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La féminisation de quelques noms de métiers dans Le Monde en France et Le Devoir au Québec au début du 21ème siècle.

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Academic year: 2022

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Examensarbete

Kandidatnivå

La féminisation de quelques noms de métiers dans Le Monde en France et Le Devoir au Québec au début du 21ème siècle.

Författare: Alexandra Cederin Handledare: Charlotte Lindgren Examinator: Nathalie Hauksson-Tresch Ämne/huvudområde: Franska

Kurskod: FR2028 Poäng: 15 hp

Ventilerings-/examinationsdatum: 2020-06-04

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(2)

Abstract:

Dans ce mémoire, nous avons étudié la féminisation de neuf noms de métiers dans un corpus délimité du Monde en France et du Devoir au Québec pour les trois périodes de 2001, 2010, et 2019, et les facteurs qui la conditionnent. Nous avons examiné les approches différentes dans les deux entités francophones, et ce que dit la grammaire française sur le genre grammatical et la forme féminine. Notre but a été de déterminer les obstacles au développement de la forme féminine, et, en suivant la méthode de la linguiste Itsuko Fujimura, d’essayer de comprendre les facteurs linguistiques qui jouent un rôle dans le progrès parfois lent de cette féminisation.

Nyckelord:

Féminisation, noms de métiers, adaptation, genre grammatical, forme féminine,

obstacles, facteurs linguistiques.

(3)

Table des matières

Introduction ... 4

1. Présentation de la grammaire concernant cette question ... 6

1.1. Que dit la grammaire et que disent certains experts? ... 6

1.2. Comment fait-on pour féminiser un nom de métiers ? ... 8

1.3 Quelques considérations sur le suffixe -eur ... 9

2. Corpus et méthode utilisés ...10

2.1. Corpus ...10

2.2. Méthode ...11

2.3 Que dit Le Robert sur l’étymologie et la forme féminine des neufs noms de métiers ? ...13

3. Résultats et Analyse ...15

3.1. Résultats ...15

3.2. Progrès de la féminisation ...17

3.3. Analyse ...17

3.3.1 Facteur sémantique ...18

3.3.2. Facteur lexical ...19

3.3.3. Facteur sociolinguistique ...20

4. Discussion / Conclusion ...22

BIBLIOGRAPHIE ...25

(4)

Introduction

Déjà au moyen âge, la féminisation des noms de métiers se pratiquait.

« Féminiser les noms de métiers » signifie nommer les femmes au féminin dans leurs rôles professionnels. Le but est de rendre les femmes plus visibles dans le monde du travail, et de « combattre [la] division des rôles et sa représentation mentale dans nos sociétés » (L’OBS, site internet) comme a dit Maya Surduts, l’une des porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), dans un entretien dans l’article « La France reste un pays patriarcal » (L’OBS, internet).

Cette visibilité des femmes, disent bien des gens, et la fusion des rôles professionnels promeuvent l’égalité des chances et le partage des responsabilités entre hommes et femmes.

La langue française accepte depuis longtemps de mettre les noms de métiers au féminin lorsqu’il s’agit des professions moins enviables, mais quand il s’agit des métiers plus prestigieux le féminin a semblé poser des problèmes. La journaliste et auteure Benoite Groult, présidente de la Commission de terminologie pour la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions lors de sa création en France en 1984, a décrit dans un entretien en 1994, la situation ainsi :

Je trouve que le langage est très symbolique. C'est important d'être à l'aise dans les mots et de se désigner par un féminin comme on l'a toujours été. Au Moyen-Âge, on était une "venderesse", on était une "tisserande" et tout à coup, aujourd'hui, par une espèce de réflexe frileux - dans les professions de prestige, parce que dans les professions ordinaires ça passe très bien – On est" agricultrice" mais on est

"écrivain" ! Dès qu'on monte en grade. C'est lié au prestige. On est "la secrétaire d'un patron" mais dans les postes supérieurs, on est "madame le Secrétaire d'État". La "doyenne des Français" mais "madame le doyen à l'université". Donc, ce n'est pas la langue qui refuse, ce sont les têtes. Et on voudrait simplement régulariser. Pas changer de langage. Faire fonctionner le féminin pour les noms de métiers, c'est tout.

(Groult, 1994).

En 1986, Benoite Groult a résumé le problème tel qu’elle le voyait : « il faut bien

que la réalité s’adapte. Tout le monde rira à des acrobaties que nous faisons pour

éviter ce malheureux féminin. » (Groult, 1986). De même en 2000, la féministe

québécoise Denise Bombardier est citée dans le livre La Grammaire en folie pour

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avoir constaté en réponse à une question de Bernard Pivot lors de l’émission Bouillon de Culture sur les raisons pour lesquelles l’Académie française refuse la féminisation des mots de métiers, que « [s]i l’Académie refuse la féminisation des noms de métiers c’est sans doute parce qu’il manque des femmes à l’Académie » (Bloch, 2005 : 150).

Les deux entités francophones, la France et le Québec ont eu des approches différentes à l’adoption d’une féminisation des noms de métiers. Le Québec au Canada privilégie le chemin de la féminisation et poursuit depuis les années 1970 une politique linguistique active, gérée par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Les courants pour les droits civiques dans tous les secteurs de la société canadienne, la présence croissante des femmes dans la vie active et une prise de conscience croissante pour l’égalité femmes-hommes au Québec ont contribué à visualiser le besoin de parité entre hommes et femmes même dans l’usage du français. Dans la recherche antérieure menée par la linguiste Itsuko Fujimura et nommée La féminisation des noms de métiers et des titres dans la presse française 1988-2001, la chercheuse le décrit ainsi : « La situation au Québec s’explique par l’exigence plus forte de modernisation du français chez les Québécois, ainsi que par l’influence moins directe de l’Académie française » (Fujimura, 2005 : paragraphe 30 au format texte intégral).

En France, le processus d’adaptation de la langue à l’accession des femmes à des

fonctions de plus en plus diverses s’est déroulé avec plus de lenteur. Itsuko Fujimura

résume ce retard « par un conservatisme linguistique propre au monde académique,

qui joue d’ailleurs un rôle dans la conservation du système de genre lui-même en

français. » (Fujimura op. cit. : résumés au format texte intégral). Lorsque le

gouvernement en 1984 est passé à l’action avec la commission de terminologie

relative au vocabulaire concernant les activités des femmes, l’Académie française,

(chargée depuis 1637 de défendre le bon usage du français), s’est opposée à cette

tentative et à celles qui ont suivi jusqu’en février 2019, quand elle a finalement

renoncé à sa réticence et a accepté de reconnaître une évolution de l’usage quotidien

de la langue française qui était déjà en marche depuis plus de trente ans.

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En s’efforçant ainsi d’étudier quelles évolutions pratiques il serait souhaitable de recommander, mais aussi à quelles difficultés linguistiques la démarche peut se heurter, la commission s’est conformée aux méthodes éprouvées à l’Académie, qui a toujours fondé ses recommandations sur le « bon usage » dont elle est la gardienne, ce qui implique, non pas d’avaliser tous les usages, ni de les retarder ou de les devancer, ni de chercher à les imposer, mais de dégager ceux qui attestent une formation correcte et sont durablement établis.

(Académie française, site internet, page 4 au format pdf).

Il semble précipité et simpliste déjà dans notre introduction de conclure que le soutien à la féminisation des noms de métiers au Québec est dû uniquement à une politique linguistique active et que l’attitude apparemment têtue en France est due seulement au manque de progressisme d’une institution conservatrice comme l’Académie et autres institutions linguistiques et académiques françaises. Le retard de la féminisation en France peut aussi être dû à d’autres obstacles.

Nous allons examiner quels peuvent être ces autres obstacles. Dans ce but nous allons suivre les pas de la linguiste Itsuko Fujimura. Son étude démontre la féminisation des noms de métiers et des titres dans la presse française en observant les usages entre 1988 et 2001. L’étude met en évidence que certains noms de métiers se féminisent avec plus de célérité que d’autres et trouve l’explication pour cela dans des phénomènes linguistiques. Dans notre étude, nous allons nous appuyer sur les outils d’Itsuko Fujimura afin de comprendre le retard parfois lent de cette féminisation. Pourtant, pour commencer nous voulons consacrer une partie à ce que dit la grammaire sur le sujet de la féminisation et comprendre comment on féminise des noms animés en français, avant de passer à la partie corpus et méthode, ensuite à la partie résultats et analyse, et à la discussion finale. Donc, après avoir introduit le sujet et vu ce que disent certaines institutions et personnes de poids sur la question de la féminisation des noms de métiers, nous allons, dans la partie suivante, voir ce que dit la grammaire sur le genre grammatical et le féminin.

1. Présentation de la grammaire concernant cette question

1.1. Que dit la grammaire et que disent certains experts?

D’après La Grammaire méthodique du français de Martin Riegel et al, « [t]out nom

est pourvu d’un genre inhérent, masculin ou féminin. » (Riegel, 1994 : 274) comme

(7)

par exemple le soleil, la lune. En outre, il y est des noms animés (sexués) appartenant à une catégorie « où la distinction des genres correspond en règle générale à une distinction de sexe » (Idem : 329), et « [s]i l’on considère qu’un mot est l’association stable d’une forme et d’un contenu lexical conventionnel, un même nom en tant que catégorie particulière de mot ne saurait avoir deux genres, puisqu’à la variation en genre est toujours associée une différence sémantique [relative au sens du mot]. » (Ibid : 330). On peut ainsi raisonner que le nom masculin policier et son féminin policière renvoient à deux personnes différentes avec leurs définitions particulières, bien que les deux noms soient construits à partir d’une même base et

« partagent [ainsi] une partie de leur sens » (Ibid : 330).

En français, l’on attribue au genre masculin la représentation universelle (genre non marqué, ou masculin générique), tandis que le genre féminin ne peut jamais être que spécifique (genre marqué). Dans son étude, Itsuko Fujimura qualifie ce « masculin générique utilisé pour désigner la fonction seule, sans référence à une existence réelle ou potentielle ; par exemple un chirurgien dans une offre d’emploi [ d’] aspect inégalitaire » (Fujimura 2005 : 28 au format texte intégral). Selon elle, le genre grammatical (la catégorie masculin ou féminin d’un nom) en français est « un fait prédéterminé dans le lexique » (Ibid : 31). Elle écrit qu’elle « [partage] l’avis de Durrer (2002) qui affirme, suivant Bally, que « le sujet parlant, qu’on le veuille ou non, attribue [en français] une valeur sémantique au genre morphologique […]. Ce n’est donc pas dans un contexte particulier que des connotations, des effets sont produits, mais ils sont inhérents aux substantifs. » » (Ibid : 33). Elle conclut que « le remplacement de le professeur par la professeur(e)[…] ne concerne pas simplement l’indication du sexe du référent, mais entraine aussi une modification du signifié du mot » (Ibid : 33).

Dans son ouvrage sur la féminisation des noms de métiers, Le/La Ministre est

enceinte, le linguiste Bernard Cerquiglini discute le privilège accordé au genre

masculin. Il pose la question suivante : « le genre masculin en français porte-t-il des

valeurs de neutralité qui le qualifient pour désigner des fonctions, indépendamment

du sexe de la personne qui les occupe ? » (Cerquiglini, 2018 : 61). Il raisonne

toutefois que « [l]’emploi du masculin de façon générique n’est pas une obligation

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inhérente à la langue, mais un choix ; l’alternative est ouverte » (Idem : 65). Il finit par justifier l’usage du masculin générique et du féminin spécifique. « Cette alternance au singulier d’un générique masculin (dans un contexte qui s’y prête) et d’un spécifique qui apparie le genre et le sexe peut paraître subtile ; elle l’est. C’est ainsi que fonctionne la langue française et que l’on doit en user. » (Ibid : 84). Selon Cerquiglini « les meilleurs spécialistes de la langue française s’accordent, quels que soient leurs présupposés et leur démarche, sur l’idée d’un lien naturel entre le sexe de la personne et la dénomination de sa profession » (Ibid : 49).

Le consensus parmi les grammairiens et les experts nous semble être qu’on ne peut pas dissocier le changement de genre grammatical du référent d’un mot avec la perception qu’on a du signifié d’un mot. La distinction sémantique est là.

Nous allons maintenant nous familiariser avec les possibilités grammaticales qui existent pour un nom de métier de changer du masculin au féminin.

1.2. Comment fait-on pour féminiser un nom de métiers ?

Les manières selon lesquelles un nom animé peut changer pour désigner une opposition grammaticale des genres sont variées. Riegel et al, les listent dans leur Grammaire méthodique du français (Riegel, op. cit,. : 329-330). L’une des méthodes concerne le genre du déterminant des noms dits épicènes (dont la forme ne varie pas avec le genre), change ainsi la médecin, le médecin, une écrivain, un écrivain, la professeur, le professeur pour montrer si le référent est féminin ou masculin. L’Académie française cite comme premier instrument le fait de « marquer le féminin par l’article, [tout en gardant la même forme au masculin comme au féminin », (l’Académie française, site internet).

L’adjonction de la « marque graphique -e » (Idem : 329), comme dans les cas

d’agent/agente, ingénieur/ingénieure, professeur/professeure est une autre façon de

montrer si le nom désigne un référent masculin ou féminin. C’est un outil qui

s’applique généralement, comme l’expliquent les linguistes Anne Dister et Marie-

Louise Moreau, dans le livre de Bernard Cerquiglini, « On ajoute un « -e » à la

forme masculine, sauf si celle-ci en comporte déjà un », et on procède, le cas

échéant, à quelques ajustements courants (accents, redoublement de consonne,

(9)

etc.) » (Cerquiglini, op. cit., : 92). Des exemples de cela sont architecte, policière, cheffe.

Également « l’antéposition ou postposition du terme classificateur femme au nom masculin » (Riegel, op. cit., : 330), comme une femme médecin désigne le changement de genre au féminin.

Finalement, « l’addition d’un suffixe (l’élément qu’on ajoute à la racine d’un nom) pour former le féminin à partir du masculin » (Ibid : 330), comme par exemple, auteur / autrice. Rajout d’un « e » : écrivain/écrivaine, et « la variation en genre d’un même suffixe : -eur / euse (vendeur / vendeuse), -eur / eresse (pêcheur / pêcheresse), -eur / eure (supérieur / supérieure), -teur / -trice, (inspecteur / inspectrice, mais aussi empereur / impératrice) » (Ibid : 330), sont encore des variantes pour atteindre une différentiation grammaticale des genres pour un nom de métier. Après nous être familiarisés avec les manières qui existent pour un nom de métier d’atteindre une distinction grammaticale des genres, nous allons maintenant regarder les règles qui déterminent comment un suffixe particulier obtient sa forme féminine.

1.3 Quelques considérations sur le suffixe -eur

Avant de passer à l’analyse des noms de métiers, on peut spécifier les règles grammaticales selon lesquelles le suffixe -eur obtient sa forme féminine en français dans la mesure où c’est un procédé fréquent. Bernard Cerquiglini résume ce groupe de la façon suivante :

Les noms en -eur dérivés d’un verbe ou d’un substantif font leur féminin en - euse (coiffeuse, basketteuse) ; les noms en -eur non dérivés posent un problème (ingénieur, proviseur, (professeur)).

Les noms en -teur forment leur féminin en -trice (directrice, rectrice, (actrice)) sauf s’ils sont visiblement dérivés : dans ce cas ils rejoignent le suffixe -eur général (chanteuse).

(Cerquiglini, 2018 : 95).

Quelques terminaisons de noms de métiers en -eur sont détaillées dans le tableau

suivant.

(10)

Tableau 1 Noms de métiers en -eur

Bernard Cerquiglini maintient qu’il reste des termes professionnels « socialement valorisés, que la seule maîtrise de la langue ne suffit pas à féminiser ; c’est une déficience » (Cerquiglini, op. cit. : 95-96). On sait que médecin est un tel mot dont la forme féminine est déjà prise pour désigner soit un mode de traitement soit la science qui a pour objet la prévention, la guérison ou le soulagement des maladies.

Ce parcours des formes existantes de féminisation et les règles pour les noms de métiers avec le suffixe -eur montrent que le français a dans certains cas de multiples moyens pour féminiser un substantif. Certains noms de métiers comme « auteur » sont dotés de deux concurrents, tandis que d’autres noms comme « médecin » ont été jusqu’à récemment forcés de compter sur l’adjonction de « femme » au nom masculin. Certaines formes, qui désignaient le statut matrimonial d’une personne,

« ont tendance à tomber en désuétude » (l’Académie française, site internet), tout comme « authoresse », « auteuresse », « autoresse ». Passons maintenant à la partie corpus et méthode.

2. Corpus et méthode utilisés

2.1. Corpus

Nous avons procédé à des recherches sur la féminisation des neuf noms de métiers suivants dans le journal français Le Monde et le journal québécois Le Devoir pendant les trois années 2001, 2010 et 2019.

-eur Auteur - non-dérivé d’un

verbe, du base latin auctor, celui qui fait

Aut-eure, Aut-rice

-teur Directeur – non-dérivé d’un

verbe, du base latin director, celui qui dirige

Direc-trice

-eur Coiffeur - dérivé du verbe

coiffer

Coiff-euse

-(t)eur Chanteur - dérivé du verbe

chanter

Chant-euse

-eur Ingénieur - non-dérivé d’un

verbe, de base latin ingenium

Ingénieur-e

(11)

Agent

Ambassadeur Auteur Chef Écrivain Ingénieur Médecin Policier Professeur

Notre choix des noms se base sur la lecture des articles et l’écoute des transmissions par des experts sur la féminisation des noms. Après nous être familiarisées avec les règles grammaticales et les différentes formes féminines, nous avons voulu trouver un équilibre entre professions où les femmes sont établies (auteur, écrivain, professeur) et positions où elles sont moins visibles (ambassadeur, chef, ingénieur, médecin et policier) et noms d’usage général comme agent qui s’emploie dans de nombreux contextes professionnels pour signifier intermédiaire et où le nom est qualifié par un adjectif ou un complément de nom comme par exemple agent littéraire ou agente d’une société exportatrice. Il faut souligner qu’auteur, écrivain, médecin et professeur sont les noms de métiers que nous avons en commun avec Itsuko Fujimura dans son étude qui se base sur un corpus beaucoup plus extensif.

Finalement, dans notre choix de corpus, nous avons cherché à trouver un équilibre entre les différentes manières d’obtenir le féminin pour chacun des noms, soit par l’adjonction d’un -e, soit en marquant le féminin par l’article, soit par l’anté- ou postposition de femme, ou par l’addition de différents suffixes. Ainsi nous avons établi notre corpus. Maintenant nous allons montrer quelle méthode nous avons utilisée.

2.2. Méthode

En nous servant d’un corpus étroit en comparaison avec celui d’Itsuko Fujimura,

nous allons tout de même essayer de suivre sa méthode consistant à examiner la

féminisation des noms de métiers sous le prisme des facteurs sémantiques, lexicaux

(12)

et sociolinguistiques. Dans ce but, nous avons fait un travail de base en construisant une liste de variantes grammaticales pour chacun des neuf noms de métiers pour en trouver les occurrences féminines les plus fréquentes pour les trois périodes. En premier lieu, nous avons voulu comparer le nombre d’occurrences pour le genre masculin et le genre féminin de chaque nom. Nous avons ensuite voulu inclure des variantes féminines sous lesquelles le nom pourrait apparaître. Nous avons cherché ces variations du nom dans les banques de données de deux journaux pour les trois périodes citées. Voici un exemple de cette première étape de la recherche faite pour avoir une base d’occurrences des formes féminines et masculines de chacun de neuf noms de métiers.

Nom de métier Le Monde

recherche faite 05/12/2019

Le Devoir recherche faite 05/12/2019 Nombre de

résultats pour 2001

Nombre de résultats pour 2001

auteur 958 2 356

auteure 2 198

autrice 1 0

une auteur 2 0

Nom de métier Le Monde

recherche faite 05/12/2019

Le Devoir recherche faite 05/12/2019 Nombre de

résultats pour 2010

Nombre de résultats pour 2010

auteur 510 2 254

auteure 36 300

autrice 0 0

une auteur 1 0

Nom de métier Le Monde

recherche faite 07/12/2019

Le Devoir recherche faite 07/12/2019 Nombre de

résultats pour 2019

Nombre de résultats pour 2019

auteur 378 2 128

auteure 90 300

autrice 9 66

une auteur 0 1

Nous avons ensuite transféré les variantes féminines les plus usitées dans un tableau

des résultats. Pour des raisons de comparaison nous avons fait un tableau pour les

noms au masculin. Cela nous a donné une vue d’ensemble plus gérable pour montrer

(13)

la féminisation en progrès et à partir de ces résultats aborder l’analyse suivant la méthode d’Itsuko Fujimura.

Avant de passer à la partie des résultats et de l’analyse, nous allons présenter ce que dit le dictionnaire Le Robert sur l’étymologie de chacun de neuf noms et ses remarques sur leurs formes féminines.

2.3 Que dit Le Robert sur l’étymologie et la forme féminine des neufs noms de métiers ?

Le dictionnaire Le Grand Robert de la langue française (de 2017) donne l’étymologie des noms et des remarques sur leurs formes féminines :

Tableau 2 Etymologie des noms de métiers étudies

Nom Le

féminin

2017 Dictionnaires Le Robert – Le Grand Robert de la langue française

Remarque

Agent Agente ÉTYM. Fin XVIII

e

, in D. D. L. ; de agent.

Littér. ou vx. Femme qui est l'agent ( 1.) de (qqn, un

groupe). Je découvris que, dans cette intrigue, elle était la principale agente (Académie). « Les complices, l es agentes de la

déchéance » (Huysmans, in T. L. F.).

Dans tous les contextes professionnels, on

employait agent en parlant des femmes. Mais agente s'est employé pendant la Révolution (Camille Desmoulins, Babeuf) pour désigner les « agents de l'étranger » lorsqu'il

s'agissait de femmes (→ Agente).

La féminisation des

noms de métiers et fonctions fait d'agente la forme normale au féminin

(ex. : une agente immobilière, une agente technique). Son emploi est plus courant en Suisse et au Canada qu'en France.

Ambassa deur

Ambassa drice

ÉTYM. 1694 ; embasciatrice, fin XV I

e

, de l'ital. embasciatrice, fém.

de ambasciatore. → Ambassadeur.

Le mot est en concurrence avec ambassadeur (2.).

Auteur Autrice, Auteure

ÉTYM. V. 1160, auctur « écrivain » ; 1174, autor « celui qui est

à l'origine (de qqch.) » ; du lat. auctor « celui qui accroît, qui fonde », de augere « accroître, augmenter ».

Le féminin autrice, le seul morphologiquement correct, est didactique (→ ci-

dessous cit. 41.5). Auteure, courant au Québec, est de plus en plus employé en France. La

forme auteuresse n'est employée que par

plaisanterie. ➙ aussi autoresse. Au

teuse est un barbarisme.

(14)

Chef La/une chef, Cheffe, Cheffesse

ÉTYM. Fin IX

e

, chieef ; du

lat. caput « tête ». L'emploi de chef au féminin est devenu courant : la chef de l'État, une chef d'orchestre. Toutefois, le mot est encore parfois employé au masculin pour parler d'une femme : Elle est le chef de l'équipe. En Suisse, la forme cheffe est courante. Le féminin

morphologique cheffesse* est rare.

Écrivain Écrivaine ÉTYM. Av.

1150, escrivein, au sens 1 ; du lat.

pop. scribane(m), accusatif de scriba

« greffier », de scribere « écrire ».

Par appos. (pour suppléer l'absence de forme

féminine). Une femme écrivain.

Au féminin, on dit écrivain (George Sand, Emily Brontë sont de grands écrivains), mais le féminin écrivaine (1885, in D. D. L .) est revendiqué par certaines (Colette, ironiquement, Benoîte Groult).

On trouve aussi, mais rarement : une

écrivain (Barrès, in T. L. F.).

Ingénieur Ingénieur e

ÉTYM. 1556 ; anc.

franç. engeigneur, de engin « machin e de guerre » ; empr., selon Brunot, à l'ital. ingegnere.

Le féminin ingénieure n'est pas entré dans l'usage. On dit : elle est ingénieur.

Madame X, ingénieur chimiste mai s on évitera l'emploi au

féminin : une ingénieur, l'ingénieur est compétente. La forme ingénieure (cf. Prieur, prieure) est virtuelle.

Médecin Médecin ÉTYM. XIV

e

; medechin, v. 1320 ;

de médecine. Par

appos. Femme médecin. ➙ Docte ur, doctoresse.

Policier Policière ÉTYM. 1611; de police. Féminin singulier: policière Professe

ur

Professeu re

ÉTYM. 1337 ; en parlant d'une femme, 1846 ;

lat. professor, de profiteri « enseigner en public ».

Au féminin, on écrit

aussi professeure sur le modèle du français du Canada. D'autres fo rmes ont été tentées sans

succès : une professeuse,

une professoresse (Bloy, la Femme pauvre, p. 99).

Professeur, dans l'usage français, ne s'emploie que rarement devant le nom propre et

seulement au sens 2. Cet emploi (normal en anglais, allemand, italien, etc.) n'est reçu qu'en parlant des professeurs de l'Académie de médecine. M. le Professeur, le professeur X (→ Monsieur, cit.

4.2 et supra).

(15)

Les remarques sur les neuf noms de métiers mettent en évidence que certains noms comme ambassadeur, auteur, chef, écrivain et professeur ont progressé plus loin et démontrent une plus grande variation dans leur féminisation, comparée aux noms agent, ingénieur, médecin et policier, comme nous allons le voir dans la partie résultats et analyse.

Tout d’abord, nous allons montrer le processus de féminisation pour les neuf noms au cours de trois périodes, puis nous allonsessayer de voir quels facteurs linguistiques influencent la féminisation d’un nom de métier. Nous allons appliquer la méthode d’Itsuko Fujimura et examiner les résultats sous le prisme du facteur sémantique (relatif au sens du mot), du facteur lexical (ce qui décrit la connaissance mentale que nous avons d’un mot d’après sa forme concrète), et aussi voir l’aspect sociolinguistique dans la mesure où Itsuko Fujimura souligne que « le domaine [social] auquel les noms de métiers appartiennent est également un facteur important » (Fujimura, op. cit., : 20). Finalement, nous allons voir quels noms se féminisent avec peu d’obstacles et pour quels noms il y a un plus grand défi et essayer de comprendre pourquoi.

3. Résultats et Analyse

3.1. Résultats

Dans les deux tableaux, Le Monde est indiqué LM et Le Devoir LD.

Tableau 3 Résultats des noms au féminin

Noms au

féminin

LM 2001

LD 2001

LM 2010

LD 2010

LM 2019

LD 2019

LM Total

LD Total

une agent 0 0 0 1 0 12 0 13

agente 3 42 1 31 3 46 7 123

l’/une

ambassadeure

0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 0 0

ambassadeure 0 0 0 0 0 0 0 0

l’/une ambassadrice

0/0 8/1 0/0 13/1 1/0 14/3 1 40

ambassadrice 15 21 9 24 19 44 43 89

une auteur 2 0 1 0 0 1 3 1

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Le tableau ci-dessous montre les noms au masculin pour avoir une idée du nombre d’occurrences et pour les comparer avec les noms au féminin. Il faut souligner que malheureusement nous ne savons pas dans ces occurrences si le référent est masculin ou non.

Tableau 4 Résultats des noms au masculin

auteure 2 198 36 300 90 300 128 798

autrice 1 0 0 0 9 66 10 66

la/une chef 8/0 34/0 23/0 300/10 33/2 139/4 66 487

cheffe 0 3 0 2 13 153 13 158

une écrivain 2 0 0 0 0 0 2 0

écrivaine 2 89 8 97 132 188 142 374

une ingénieur 0 0 0 0 0 2 0 2

ingénieure 0 6 4 9 6 21 10 36

la/une médecin

0/0 0/1 0/0 4/1 1/2 14/8 3 28

la/une femme médecin

0/0 0/2 0/0 1/1 0/1 0/2 1 5

la/une policier 0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 0 0

la/une policière

1/3 5/6 4/8 6/6 0/2 2/4 18 47

la/une femme policier

0/1 0/0 0/0 0/0 0/0 0/0 1 0

la/une professeur

0/3 1/0 0/0 0/0 1/0 0/0 4 1

la/une professeure

2/2 14/5 1/4 71/7 21/3 158/11 33 266

la/une femme professeur

0/0 0/1 0/0 0/0 0/0 0/0 0 1

professeure 13 103 13 250 57 300 83 653

professeuse 0 0 0 0 1 0 1 0

Total 60 540 172 1 135 398 1 492 533 3 521

Noms aux masculin

LM 2001

LD 2001

LM 2010

LD 2010

LM 2019

LD 2019

LM Total

LD Total

agent 172 721 63 651 50 698 285 2 070

ambassadeur 163 304 95 275 77 297 335 876

auteur 958 2 356 510 2 254 378 2 128 1 846 8 584

(17)

3.2. Progrès de la féminisation

Le tableau 3 des résultats ci-dessus présente la tendance à la féminisation pour chacun des noms au cours de trois périodes et le rythme varié de leur évolution.

Dans les cas de médecin, policier et professeur, nous avons inclus « femme » devant une des variantes. Dans Le Devoir, le nom auteure prend la tête comme la variante féminine qui a subi le plus grand changement, suivie de professeure, la chef et écrivaine. Dans Le Monde, le nom écrivaine a augmenté le plus, suivi d’auteure, professeure et la chef. Les noms autrice et cheffe sont devenus populaires dans les deux journaux en 2019 mais ne l’étaient guère avant. Parmi les neuf noms de métiers, ambassadrice, auteure, la chef, cheffe et écrivaine frappent par l’augmentation de leurs occurrences. À l’autre bout de l’échelle, les occurrences d’ambassadeure, ingénieure, femme médecin, femme policier, et femme professeur montrent un changement moins imposant au cours des trois périodes. Itsuko Fujimura conclut, dans son étude de 2005, que la fréquence d’auteur, écrivain, médecin et professeur au féminin est rare (Idem : 19). Dans notre tableau des résultats, ces noms à l’exception de médecin, figurent parmi les plus fréquemment féminisés. Malgré leurs différents niveaux de progression les deux journaux suivent des courbes similaires.

Passons maintenant à l’analyse et essayons de trouver les explications pour le progrès parfois lent de la féminisation sous le prisme des facteurs sémantiques, lexicaux et sociolinguistiques.

3.3. Analyse

Itsuko Fujimura cherche à expliquer le retard de la féminisation en analysant plusieurs facteurs linguistiques.

chef 2 160 4 261 1 218 4 692 1 105 4 947 4 483 13 900

écrivain 271 935 109 718 192 700 572 2 353

ingénieur 92 250 36 345 30 262 158 857

médecin 175 1 026 98 1 003 80 881 353 2 910

policier 254 1 011 140 878 82 933 476 2 882

professeur 495 1 387 224 1 449 251 1 660 970 4 496

Total 9 236 11 981 2 493 12 265 2 245 12 506 9 478 38 928

(18)

3.3.1 Facteur sémantique

L’idée que le genre grammatical du nom de métier doit s’accorder avec le sexe du référent s’il désigne un individu spécifique, mais qu’il faut employer le masculin générique si le nom indique le métier exercé par cet individu a été présentée en 1984 par les auteurs du guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions « Femme, j’écris ton nom… », selon Itsuko Fujimura, (Ibid : 11). Elle suppose que « cette contrainte sémantique devrait jouer un certain rôle dans le développement de la féminisation », (Ibid : 12). Elle remarque, toutefois, que le féminin désignant une fonction n’était pas inexistant. Nous trouvons d’ailleurs un exemple parmi nos résultats : « Comment appliquer tel modèle mathématique à une analyse de marché ? C'est sans doute un vieux réflexe de ma formation d'ingénieure

», écrivait-elle en 2001. » (Le Devoir, site internet). Bien que nos résultats ne montrent pas la distinction sémantique, on peut tout de même supposer qu’avec le temps qui a passé, l’usage du féminin pour désigner aussi une fonction s’est graduellement propagé.

Cependant, la réticence d’employer le genre féminin si le nom indique une fonction et non pas un individu peut s’expliquer dans l’importance symbolique qu’on a attribué au masculin générique d’avoir des pouvoirs non attribuables au genre féminin pour protéger l’estime d’une fonction et lui accorder des valeurs de neutralité. « C’est ce que pensent les conservateurs [… du] masculin « genre noble » ou « cas non marqué » (Cerquiglini, op. cit., : 61).

Ce problème de dévalorisation de la forme féminine par apposition au masculin apparaît avec le mot agent, qui ne connaissait pas de féminin jusqu’à ces dernières années, « si la forme agente commence à s’implanter dans l’usage (en particulier dans la fonction publique), son emploi rencontre parfois une résistance de la part des femmes auxquelles il pourrait s’appliquer. » (Académie française, site internet).

Nous supposons qu’un nom de métier comme médecin reste un nom ou la distinction sémantique entre individu spécifique et fonction est moins pertinente que la signification de la fonction elle-même.

Le facteur lexical, est aussi un facteur intéressant dans notre analyse.

(19)

3.3.2. Facteur lexical

Selon Itsuko Fujimura, « [o]n attribue souvent les variations de rythme de la féminisation aux difficultés morphologiques ou homonymiques rencontrées » (Idem :10). Elle constate que « la facilité de féminisation dépend notamment des noms » (Fujimura, op. cit., : 17). Il est facile de féminiser certains mots « d’après la forme du mot elle-même » (Idem : 17). Dans son étude Itsuko Fujimura trouve qu’auteur, écrivain, médecin, et professeur sont parmi les noms de métiers qui se féminisent très peu. Paradoxalement, nos résultats mettent en évidence qu’à l’exception de médecin ces noms sont parmi les plus féminisés. Une explication peut être l’acceptation de plus en plus généralisée du commode suffixe « -eure » comme une terminaison valide, selon Cerquiglini, il s’agit de la reprise d’une « aisance médiévale » (Cerquiglini, op. cit. : 97). La forme professeure est la variante avec les plus d’occurrences parmi les différentes formes féminines du nom dans nos résultats. Cela dit, professeur continue à se féminiser de différentes manières, y compris « professeur » précédé du déterminant, « la ou une ». Aussi tard qu’en 2019, Le Monde publie un article : « La professeur de SVT Virginie Marquet propose une sélection de sites pour se préparer à l’épreuve écrite du bac S. » (Le Monde, site internet).

En 2019, Le Monde publie un article sur la possibilité de réintroduire des formes féminines hors d’usage pour atteindre un plus grand équilibre entre les genres dans la langue. « Les noms “autrice”, “officière”, “professeuse”… existent depuis des siècles. Ils avaient juste été condamnés par des idéologues masculinistes », (Le Monde, site internet). À noter, que l’unique occurrence de professeuse dans nos résultats montre que cette forme est bien moins favorisée que la forme moins féminine du point de vue sonore professeure pour donner visibilité á la femme, la terminaison « euse » semblant avoir pour beaucoup de locuteurs un caractère péjoratif.

La connaissance d’un nom, les suffixes inclus, joue un grand rôle dans l’acceptation

de voir ce nom dans une nouvelle forme, comme le dit l’académicien ci-dessous.

(20)

Le débat sur quelle forme féminine donner à plusieurs mots continuera sans doute longtemps, avant que l’oreille décide. Et l’oreille doit se laisser éduquer.

J’avoue ne pas aimer des mots comme professeure et écrivaine, que je suis tenté de dire laids. Mais pourquoi ? Je ne répugne pas à dire demeure, heure ou,

parmi les mots ayant une forme

masculine, antérieure, extérieure, supérieure, majeure, j’en passe et des meilleures. Semaine ne m’offusque pas, ni domaine, ni hautaine, urbaine, républicaine, prochaine, ni une cinquantaine d’autres. Ne serait-ce pas une simple question de familiarité ? L’oreille ne reconnaît pas professeure et écrivaine, qui semblent par conséquent étrangers au français. Elle entend vaine à la fin d’écrivaine, alors que vain reste, si je puis dire, silencieux à la fin d’écrivain – parce que le mot nous est connu.Je me dis que si ces formes féminines s’imposent, on s’habituera à les utiliser et on se demandera pourquoi, en 2019, elles paraissaient choquantes.

(Michael Edwards, Académie française, site internet)

Nous pouvons supposer que la féminisation est conditionnée par la perception de la forme que prend le mot. Itsuko Fujimura voit pourtant dans son étude une tendance pour certains noms comme chercheur/euse, qui n’ont pas de difficultés structurelles dans leur processus de féminisation, à se féminiser moins, alors que des noms comme conseiller/ère, directeur/trice et avocat/e se féminisent davantage. Nos résultats montrent qu’auteur, écrivain, professeur, et chef se féminisent le plus, et agent, ingénieur, médecin et policier se féminisent moins. Afin de chercher l’explication à cette tendance variée, nous allons voir quel rôle joue le facteur sociolinguistique.

3.3.3. Facteur sociolinguistique

Pour essayer de comprendre le processus de féminisation des noms de métiers, il faut l’analyser aussi en dehors du monde strictement linguistique. Itsuko Fujimura écrit qu’on « fait souvent remarquer, implicitement ou explicitement, que la féminisation est conditionnée par les types de métiers plutôt que par les types de noms » (Fujimura, op. cit., : 20). Des facteurs importants sont le statut de la profession et aussi son domaine social. Elle prend l’exemple du nom secrétaire pour illustrer « la différence de genre [comme étant] en corrélation avec la hiérarchie sociale, qui pouvait être rapportée à la distinction entre les hommes et les femmes » (Idem : 20). Le statut social d’un métier renvoie au domaine auquel il appartient.

Pourquoi un nom comme chercheur, qui n’a pas des difficultés structurelles, se

féminise moins par rapport aux noms comme conseiller, directeur et avocat se

demande Itsuko Fujimura. Selon elle, l’explication se trouve dans « une attitude

(21)

conservatrice » (Ibid : 23). Le domaine de la recherche et les domaines littéraires et universitaires sont paradoxalement plus conservateurs que les domaines de l’administration, des affaires et de la justice où on est plus pragmatique et ouvert au monde réel. Dans son livre, Bernard Cerquiglini cite Brunot et Charles Bruneau remarquant dans leur livre Précis de grammaire historique de la langue française :

« Nous disons mon concierge, ma concierge ; nous ne pouvons guère dire mon professeur, ma professeur. Les femmes docteurs en sont réduites à graver sur leur carte « Le docteur Marthe Dubois », ce qui est clair, mais toutefois assez étrange. » (Cerquiglini, op. cit., : 48). Cela témoigne d’obstacles qui existent à féminiser des professions prestigieuses même parmi certains grammairiens qui sont pourtant plus en phase avec le besoin de féminiser la langue. Plus tard dans son livre, Cerquiglini réfère à « [a]uteur, docteur, ingénieur, procureur, professeur, proviseur. Un groupe de dénominations professionnelles usant du suffixe -eur [qui] frappe moins par son nombre que par sa « qualité » : il désigne des professions qui furent conquises ou (reconquises) par les femmes ; les féminiser est donc d’une grande importance symbolique » (Idem : 94). Parmi ces noms, nous avons trouvé dans nos résultats qu’auteur et professeur se féminisent plus aisément, mais ingénieur moins, tout comme médecin.

La distinction sémantique d’un nom, qui est implicite dans le choix de genre grammatical, ainsi que les connaissances qu’on a d’un nom qui sont associées à sa forme, tout comme des facteurs tels que le type de métier et son domaine social jouent tous un rôle important dans la féminisation des noms de métier. Dans son étude de 2005, Itsuko Fujimura se montre prudente envers ces phénomènes linguistiques qu’elle interprète comme « un certain conservatisme linguistique [qui]

aurait tendance à freiner la féminisation des mots comme professeur, écrivain,

auteur, chercheur, directeur de recherche, secrétaire perpétuel de l’Académie. Nos

résultats montrent, néanmoins, que l’usage de certains de ces noms ont changé avec

le temps et grâce à la volonté des locuteurs de les utiliser. Nous allons maintenant

passer à la discussion.

(22)

4. Discussion / Conclusion

L’ouverture à la féminisation se reflète dans les occurrences atteintes par les neuf noms de métier dans Le Devoir au Québec. Avec le soutien d’une politique linguistique venue d’en haut, l’Office québécois de la langue française traite le sujet de la féminisation des noms en grand détail, avec des explications et des conseils sur la manière de former des noms féminins en tenant compte des considérations relatives au caractère de la langue pour qu’« une nouvelle habitude s’installe petit à petit » (Office québécois, site internet). Pourtant, l’Office québécois reçoit une certaine critique de la part de la linguiste-chercheure Céline Labrosse qui maintient que « son virage inattendu et tous azimuts vers des appellations ostentatoires ne repose sur aucune étude » (Labrosse, 2019), et que l’Office a perdu sa crédibilité en poursuivant aussi bien « le choix de visibilité absolue » (Idem) avec les suffixes « - (t)rice » et « -euse » que celle moins visible d’« -eure » où le nom tient à son appellation de base. Nous voyons une variété de choix pour la féminisation au Québec.

Malgré les occurrences plus prudentes dans Le Monde, elles témoignent quand même d’une volonté de féminiser aussi en France. Dans le dernier rapport de l’Académie française, on lit d’ailleurs :

En ce début de XXI e

siècle, tous les pays du monde, et en particulier la France et les autres pays entièrement ou en partie de langue française, connaissent une évolution rapide et générale de la place qu’occupent les femmes dans la société, de la carrière professionnelle qui s’ouvre à elles, des métiers et des fonctions auxquels elles accèdent sans que l’appellation correspondant à leur activité et à leur rôle réponde pleinement à cette situation nouvelle. Il en résulte une attente de la part d’un nombre croissant de femmes, qui souhaitent voir nommer au féminin la profession ou la charge qu’elles exercent, et qui aspirent à voir combler ce qu’elles ressentent comme une lacune de la langue.

(Académie française, site internet)

Nous pouvons noter que dans ce même rapport, l’Académie française réitère son

appel à la liberté de l’usage, mais continue à mettre en garde contre ce qu’elle dit

être « l’imposition de normes rigides en matière de féminisation [qui] méconnaît en

effet le souhait exprimé par certaines femmes de conserver les appellations

masculines pour désigner les professions qu’elles exercent » (Académie française

2019 : 12).

(23)

Dans son livre de 2018, Bernard Cerquiglini décrit la féminisation des noms ainsi :

« c’est prendre au sérieux ce jumelage humain du genre et du sexe, vouloir l’étendre et le systématiser », (Cerquiglini, op. cit. : 54). Voici son appel urgent dans l’épilogue de son livre, à l’Académie française pour qu’elle

rappelle que l’histoire du lexique des métiers et fonctions fut marquée d’un serrement social ; qu’elle prenne acte de la disparition du féminin conjugal, témoin d’une époque de minoration de la femme, qu’elle appelle à une féminisation de ce lexique : qu’elle encourage son emploi, se conformant à la distinction réaffirmée entre le spécifique particulier, désignant une personne et le générique signifiant une fonction (une académicienne occupera un jour les fonction de chancelier de l’Institut) ; qu’elle souligne par là même la richesse de l’expression linguistique (offrant plus de nuances, par exemple, qu’une abréviation à finalité inclusive) ; qu’elle se montre bienveillante envers les formes anciennes (écrivaines) ou néologiques (magistrate) formées dans les règles, qu’elle fasse preuve d’un peu d’audace en acceptant le commode suffixe francophone -eure. Au passage, qu’elle gratifie enfin le ministre d’une âme sœur.

(Cerquiglini, op, cit. : 194).

En dépit de l’évidence d’une volonté de progresser sur le chemin de la féminisation au Québec et aussi en France, nous supposons que le raisonnement sur les puristes fait par Bernard Cerquiglini et ce qu’Itsuko Fujimura appelle « le conservatisme linguistique propre au monde académique, qui joue d’ailleurs un rôle dans la conservation du système de genre lui-même en français (Fujimura op. cit. : résumés) indiquent une réticence envers le changement de la langue. Dans son livre, Non le masculin n’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire de la langue française, historienne et critique Eliane Viennot décrit l’approche peu favorable qui s’accélère au 17 ème siècle envers des noms de métiers comme « autrice », qui existaient au moyen âge et au début de la renaissance jusqu’à la disparition de ce nom. Ainsi l’adaptation au progrès a eu ses défis. Toutefois, l’étude d’Itsuko Fujimura et le livre de Bernard Cerquiglini montrent que l’usage de la langue change et ne cessera pas d’évoluer.

Pour conclure, une étude plus large et nuancée, avec un corpus de journaux plus

varié et une plus grande palette de différents types de professions et domaines

(24)

sociaux, donnerait une visibilité plus importante au processus de féminisation des

professions. Si on pouvait aussi inclure d’autres pays francophones pour avoir une

idée plus complète du processus pour la langue française dans d’autres coins de la

francophonie, cela améliorait également la qualité de l’étude. Nos recherches

antérieures indiquent que le champ que nous pouvons étudier et dont nous pouvons

extraire des données pour déterminer les obstacles à la féminisation des noms de

métiers est vaste. Des nouvelles publications sur le sujet du féminin et du masculin

et le langage égalitaire d’Éliane Viennot parmi d’autres linguistes, nous indiquent

que la discussion continue.

(25)

BIBLIOGRAPHIE

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References

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