. Tous les deux, on n’aime pas notre réalité »74. Il est une personne importante pour elle parce qu’il l’écoute et s’intéresse à sa vie. Doria a l’impression de pouvoir parler de tout avec lui. De plus, elle l’admire parce que parfois il lui récite les poèmes d’Arthur Rimbaud. « Si Hamoudi était un peu plus vieux, j’aurais bien aimé que ce soit mon père. Quand il a appris ce qui nous est arrivé, il m’a parlé longtemps. En roulant un énième joint, il m’a dit : ‘La famille, c’est ce qu’il y a de plus sacré’ »75. Elle pense

qu’il a raison mais constate que « Sauf que moi j’ai plus de famille, on est plus qu’une demi-famille maintenant »76.

Comme elle aimerait faire partie d’une famille, elle voudrait que sa mère trouve un autre homme, mais quelqu’un qui ne boit pas tant d’alcool que son père : « Je veux plus jamais avoir à attendre à l’extérieur du Constantinois, le bar du centre-ville, qu’il finisse de

(18)

18

picoler pour le ramener à la maison parce qu’il se souvient pas comment rentrer quand il a bu »77.

3.1.2. Amitié – amis du même âge

Momo n’a pas vraiment d’amis du même âge. Dans la pension il n’y que Momo qui est là « à titre définitif »78 et c’est seulement Moïse qui a environ le même âge que lui79. Bien qu’il ne soit pas vraiment question d’amitié entre Moïse et Momo, il y a surement de l’affection entre eux, comme entre deux frères. Quand Madame Rosa devient incapable de se débrouiller toute seule, Moïse qui a été adopté par une famille juive, revient tous les jours pour aider Momo à s’occuper d’elle80.

Probablement, Momo n’a pas d’amis du même âge parce qu’il croit n’avoir que dix ans mais, en fait il en a quatorze. De plus, il ne va pas à l’école : « Quand un môme a dix ans comme moi et qu’il se conduit comme quinze, on le fout à la porte de l’école parce qu’il est perturbé »81. Il est compréhensible qu’il se sente un peu différent des autres. Quand il apprend

qu’il a quatorze ans, il demande au docteur Katz : « Dites-moi, docteur, vous êtes sûr que j’ai quatorze ans ? J’en ai pas vingt, trente ou quelque chose d’encore plus ? D’abord on me dit dix, puis quatorze »82. Cela pourrait expliquer aussi bien pourquoi il préfère la compagnie des adultes, comme par exemple Monsieur Hamil, que pourquoi il besoin de trouver des amis imaginaires. Il n’y a qu’un garçon dans le quartier que Momo appelle son copain. C’est « le Mahoute qui a plusieurs années de plus que »83 lui et qui vend les produits de ses vols et essaie de se faire désintoxiquer de l’héroïne84.

Il en va de même avec Doria dans Kiffe kiffe demain. Elle n’a pas d’amis du même âge non plus, au moins au début juste après le départ de son père. Le lycée l’envoie voir une psychologue, Mme Burlaud, parce que les professeurs la « trouvaient renfermée »85. Mme Burlaud essaie vraiment de l’aider et Doria avoue qu’elle « est perspicace comme meuf »86 .

Elle dit aussi que « En tout, y a que deux personnes à qui je peux parler pour de vrai, Mme

77 Ibid., p. 119.

(19)

19

Burlaud et Hamoudi »87. Évidemment, la psychologue ne peut pas être considérée comme une amie bien qu’elle soit une personne importante dans la vie de Doria. Néanmoins, Hamoudi, est un ami malgré la différence d’âge entre les deux. Doria l’aime bien et il est peut-être, comme le propose Aronsson, « un peu comme un grand-frère […] le grand-frère qu’elle n’a jamais eu »88.

Les seules jeunes du même âge qu’elle mentionne sont les trois fils de Tante Zohra qu’elle connait depuis longtemps, mais avec qui elle ne sait plus parler. Comme Doria n’obtient pas de bons résultats à l’école, une amie de sa mère propose que son fils vienne l’aider avec les devoirs. « D’après elle, j’aurai plus que des bonnes notes parce que son fils Nabil, c’est un génie »89. Doria ne l’apprécie pas : « Nabil, c’est un nul. Il a de l’acné et quand il était au collège, tous les jours ou presque, il se faisait racketter son goûter à la récré »90. Néanmoins, il est décidé qu’il va l’aider avec les études. Un soir, il la surprend par « une bise sur la bouche. En vrai »91. Elle est d’abord fâchée contre lui, mais petit à petit elle commence à changer d’avis.

Ayant beaucoup de temps pour réfléchir et rêver pendant les vacances d’été, elle constate que :

Avant, je me foutais de sa gueule, je disais que ce mec était une tache et d’autres trucs comme ça. Mais si j’analyse la situation, je vois qu’il m’a aidée pendant des mois en échange de rien, et surtout qu’il a été très courageux d’oser m’embrasser par surprise en prenant le risque de recevoir un coup de genou là où ça fait mal. Je suis sûre que si je demandais son avis à Mme Burlaud, elle me dirait de laisser une chance à Nabil. C’est vrai qu’il est pas si nul que ça au fond. C’est même un brave type. Et puis, l’acné, ça dure pas toute la vie92.

Donc, après les vacances elle a hâte de le revoir, mais quand elle le rencontre, il a changé. « Il passe devant moi sans même me dire bonjour. En plus, il a un anneau à l’oreille et des poils sur le menton maintenant. Il a grandi, il flambe, ça y est »93. Mais, il semble qu’il ne l’a pas oubliée après tout. Il la surprend à nouveau avec une visite inattendue, et ils commencent à parler : « Ouais, on a vraiment discuté de tout »94. Ils deviennent amis et même plus qu’amis « Voilà, je suis réconciliée avec Nabil et je crois aussi que… je l’aime bien »95.

(20)

20

3.1.3. Amitié – amis imaginaires et substituts d’amis

Momo et le chien, le parapluie Arthur, la lionne et les clowns

Le docteur Katz dit de Momo qu’il « est un enfant très sensible et qu’il a besoin d’affection »96.

Il est vrai que Momo a besoin d’être aimé mais il a également besoin d’aimer. C’est la raison pour laquelle il vole un chien qu’il nomme Super, mais qu’il vend quand il s’aperçoit qu’il l’aime trop: « Je me suis fait un vrai malheur avec ce chien. Je me suis mis à l’aimer comme c’est pas permis. […] J’avais en moi des excès accumulés et j’ai tout donné à Super. […] Je l’aimais tellement que je l’ai même donné »97. Il trouvait que chez « Madame Rosa il y avait

pas la sécurité et on ne tenait tous qu’à un fil, avec la vieille malade, sans argent et avec l’Assistance publique sur nos têtes et c’était pas une vie pour un chien »98. Vrla fait la même

remarque dans son étude : « Momo se défait de son chien Super par dévouement à lui, et dans l’espoir de lui faire mener une existence plus heureuse que celle qu’il lui offre »99. Momo pense

plus à ce chien qu’à lui-même et aux autres enfants.

Comme Momo a une imagination débordante, il invente des amis quand il en a besoin : « Le plus grand ami que j’avais à l’époque était un parapluie nommé Arthur que j’ai habillé des pieds à la tête »100. Il dit que « C’était pas tellement pour avoir quelqu’un à aimer mais pour faire le clown car j’avais pas d’argent de poche et j’allais parfois dans les quartiers français là où il y en a »101. Bien que Momo ne l’avoue pas, le parapluie lui sert de réconfort quand il a peur. Quand il dort, il le serre dans ses bras. Il imagine aussi une lionne qui vient la nuit : « Lorsque j’étais couché, avant de m’endormir, je faisais parfois sonner à la porte, j’allais ouvrir et il y avait là une lionne qui voulait entrer pour défendre ses petits »102. Finalement il y a les clowns qu’il évoque quand la vie est très dure, comme par exemple quand Madame Rosa est morte et qu’il est complètement dévasté :

Puis il y a eu le clown bleu qui est venu me voir malgré les quatre ans de plus que j’avais pris et il m’a mis son bras autour des épaules. J’avais mal partout et le clown jaune est venu aussi et j’ai laissé tomber les quatre ans que j’avais gagnés, je m’en foutais103.

96 Gary (Ajar), op.cit., p.72. 97 Idem, p.25.

98 Ibid., p. 26. 99 Vrla, op.cit., p. 236. 100 Gary (Ajar), op.cit., p. 76. 101 Idem, p. 76.

(21)

21

Comme Östman le constate, le protagoniste Cousin dans Gros-Câlin est à la recherche d’amour, mais contrairement à Momo il cherche avant tout l’amour d’une femme. Pour Cousin, le python sert de « substitut de l’amour humain »104. Bien que le chien Super, le parapluie Arthur et la lionne soient aussi des substituts d’amour humain pour Momo, il s’agît plutôt de l’amour d’un parent. Selon Vrla, cette affection pour des objets inanimés est un thème ajarien, chez Gary. Elle parle de « ce besoin de se lier d’amitié, de créer des êtres capables d’amour à partir de choses inanimées et d’objets qui nous entourent »105.

Doria et la télévision – substitut d’amis

Doria n’a pas l’air d’avoir besoin d’inventer des amis comme Momo mais elle aussi a une imagination féconde et passe beaucoup de temps à faire des rêves diurnes. Elle fait plusieurs références à des émissions à la télévision et des films. Cette évasion temporaire de la réalité sert de réconfort pour elle et c’est peut-être aussi un substitut d’amis. Elle dit que : « des fois, j’aimerais trop être quelqu’un d’autre, ailleurs et peut-être même à une autre époque. Souvent, je m’imagine que je fais partie de la famille Ingalls dans La Petite Maison dans la prairie »106.

Doria sait très bien qu’elle a un esprit imaginatif et dit : « Faut que j’arrête de me faire des films »107.

3.2. La représentation de la solidarité

Momo, Madame Rosa et les voisins

Dans La vie devant soi l’histoire se déroule surtout dans l’immeuble ou dans le quartier. Il est évident que Madame Rosa a été une personne aimée et respectée qui n’a pas hésité à offrir son aide à qui que ce soit. La solidarité montrée par Madame Rosa se manifeste par diverses actions. Premièrement, en solidarité avec les prostituées, mais aussi parce qu’elle a un bon cœur, elle essaie de garder les enfants dans sa pension même quand leurs mères n’envoient plus d’argent: « Lorsque les mandats cessaient d’arriver pour l’un d’entre nous, Madame Rosa ne jetait pas le coupable dehors »108. Ensuite, elle aide les voisins comme elle peut. Par exemple, elle aide sa voisine Madame Lola quand elle a des problèmes avec la police :

Madame Lola était une travestie de quatrième étage qui travaillait au Bois de Boulogne et qui avait été champion de boxe au Sénégal avant de traverser et elle avait assommé un client au Bois qui était mal tombé comme sadique, parce qu’il ne pouvait pas savoir. Madame Rosa était allée témoigner qu’elle avait été au cinéma avec Madame Lola ce soir-là et qu’après elles ont regardé la télévision ensemble109. 104 Östman, op. cit., p. 172.

105 Vrla, op.cit., p. 50. 106 Guène, op. cit., p. 73. 107 Idem, p. 109.

(22)

22

Elle aide aussi Monsieur N’Da Amédée, « le plus grand proxynète et maquereau de tous les Noirs de Paris »110 qui est analphabète et vient la voir pour qu’elle écrive des lettres à sa famille

au Niger. Grace à sa générosité et à sa gentillesse, Madame Rosa était aussi « protégée par un commissaire de police qu’elle avait élevé pendant que sa mère se disait coiffeuse en province »111.

Madame Rosa affirme qu’elle « n’était pas patriote du tout et ça lui était égal si les gens étaient nord-africains ou arabes, maliens ou juifs, parce qu’elle n’avait pas de principes »112. C’était pareil concernant les différentes religions :

Elle disait aussi que pour elle, ça ne comptait pas, tout le monde était égaux quand on est dans la merde, et si les Juifs et les Arabes se cassent la gueule, c’est parce qu’il ne faut pas croire que les Juifs et les Arabes sont différents des autres, et c’est justement la fraternité qui fait ça, sauf peut-être chez les Allemands où c’est encore plus113.

Vers la fin du récit, quand Madame Rosa n’a plus de revenus et a besoin d’aide avec tout, la solidarité parmi les voisins est apparente. Pour lui rendre sa générosité, les voisins viennent à son aide. Entre autres, il y a les frères Zaoum qui leur apportent de la nourriture et qui portent le Docteur Katz sur leurs dos quand il vient examiner Madame Rosa et « ne pouvait pas se taper les six étages pour constater les dégâts»114. De plus, il y a Monsieur Waloumba, l’avaleur de feu du Cameroun, qui monte « avec sa torche allumée »115, pour faire un numéro devant Madame Rosa afin de lui « faire un traitement de choc »116. Il vient aussi avec des amis pour danser autour d’elle « pour essayer de chasser les mauvais esprits »117. La travestie Madame

Lola, n’est pas seulement une voisine mais aussi une amie fidèle qui fait tout ce qu’elle peut pour les aider, financièrement et autrement. Elle offre une robe à Madame Rosa, apporte du champagne et du parfum car « elle savait combien le moral c’est important chez les femmes »118.

(23)

23

Nous avons mentionné les références au roman Les misérables de Victor Hugo dans La vie devant soi. Dans Les misérables, nous pouvons soulever au moins deux exemples d’actes d’humanisme ou bien de solidarité : Quand l’évêque Myriel ne dénonce pas Jean Valjean, un des principaux personnages du roman, qui lui a volé des couverts en argent et quand Jean Valjean « adopte » la jeune fille Cosette dont la mère, la prostituée Fantine est morte. Dans

La vie devant soi, Monsieur Hamil n’explique pas pourquoi il emmène partout Les misérables

mais Momo comprend que c’est une œuvre importante d’un grand écrivain. Il dit « ce que j’aimerais, c’est d’être un mec comme Victor Hugo. Monsieur Hamil dit qu’on peut tout faire avec les mots mais sans tuer des gens »119.

Doria et sa mère dans la communauté : une solidarité entre femmes

Dans son article « Redefining stereotypes: The banlieue and female experience in Faïza Guène’s Kiffe kiffe demain », Ahonen note que l’écrivaine parle de la vie de tous les jours dans la banlieue et pas seulement de la criminalité et de la vie dure. Elle constate aussi que Guène évoque et se focalise sur le sentiment de communauté qui existe dans la banlieue:

In this article I argue that Faïza Guène’s Kiffe kiffe demain creates a more diverse image of the banlieues by questioning stereotypes and the typical image of the banlieue as an oppressive non-place. An important role in the construction of a multifaceted banlieue space is played by a young girl with her sharp observations of everyday life, and the sense of community found in the novel. Kiffe kiffe demain takes an interesting look at daily life in the banlieue, and shows that the place holds various values and meanings for the characters120.

La communauté autour de Doria comprend surtout des femmes et l’amitié et la solidarité entre Yasmina, la mère de Doria, et ses amies sont évidentes. Premièrement, il y a la mère de Nabil qui propose que son fils aide Doria avec ses devoirs comme, sans aucun doute, elle sait que Yasmina est analphabète. Ensuite, il y a Tante Zohra, une amie algérienne que Yasmina connait depuis longtemps. Tante Zohra est dans une situation semblable à la sienne avec la différence que son mari partage sa vie entre la France et l’Algérie où il a épousé une deuxième femme121.

Donc, les deux femmes se comprennent et elles « ont de longues conversations pleines de silences »122. Yasmina trouve aussi une nouvelle amie en Jacqueline, la formatrice française qui

est gentille et généreuse mais avant tout, s’intéresse à leur religion et à leur culture123. Aronsson

119 Ibid., p. 128.

120 Ahonen, op.cit., p. 170. 121 Guène, op.cit., p. 34. 122 Idem, p. 85.

(24)

24

constate concernant les femmes dans Kiffe kiffe demain que : « Chez les femmes, on trouve du courage, de l’indépendance et de la compassion »124.

Doria dit que les voisins leur « font l’aumône »125 de temps en temps. La voisine Rachida leur apporte également les dernières nouvelles de la cité du Paradis126 ce qui est très apprécié. Néanmoins, ce n’est pas seulement les femmes qui les aident. Aziz, l’épicier du quartier, leur donne un sac rempli de courses pour le jour de l’aïd et leur fait crédit quand elles en ont besoin, sans s’attendre à être remboursé127.

Un exemple d’un acte de solidarité envers Doria est quand la femme du gardien de l’immeuble lui propose le travail de garder la fille d’une nouvelle locataire, pour qu’elle gagne un peu d’argent. « J’ai trouvé ça gentil qu’elle pense à moi, c’est vrai ça, elle aurait pu proposer ça à n’importe quelle fille du quartier mais non, elle a pensé à moi »128. Doria se sent

de mieux en mieux et commence à apprécier la communauté où elle habite et à s’habituer aux nouvelles circonstances. En effet, Aronsson note dans un article que :

Dans ce roman d’apprentissage, la jeune narratrice va évoluer et son horizon va s’agrandir au-delà des interminables émissions de variétés qu’elle regarde à la télé. Elle va même, petit à petit, surmonter la colère causée par la trahison du père – et on verra naitre chez elle un sentiment de solidarité avec les gens autour d’elle129.

4. Comparaison/discussion

4.1. Amitié

4.1.1. Amour familial

La représentation d’un amour profond pour une mère domine les deux romans. Commençons par La vie devant soi, où pour Momo, il s’agit d’un amour pour une « mère de substitution », qu’il aime parce qu’il n’a personne d’autre dans la vie. Malgré sa sénilité croissante, Madame Rosa représente pour lui la sécurité. Il a plein d’égards envers elle et il l’aime d’un amour sans réserve. Momo sait que ses sentiments sont réciproques et qu’il est « son préféré »130. Ils savent

qu’ils ont besoin l’un de l’autre et Momo se sent responsable d’aider Madame Rosa quand elle

(25)

25

ne peut plus se débrouiller toute seule. L’amour se manifeste dans le récit par de petites remarques comme par exemple « c’était une femme qui aurait mérité un ascenseur »131 puisque « L’escalier avec ses six étages était devenu pour elle l’ennemi public numéro un »132. Même quand il dit des choses comme « Elle s’habille toujours longtemps pour sortir parce qu’elle a été une femme et ça lui est resté encore un peu. Elle se maquille beaucoup mais ça sert plus à rien de vouloir se cacher à son âge. Elle a une tête comme une vieille grenouille juive avec des lunettes et de l’asthme »133, nous n’avons pas l’impression que c’est une méchanceté mais plutôt

une constatation et que c’est dit avec de la tendresse. Donc, l’amour réciproque entre Momo et Madame Rosa se manifeste avant tout par la peur de la solitude, mais aussi par le manque, le respect et le besoin d’affection. Ils se font entièrement confiance et savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre.

Continuons avec l’amour pour la mère dans Kiffe kiffe demain. Doria aime sa mère d’un amour absolu. Il y a des liens forts et une complicité tout à fait naturelle entre elles. Elles ont besoin l’une de l’autre pour se débrouiller dans leur nouvelle situation difficile. Tout comme Momo, Doria fait des remarques à propos de sa mère. À travers ces remarques, nous comprenons qu’il y a beaucoup d’affection entre mère et fille. Par exemple, après la première journée dans le nouveau lycée, Doria est déprimée et commence à pleurer. « Heureusement que Maman n’était pas là. Je la connais, elle aurait chialé elle aussi sans même savoir pourquoi je chialais »134. Cela prouve qu’il y une complicité et une compréhension entre elles. Parfois nous avons l’impression qu’elle se moque un peu de sa mère mais à l’instar de Momo, c’est dit avec affection : « Maman m’a dit qu’elle trouvait ça vraiment bête cette manie occidentale de donner des noms à des catastrophes naturelles. J’aime bien les moments où Maman et moi on a des discussions intéressantes et profondes »135.

Les ressemblances en ce qui concerne l’amour pour la mère sont que les personnages principaux ont besoin de leurs mères (Madame Rosa dans le cas de Momo) parce qu’ils n’ont personne d’autre. En outre, ils éprouvent de l’admiration et du respect pour elles. La tendresse, l’affection et l’humour sont souvent présents dans les descriptions de leurs mères et il n’y a pas de doute qu’il s’agit d’amour. De plus, ils sont tous les deux indulgents avec leurs mères. Au début, la mère de Doria est présente physiquement mais « dans sa tête, elle est

131 Idem, p. 9. 132 Ibid., p. 79. 133 Ibid., p. 32.

(26)

26

ailleurs »136. Doria doit souvent se débrouiller seule et quand sa mère oublie son anniversaire, Doria l’accepte et n’y accorde pas trop d’importance. La chose la plus importante pour elle est que sa mère soit heureuse, c’est ce qui compte pour elle. Momo a aussi l’habitude de se débrouiller seul, et n’attend pas beaucoup de Madame Rosa. Lui aussi aimerait qu’elle soit aussi heureuse que possible dans son état. Doria et Momo sont des enfants/adolescents débrouillards qui acceptent et pardonnent à leurs mères, sachant qu’ils sont aimés.

En ce qui concerne la relation avec le père, celle-ci se caractérise par le manque et la déception. Dans le cas de Momo, c’est d’abord le manque de quelqu’un qu’il n’a jamais rencontré et qu’il doit s’imaginer. Quand enfin il rencontre son père il est déçu parce que celui-ci ne ressemble pas à un vrai père. Pour Doria, c’est le manque d’un père et la déception car il ne s’est pas conduit comme un bon parent. C’est le fait de faire partie d’une famille complète, plutôt que le père lui-même, qui lui manque. C’est sans aucun doute ce manque qui fait qu’ils cherchent des figures paternelles qui puissent leur donner de l’attention et de la confirmation, comme Monsieur Hamil et le docteur Katz pour Momo et Hamoudi pour Doria.

Nous pouvons constater que les relations entre les personnages principaux et leurs parents se ressemblent, mais les circonstances sont différentes. Ces différences deviennent visibles quand nous prenons en considération les milieux décrits. Bien qu’ils habitent dans des milieux semblables et qu’ils aient tous les deux des problèmes financiers, Momo vit dans une plus grande misère. La pension de Madame Rosa est clandestine et ils font tout pour éviter l’assistance sociale. Doria et sa mère n’ont pas d’argent non plus, mais elles acceptent de l’aide sociale, pas de bon cœur, mais tout de même. L’amour de Momo pour la Madame Rosa peut être décrit comme sombre et lourd comme il sait qu’elle va mourir et il n’y a donc pas d’espoir. Quant à Doria, l’amour qu’elle ressent pour sa mère, est plus optimiste. Elle voit sa mère s’épanouir et se transformer d’une femme soumise en une femme avec un avenir.

4.1.2. Amitiés – amis du même âge, amis imaginaires et substituts

d’amis

Momo et Doria, se ressemblent en ce qu’ils sont tous les deux des enfants/adolescents précoces qui passent leur temps à observer, à réfléchir et à rêver. Cela explique sûrement pourquoi ils n’ont pas d’amis du même âge. Volontairement ou non, ils préfèrent soit être seuls, soit passer du temps avec des adultes. Quant à Momo, il y a évidemment aussi le fait qu’il croit avoir dix ans mais qu’il a en fait quatre ans de plus. Cela complique surement l’interaction avec des amis

(27)

27

du même âge. Il y a dans la littérature de nombreux exemples d’amitiés intergénérationnelles, comme entre Momo et Monsieur Hamil. Cela peut être une amitié enrichissante, malgré la différence d’âge où bien grâce à cette différence. Par exemple, dans le roman L’élégance du

hérisson, l’auteur Muriel Barbery décrit l’amitié entre la concierge d’un immeuble bourgeois

et une jeune fille qui habite dans un des appartements, toutes les deux un peu perdues dans la vie. Renée, la concierge, apprécie cette amitié inattendue et constate que : « Je suis devenue l’amie d’une belle âme de douze ans envers laquelle j’éprouve un sentiment de grande gratitude et l’incongruité de cet attachement dissymétrique d’âge, de condition et de circonstances ne parvient pas à entacher mon émotion »137.

Pour l’aider à faire face à la vie quotidienne difficile, Momo invente des amis imaginaires qui lui donnent du réconfort tandis que Doria a les émissions à la télévision pour la distraire.

4.2. Solidarité

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, la solidarité est ici considérée comme un sous-thème. Nous avons constaté que, dans certains cas, il peut être difficile de faire la distinction entre amitié et solidarité car il s’agit parfois de la même chose. Des voisins peuvent très bien devenir des amis et faire des actes de gentillesse en tant qu’amis. En même temps, des actes de solidarité peuvent être faits sans qu’il ne soit vraiment question d’amitié.

Indéniablement, l’amitié et la solidarité sont des thèmes très importants, surtout dans les milieux défavorisés où l’entraide est essentielle. Il y a dans la littérature différents exemples d’actes de solidarité, soit entre des personnes qui se trouvent dans la même situation difficile, soit des actes faits par des personnes avec beaucoup d’empathie. Selon Aronsson, il y a un critique littéraire qui a fait des références aux écrivaines suédoises, Susanna Alakoski et Åsa Linderborg en lisant Kiffe kiffe demain. Il note que « Toutes les deux ont publié des romans dans lesquels le thème de la précarité sociale est prédominant138 […]. Après une période de

silence, on parle dans les années 2000 de l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs prolétariens, parfois exemplifiée par les écrivaines susmentionnées »139. Susanna Alakoski, dont les parents étaient immigrés de Finlande, témoigne dans une interview de la solidarité qui existait dans le quartier populaire où elle a grandi : « Je n’ai que rarement ressenti une telle

137 Muriel Barbery, L’élégance du hérisson, p. 364.

138 Susanna Alakoski, Svinalängorna « Les porcheries » et Åsa Linderborg, Mig äger ingen « Personne ne me

possède ». (Non traduits en français. Traduction des titres, Aronsson, 2018).

References

Related documents

Kvinnor som läser Elle får en mer enhetlig bild av mode än Cafés läsare, eftersom Elles kvinnliga aktörer kommunicerar en likartad bild av mode på samtliga omslag. Cafés omslag

Dans son étude intitulée La symbolique des couleurs dans l’œuvre de Baudelaire (1966), Luszczynski étudie les « phénomènes colorés » qui apparaissent dans l’œuvre du

Joséphin Péladan est probablement celui qui, parmi les écrivains français, revient à la figure de l’androgyne plus souvent que ses contemporains, figure

Les situations finales des deux histoires sont les parties les plus contrastées. Dans leurs dernières scènes, Françoise et Monique se retrouvent chacune de son côté seule chez elle,

Si l'on entend par exemple qu'il est en lui-même (l. 9 : namque quod in seipso sit cum audias), l'intelligence humaine ne le comprend pas, parce qu'on distingue entre posséder et

Istället för att bli rörd känner Eddy äckel över orden (”jag älskar dig”), för honom har de en incestuös klang. Detta antyder att det är något han sällan får höra

Les références intertextuelles dans Les Précieuses Ridicules nous donnent une idée d’où les deux filles tiraient leur « baragouin » (Molière, 2008 : 37) et « balivernes »

A l’instar de Dubois-Charlier (2008 : 151), nous pouvons ainsi répondre à sa première question, (« les mots dérivés, ou dérivations d’un type ou d’un autre, sont-ils plus