Examensarbete
Kandidatnivå
La féminisation de quelques noms de métiers dans Le Monde en France et Le Devoir au Québec au début du 21ème siècle.
Författare: Alexandra Cederin Handledare: Charlotte Lindgren Examinator: Nathalie Hauksson-Tresch Ämne/huvudområde: Franska
Kurskod: FR2028 Poäng: 15 hp
Ventilerings-/examinationsdatum: 2020-06-04
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Abstract:
Dans ce mémoire, nous avons étudié la féminisation de neuf noms de métiers dans un corpus délimité du Monde en France et du Devoir au Québec pour les trois périodes de 2001, 2010, et 2019, et les facteurs qui la conditionnent. Nous avons examiné les approches différentes dans les deux entités francophones, et ce que dit la grammaire française sur le genre grammatical et la forme féminine. Notre but a été de déterminer les obstacles au développement de la forme féminine, et, en suivant la méthode de la linguiste Itsuko Fujimura, d’essayer de comprendre les facteurs linguistiques qui jouent un rôle dans le progrès parfois lent de cette féminisation.
Nyckelord:
Féminisation, noms de métiers, adaptation, genre grammatical, forme féminine,
obstacles, facteurs linguistiques.
Table des matières
Introduction ... 4
1. Présentation de la grammaire concernant cette question ... 6
1.1. Que dit la grammaire et que disent certains experts? ... 6
1.2. Comment fait-on pour féminiser un nom de métiers ? ... 8
1.3 Quelques considérations sur le suffixe -eur ... 9
2. Corpus et méthode utilisés ...10
2.1. Corpus ...10
2.2. Méthode ...11
2.3 Que dit Le Robert sur l’étymologie et la forme féminine des neufs noms de métiers ? ...13
3. Résultats et Analyse ...15
3.1. Résultats ...15
3.2. Progrès de la féminisation ...17
3.3. Analyse ...17
3.3.1 Facteur sémantique ...18
3.3.2. Facteur lexical ...19
3.3.3. Facteur sociolinguistique ...20
4. Discussion / Conclusion ...22
BIBLIOGRAPHIE ...25
Introduction
Déjà au moyen âge, la féminisation des noms de métiers se pratiquait.
« Féminiser les noms de métiers » signifie nommer les femmes au féminin dans leurs rôles professionnels. Le but est de rendre les femmes plus visibles dans le monde du travail, et de « combattre [la] division des rôles et sa représentation mentale dans nos sociétés » (L’OBS, site internet) comme a dit Maya Surduts, l’une des porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), dans un entretien dans l’article « La France reste un pays patriarcal » (L’OBS, internet).
Cette visibilité des femmes, disent bien des gens, et la fusion des rôles professionnels promeuvent l’égalité des chances et le partage des responsabilités entre hommes et femmes.
La langue française accepte depuis longtemps de mettre les noms de métiers au féminin lorsqu’il s’agit des professions moins enviables, mais quand il s’agit des métiers plus prestigieux le féminin a semblé poser des problèmes. La journaliste et auteure Benoite Groult, présidente de la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions lors de sa création en France en 1984, a décrit dans un entretien en 1994, la situation ainsi :
Je trouve que le langage est très symbolique. C'est important d'être à l'aise dans les mots et de se désigner par un féminin comme on l'a toujours été. Au Moyen-Âge, on était une "venderesse", on était une "tisserande" et tout à coup, aujourd'hui, par une espèce de réflexe frileux - dans les professions de prestige, parce que dans les professions ordinaires ça passe très bien – On est" agricultrice" mais on est
"écrivain" ! Dès qu'on monte en grade. C'est lié au prestige. On est "la secrétaire d'un patron" mais dans les postes supérieurs, on est "madame le Secrétaire d'État". La "doyenne des Français" mais "madame le doyen à l'université". Donc, ce n'est pas la langue qui refuse, ce sont les têtes. Et on voudrait simplement régulariser. Pas changer de langage. Faire fonctionner le féminin pour les noms de métiers, c'est tout.
(Groult, 1994).
En 1986, Benoite Groult a résumé le problème tel qu’elle le voyait : « il faut bien
que la réalité s’adapte. Tout le monde rira à des acrobaties que nous faisons pour
éviter ce malheureux féminin. » (Groult, 1986). De même en 2000, la féministe
québécoise Denise Bombardier est citée dans le livre La Grammaire en folie pour
avoir constaté en réponse à une question de Bernard Pivot lors de l’émission Bouillon de Culture sur les raisons pour lesquelles l’Académie française refuse la féminisation des mots de métiers, que « [s]i l’Académie refuse la féminisation des noms de métiers c’est sans doute parce qu’il manque des femmes à l’Académie » (Bloch, 2005 : 150).
Les deux entités francophones, la France et le Québec ont eu des approches différentes à l’adoption d’une féminisation des noms de métiers. Le Québec au Canada privilégie le chemin de la féminisation et poursuit depuis les années 1970 une politique linguistique active, gérée par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Les courants pour les droits civiques dans tous les secteurs de la société canadienne, la présence croissante des femmes dans la vie active et une prise de conscience croissante pour l’égalité femmes-hommes au Québec ont contribué à visualiser le besoin de parité entre hommes et femmes même dans l’usage du français. Dans la recherche antérieure menée par la linguiste Itsuko Fujimura et nommée La féminisation des noms de métiers et des titres dans la presse française 1988-2001, la chercheuse le décrit ainsi : « La situation au Québec s’explique par l’exigence plus forte de modernisation du français chez les Québécois, ainsi que par l’influence moins directe de l’Académie française » (Fujimura, 2005 : paragraphe 30 au format texte intégral).
En France, le processus d’adaptation de la langue à l’accession des femmes à des
fonctions de plus en plus diverses s’est déroulé avec plus de lenteur. Itsuko Fujimura
résume ce retard « par un conservatisme linguistique propre au monde académique,
qui joue d’ailleurs un rôle dans la conservation du système de genre lui-même en
français. » (Fujimura op. cit. : résumés au format texte intégral). Lorsque le
gouvernement en 1984 est passé à l’action avec la commission de terminologie
relative au vocabulaire concernant les activités des femmes, l’Académie française,
(chargée depuis 1637 de défendre le bon usage du français), s’est opposée à cette
tentative et à celles qui ont suivi jusqu’en février 2019, quand elle a finalement
renoncé à sa réticence et a accepté de reconnaître une évolution de l’usage quotidien
de la langue française qui était déjà en marche depuis plus de trente ans.
En s’efforçant ainsi d’étudier quelles évolutions pratiques il serait souhaitable de recommander, mais aussi à quelles difficultés linguistiques la démarche peut se heurter, la commission s’est conformée aux méthodes éprouvées à l’Académie, qui a toujours fondé ses recommandations sur le « bon usage » dont elle est la gardienne, ce qui implique, non pas d’avaliser tous les usages, ni de les retarder ou de les devancer, ni de chercher à les imposer, mais de dégager ceux qui attestent une formation correcte et sont durablement établis.
(Académie française, site internet, page 4 au format pdf).
Il semble précipité et simpliste déjà dans notre introduction de conclure que le soutien à la féminisation des noms de métiers au Québec est dû uniquement à une politique linguistique active et que l’attitude apparemment têtue en France est due seulement au manque de progressisme d’une institution conservatrice comme l’Académie et autres institutions linguistiques et académiques françaises. Le retard de la féminisation en France peut aussi être dû à d’autres obstacles.
Nous allons examiner quels peuvent être ces autres obstacles. Dans ce but nous allons suivre les pas de la linguiste Itsuko Fujimura. Son étude démontre la féminisation des noms de métiers et des titres dans la presse française en observant les usages entre 1988 et 2001. L’étude met en évidence que certains noms de métiers se féminisent avec plus de célérité que d’autres et trouve l’explication pour cela dans des phénomènes linguistiques. Dans notre étude, nous allons nous appuyer sur les outils d’Itsuko Fujimura afin de comprendre le retard parfois lent de cette féminisation. Pourtant, pour commencer nous voulons consacrer une partie à ce que dit la grammaire sur le sujet de la féminisation et comprendre comment on féminise des noms animés en français, avant de passer à la partie corpus et méthode, ensuite à la partie résultats et analyse, et à la discussion finale. Donc, après avoir introduit le sujet et vu ce que disent certaines institutions et personnes de poids sur la question de la féminisation des noms de métiers, nous allons, dans la partie suivante, voir ce que dit la grammaire sur le genre grammatical et le féminin.
1. Présentation de la grammaire concernant cette question
1.1. Que dit la grammaire et que disent certains experts?
D’après La Grammaire méthodique du français de Martin Riegel et al, « [t]out nom
est pourvu d’un genre inhérent, masculin ou féminin. » (Riegel, 1994 : 274) comme
par exemple le soleil, la lune. En outre, il y est des noms animés (sexués) appartenant à une catégorie « où la distinction des genres correspond en règle générale à une distinction de sexe » (Idem : 329), et « [s]i l’on considère qu’un mot est l’association stable d’une forme et d’un contenu lexical conventionnel, un même nom en tant que catégorie particulière de mot ne saurait avoir deux genres, puisqu’à la variation en genre est toujours associée une différence sémantique [relative au sens du mot]. » (Ibid : 330). On peut ainsi raisonner que le nom masculin policier et son féminin policière renvoient à deux personnes différentes avec leurs définitions particulières, bien que les deux noms soient construits à partir d’une même base et
« partagent [ainsi] une partie de leur sens » (Ibid : 330).
En français, l’on attribue au genre masculin la représentation universelle (genre non marqué, ou masculin générique), tandis que le genre féminin ne peut jamais être que spécifique (genre marqué). Dans son étude, Itsuko Fujimura qualifie ce « masculin générique utilisé pour désigner la fonction seule, sans référence à une existence réelle ou potentielle ; par exemple un chirurgien dans une offre d’emploi [ d’] aspect inégalitaire » (Fujimura 2005 : 28 au format texte intégral). Selon elle, le genre grammatical (la catégorie masculin ou féminin d’un nom) en français est « un fait prédéterminé dans le lexique » (Ibid : 31). Elle écrit qu’elle « [partage] l’avis de Durrer (2002) qui affirme, suivant Bally, que « le sujet parlant, qu’on le veuille ou non, attribue [en français] une valeur sémantique au genre morphologique […]. Ce n’est donc pas dans un contexte particulier que des connotations, des effets sont produits, mais ils sont inhérents aux substantifs. » » (Ibid : 33). Elle conclut que « le remplacement de le professeur par la professeur(e)[…] ne concerne pas simplement l’indication du sexe du référent, mais entraine aussi une modification du signifié du mot » (Ibid : 33).
Dans son ouvrage sur la féminisation des noms de métiers, Le/La Ministre est
enceinte, le linguiste Bernard Cerquiglini discute le privilège accordé au genre
masculin. Il pose la question suivante : « le genre masculin en français porte-t-il des
valeurs de neutralité qui le qualifient pour désigner des fonctions, indépendamment
du sexe de la personne qui les occupe ? » (Cerquiglini, 2018 : 61). Il raisonne
toutefois que « [l]’emploi du masculin de façon générique n’est pas une obligation
inhérente à la langue, mais un choix ; l’alternative est ouverte » (Idem : 65). Il finit par justifier l’usage du masculin générique et du féminin spécifique. « Cette alternance au singulier d’un générique masculin (dans un contexte qui s’y prête) et d’un spécifique qui apparie le genre et le sexe peut paraître subtile ; elle l’est. C’est ainsi que fonctionne la langue française et que l’on doit en user. » (Ibid : 84). Selon Cerquiglini « les meilleurs spécialistes de la langue française s’accordent, quels que soient leurs présupposés et leur démarche, sur l’idée d’un lien naturel entre le sexe de la personne et la dénomination de sa profession » (Ibid : 49).
Le consensus parmi les grammairiens et les experts nous semble être qu’on ne peut pas dissocier le changement de genre grammatical du référent d’un mot avec la perception qu’on a du signifié d’un mot. La distinction sémantique est là.
Nous allons maintenant nous familiariser avec les possibilités grammaticales qui existent pour un nom de métier de changer du masculin au féminin.
1.2. Comment fait-on pour féminiser un nom de métiers ?
Les manières selon lesquelles un nom animé peut changer pour désigner une opposition grammaticale des genres sont variées. Riegel et al, les listent dans leur Grammaire méthodique du français (Riegel, op. cit,. : 329-330). L’une des méthodes concerne le genre du déterminant des noms dits épicènes (dont la forme ne varie pas avec le genre), change ainsi la médecin, le médecin, une écrivain, un écrivain, la professeur, le professeur pour montrer si le référent est féminin ou masculin. L’Académie française cite comme premier instrument le fait de « marquer le féminin par l’article, [tout en gardant la même forme au masculin comme au féminin », (l’Académie française, site internet).
L’adjonction de la « marque graphique -e » (Idem : 329), comme dans les cas
d’agent/agente, ingénieur/ingénieure, professeur/professeure est une autre façon de
montrer si le nom désigne un référent masculin ou féminin. C’est un outil qui
s’applique généralement, comme l’expliquent les linguistes Anne Dister et Marie-
Louise Moreau, dans le livre de Bernard Cerquiglini, « On ajoute un « -e » à la
forme masculine, sauf si celle-ci en comporte déjà un », et on procède, le cas
échéant, à quelques ajustements courants (accents, redoublement de consonne,
etc.) » (Cerquiglini, op. cit., : 92). Des exemples de cela sont architecte, policière, cheffe.
Également « l’antéposition ou postposition du terme classificateur femme au nom masculin » (Riegel, op. cit., : 330), comme une femme médecin désigne le changement de genre au féminin.
Finalement, « l’addition d’un suffixe (l’élément qu’on ajoute à la racine d’un nom) pour former le féminin à partir du masculin » (Ibid : 330), comme par exemple, auteur / autrice. Rajout d’un « e » : écrivain/écrivaine, et « la variation en genre d’un même suffixe : -eur / euse (vendeur / vendeuse), -eur / eresse (pêcheur / pêcheresse), -eur / eure (supérieur / supérieure), -teur / -trice, (inspecteur / inspectrice, mais aussi empereur / impératrice) » (Ibid : 330), sont encore des variantes pour atteindre une différentiation grammaticale des genres pour un nom de métier. Après nous être familiarisés avec les manières qui existent pour un nom de métier d’atteindre une distinction grammaticale des genres, nous allons maintenant regarder les règles qui déterminent comment un suffixe particulier obtient sa forme féminine.
1.3 Quelques considérations sur le suffixe -eur
Avant de passer à l’analyse des noms de métiers, on peut spécifier les règles grammaticales selon lesquelles le suffixe -eur obtient sa forme féminine en français dans la mesure où c’est un procédé fréquent. Bernard Cerquiglini résume ce groupe de la façon suivante :
Les noms en -eur dérivés d’un verbe ou d’un substantif font leur féminin en - euse (coiffeuse, basketteuse) ; les noms en -eur non dérivés posent un problème (ingénieur, proviseur, (professeur)).
Les noms en -teur forment leur féminin en -trice (directrice, rectrice, (actrice)) sauf s’ils sont visiblement dérivés : dans ce cas ils rejoignent le suffixe -eur général (chanteuse).
(Cerquiglini, 2018 : 95).
Quelques terminaisons de noms de métiers en -eur sont détaillées dans le tableau
suivant.
Tableau 1 Noms de métiers en -eur
Bernard Cerquiglini maintient qu’il reste des termes professionnels « socialement valorisés, que la seule maîtrise de la langue ne suffit pas à féminiser ; c’est une déficience » (Cerquiglini, op. cit. : 95-96). On sait que médecin est un tel mot dont la forme féminine est déjà prise pour désigner soit un mode de traitement soit la science qui a pour objet la prévention, la guérison ou le soulagement des maladies.
Ce parcours des formes existantes de féminisation et les règles pour les noms de métiers avec le suffixe -eur montrent que le français a dans certains cas de multiples moyens pour féminiser un substantif. Certains noms de métiers comme « auteur » sont dotés de deux concurrents, tandis que d’autres noms comme « médecin » ont été jusqu’à récemment forcés de compter sur l’adjonction de « femme » au nom masculin. Certaines formes, qui désignaient le statut matrimonial d’une personne,
« ont tendance à tomber en désuétude » (l’Académie française, site internet), tout comme « authoresse », « auteuresse », « autoresse ». Passons maintenant à la partie corpus et méthode.
2. Corpus et méthode utilisés
2.1. Corpus
Nous avons procédé à des recherches sur la féminisation des neuf noms de métiers suivants dans le journal français Le Monde et le journal québécois Le Devoir pendant les trois années 2001, 2010 et 2019.
-eur Auteur - non-dérivé d’un
verbe, du base latin auctor, celui qui fait
Aut-eure, Aut-rice
-teur Directeur – non-dérivé d’un
verbe, du base latin director, celui qui dirige
Direc-trice
-eur Coiffeur - dérivé du verbe
coiffer
Coiff-euse
-(t)eur Chanteur - dérivé du verbe
chanter
Chant-euse
-eur Ingénieur - non-dérivé d’un
verbe, de base latin ingenium
Ingénieur-e
Agent
Ambassadeur Auteur Chef Écrivain Ingénieur Médecin Policier Professeur
Notre choix des noms se base sur la lecture des articles et l’écoute des transmissions par des experts sur la féminisation des noms. Après nous être familiarisées avec les règles grammaticales et les différentes formes féminines, nous avons voulu trouver un équilibre entre professions où les femmes sont établies (auteur, écrivain, professeur) et positions où elles sont moins visibles (ambassadeur, chef, ingénieur, médecin et policier) et noms d’usage général comme agent qui s’emploie dans de nombreux contextes professionnels pour signifier intermédiaire et où le nom est qualifié par un adjectif ou un complément de nom comme par exemple agent littéraire ou agente d’une société exportatrice. Il faut souligner qu’auteur, écrivain, médecin et professeur sont les noms de métiers que nous avons en commun avec Itsuko Fujimura dans son étude qui se base sur un corpus beaucoup plus extensif.
Finalement, dans notre choix de corpus, nous avons cherché à trouver un équilibre entre les différentes manières d’obtenir le féminin pour chacun des noms, soit par l’adjonction d’un -e, soit en marquant le féminin par l’article, soit par l’anté- ou postposition de femme, ou par l’addition de différents suffixes. Ainsi nous avons établi notre corpus. Maintenant nous allons montrer quelle méthode nous avons utilisée.
2.2. Méthode
En nous servant d’un corpus étroit en comparaison avec celui d’Itsuko Fujimura,
nous allons tout de même essayer de suivre sa méthode consistant à examiner la
féminisation des noms de métiers sous le prisme des facteurs sémantiques, lexicaux
et sociolinguistiques. Dans ce but, nous avons fait un travail de base en construisant une liste de variantes grammaticales pour chacun des neuf noms de métiers pour en trouver les occurrences féminines les plus fréquentes pour les trois périodes. En premier lieu, nous avons voulu comparer le nombre d’occurrences pour le genre masculin et le genre féminin de chaque nom. Nous avons ensuite voulu inclure des variantes féminines sous lesquelles le nom pourrait apparaître. Nous avons cherché ces variations du nom dans les banques de données de deux journaux pour les trois périodes citées. Voici un exemple de cette première étape de la recherche faite pour avoir une base d’occurrences des formes féminines et masculines de chacun de neuf noms de métiers.
Nom de métier Le Monde
recherche faite 05/12/2019
Le Devoir recherche faite 05/12/2019 Nombre de
résultats pour 2001
Nombre de résultats pour 2001
auteur 958 2 356
auteure 2 198
autrice 1 0
une auteur 2 0
Nom de métier Le Monde
recherche faite 05/12/2019
Le Devoir recherche faite 05/12/2019 Nombre de
résultats pour 2010
Nombre de résultats pour 2010
auteur 510 2 254
auteure 36 300
autrice 0 0
une auteur 1 0
Nom de métier Le Monde
recherche faite 07/12/2019
Le Devoir recherche faite 07/12/2019 Nombre de
résultats pour 2019
Nombre de résultats pour 2019
auteur 378 2 128
auteure 90 300
autrice 9 66
une auteur 0 1
Nous avons ensuite transféré les variantes féminines les plus usitées dans un tableau
des résultats. Pour des raisons de comparaison nous avons fait un tableau pour les
noms au masculin. Cela nous a donné une vue d’ensemble plus gérable pour montrer
la féminisation en progrès et à partir de ces résultats aborder l’analyse suivant la méthode d’Itsuko Fujimura.
Avant de passer à la partie des résultats et de l’analyse, nous allons présenter ce que dit le dictionnaire Le Robert sur l’étymologie de chacun de neuf noms et ses remarques sur leurs formes féminines.
2.3 Que dit Le Robert sur l’étymologie et la forme féminine des neufs noms de métiers ?
Le dictionnaire Le Grand Robert de la langue française (de 2017) donne l’étymologie des noms et des remarques sur leurs formes féminines :
Tableau 2 Etymologie des noms de métiers étudies
Nom Le
féminin
2017 Dictionnaires Le Robert – Le Grand Robert de la langue française
Remarque
Agent Agente ÉTYM. Fin XVIII
e, in D. D. L. ; de agent.
Littér. ou vx. Femme qui est l'agent ( 1.) de (qqn, un
groupe). Je découvris que, dans cette intrigue, elle était la principale agente (Académie). « Les complices, l es agentes de la
déchéance » (Huysmans, in T. L. F.).
Dans tous les contextes professionnels, on
employait agent en parlant des femmes. Mais agente s'est employé pendant la Révolution (Camille Desmoulins, Babeuf) pour désigner les « agents de l'étranger » lorsqu'il
s'agissait de femmes (→ Agente).
La féminisation des
noms de métiers et fonctions fait d'agente la forme normale au féminin
(ex. : une agente immobilière, une agente technique). Son emploi est plus courant en Suisse et au Canada qu'en France.
Ambassa deur
Ambassa drice
ÉTYM. 1694 ; embasciatrice, fin XV I
e, de l'ital. embasciatrice, fém.
de ambasciatore. → Ambassadeur.
Le mot est en concurrence avec ambassadeur (2.).
Auteur Autrice, Auteure
ÉTYM. V. 1160, auctur « écrivain » ; 1174, autor « celui qui est
à l'origine (de qqch.) » ; du lat. auctor « celui qui accroît, qui fonde », de augere « accroître, augmenter ».
Le féminin autrice, le seul morphologiquement correct, est didactique (→ ci-
dessous cit. 41.5). Auteure, courant au Québec, est de plus en plus employé en France. La
forme auteuresse n'est employée que par
plaisanterie. ➙ aussi autoresse. Au
teuse est un barbarisme.
Chef La/une chef, Cheffe, Cheffesse
ÉTYM. Fin IX
e, chieef ; du
lat. caput « tête ». L'emploi de chef au féminin est devenu courant : la chef de l'État, une chef d'orchestre. Toutefois, le mot est encore parfois employé au masculin pour parler d'une femme : Elle est le chef de l'équipe. En Suisse, la forme cheffe est courante. Le féminin
morphologique cheffesse* est rare.
Écrivain Écrivaine ÉTYM. Av.
1150, escrivein, au sens 1 ; du lat.
pop. scribane(m), accusatif de scriba
« greffier », de scribere « écrire ».
Par appos. (pour suppléer l'absence de forme
féminine). Une femme écrivain.
Au féminin, on dit écrivain (George Sand, Emily Brontë sont de grands écrivains), mais le féminin écrivaine (1885, in D. D. L .) est revendiqué par certaines (Colette, ironiquement, Benoîte Groult).
On trouve aussi, mais rarement : une
écrivain (Barrès, in T. L. F.).
Ingénieur Ingénieur e
ÉTYM. 1556 ; anc.
franç. engeigneur, de engin « machin e de guerre » ; empr., selon Brunot, à l'ital. ingegnere.
Le féminin ingénieure n'est pas entré dans l'usage. On dit : elle est ingénieur.
Madame X, ingénieur chimiste mai s on évitera l'emploi au
féminin : une ingénieur, l'ingénieur est compétente. La forme ingénieure (cf. Prieur, prieure) est virtuelle.
Médecin Médecin ÉTYM. XIV
e; medechin, v. 1320 ;
de médecine. Par
appos. Femme médecin. ➙ Docte ur, doctoresse.
Policier Policière ÉTYM. 1611; de police. Féminin singulier: policière Professe
ur
Professeu re
ÉTYM. 1337 ; en parlant d'une femme, 1846 ;
lat. professor, de profiteri « enseigner en public ».
Au féminin, on écrit
aussi professeure sur le modèle du français du Canada. D'autres fo rmes ont été tentées sans
succès : une professeuse,
une professoresse (Bloy, la Femme pauvre, p. 99).
Professeur, dans l'usage français, ne s'emploie que rarement devant le nom propre et
seulement au sens 2. Cet emploi (normal en anglais, allemand, italien, etc.) n'est reçu qu'en parlant des professeurs de l'Académie de médecine. M. le Professeur, le professeur X (→ Monsieur, cit.
4.2 et supra).
Les remarques sur les neuf noms de métiers mettent en évidence que certains noms comme ambassadeur, auteur, chef, écrivain et professeur ont progressé plus loin et démontrent une plus grande variation dans leur féminisation, comparée aux noms agent, ingénieur, médecin et policier, comme nous allons le voir dans la partie résultats et analyse.
Tout d’abord, nous allons montrer le processus de féminisation pour les neuf noms au cours de trois périodes, puis nous allonsessayer de voir quels facteurs linguistiques influencent la féminisation d’un nom de métier. Nous allons appliquer la méthode d’Itsuko Fujimura et examiner les résultats sous le prisme du facteur sémantique (relatif au sens du mot), du facteur lexical (ce qui décrit la connaissance mentale que nous avons d’un mot d’après sa forme concrète), et aussi voir l’aspect sociolinguistique dans la mesure où Itsuko Fujimura souligne que « le domaine [social] auquel les noms de métiers appartiennent est également un facteur important » (Fujimura, op. cit., : 20). Finalement, nous allons voir quels noms se féminisent avec peu d’obstacles et pour quels noms il y a un plus grand défi et essayer de comprendre pourquoi.
3. Résultats et Analyse
3.1. Résultats
Dans les deux tableaux, Le Monde est indiqué LM et Le Devoir LD.
Tableau 3 Résultats des noms au féminin
Noms au
féminin
LM 2001
LD 2001
LM 2010
LD 2010
LM 2019
LD 2019
LM Total
LD Total
une agent 0 0 0 1 0 12 0 13
agente 3 42 1 31 3 46 7 123
l’/une
ambassadeure
0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 0 0
ambassadeure 0 0 0 0 0 0 0 0
l’/une ambassadrice
0/0 8/1 0/0 13/1 1/0 14/3 1 40
ambassadrice 15 21 9 24 19 44 43 89
une auteur 2 0 1 0 0 1 3 1
Le tableau ci-dessous montre les noms au masculin pour avoir une idée du nombre d’occurrences et pour les comparer avec les noms au féminin. Il faut souligner que malheureusement nous ne savons pas dans ces occurrences si le référent est masculin ou non.
Tableau 4 Résultats des noms au masculin