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L'adverbe dérivé modifieur de l'adjectif: Étude comparée du français et du suédois

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L’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif

Étude comparée du français et du suédois

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Acta Wexionensia

Nr 153/2008 Humaniora

L’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif

Étude comparée du français et du suédois



Maria Fohlin

Växjö University Press

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Abstract

Fohlin, Maria. (2008). L’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif. Étude comparée du français et du suédois. Acta Wexionensia No 153/2008. ISSN: 1404-4307, ISBN: 978-91-7636-626-4. Written in French.

The present study addresses, in a comparative Swedish-French perspective, the derived adverb and its modification by a following adjective. From a translational point of view, the structure derived adverb + adjective is interesting, since its translation into French is reputed to generate problems. In this study, a linguistic approach is adopted to these trans- lation problems.

For the investigation, a corpus of 510 Swedish tokens representing the structure de- rived adverb + adjective, and their respective translations into French, was compiled. The tokens originate from 22 contemporary Swedish novels. The number of translators repre- sented in the corpus amount to 14. The tokens were classified into two major groups: in- tensifying adverb + adjective and qualitative adverb + adjective. The former group was further divided into subcategories according to the semantic nature of the adjective from which the adverb is derived.

The main objectives of the study are (1) to investigate the solutions adopted by the translators when rendering the construction derived adverb + adjective in French, (2) to analyse the factors í those inherent to the language and those situated on the contextual level í involved in the cases where the original structure is not maintained in the French translations, (3) to show that the solutions adopted by the translators differ according to which semantic category the adverb belongs to í the intensifying group or the qualitative group.

Furthermore, the difficulties of making a clear division between intensifying adverbs and qualitative adverbs placed before the adjective are discussed at some length.

The results show that when the adverbial element is intensifying, the same structure is more often maintained in the French translations than in those cases where the adjective is modified by a qualitative adverb. The study also demonstrates the great variety of factors involved in the cases where the structure derived adverb + adjective is not maintained in the French translations. These cases may be due to the fact that the equivalent of the Swedish phrase in question would form a non-established unit in French, to the lack of an equivalent adverb in French, to the tendency of the French language to favour nominal constructions, or to individual preferences of the translator.

Keywords: -ment, adverbial modification, derived adverb, qualitative adverb, intensifying adverb, adverb of degree, translation studies, comparative study, Swedish adverb, modi- fied adjective.

L’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif. Étude comparée du français et du suédois. Akademisk avhandling för filosofie doktorsexamen vid Institutio- nen för humaniora vid Växjö universitet 2008.

Skriftserieredaktör: Kerstin Brodén ISSN: 1404-4307

ISBN: 978-91-7636-626-4

Tryck: Intellecta Docusys, Göteborg 2008

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À ma famille

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Cette thèse a été réalisée dans le cadre de l’École doctorale de langues romanes (Nationella Forskarskolan i Romanska språk, FoRom).

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Avant-propos

Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à ceux qui ont rendu possible la réalisation de cette thèse.

En premier lieu, je suis infiniment reconnaissante à mon directeur de thèse Olof Eriksson, pour sa disponibilité, ses lectures minutieusement attentives et ses commentaires perspicaces, ainsi qu’à ma co-directrice Eva Larsson Ringqvist, pour ses remarques toujours pertinentes et très constructives.

J’adresse aussi un grand merci aux participants du séminaire linguistique (Språkvetenskapliga seminariet) à l’université de Växjö, notamment à Hans Lindquist et à Carita Paradis, pour l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail. Hans a aussi révisé mon résumé en anglais. Merci !

Mes remerciements vont également au professeur Mats Forsgren, qui a été rap- porteur au moment du séminaire de mon mémoire de phil.lic., et dont les com- mentaires constructifs m’ont aidé à améliorer mon travail.

Merci à Jérôme-Frédéric Josserand pour avoir soigneusement révisé l’intégralité de ma thèse. Bien évidemment, les erreurs pouvant rester dans le texte sont les miennes.

Je suis aussi très reconnaissante à mes collègues au département des sciences humaines (Institutionen för humaniora), toujours prêts à m’aider au cas de be- soin. Un remerciement particulièrement grand à mes collègues du département du français, non seulement pour leur support pendant mes années de doctorat, mais aussi pour m’avoir servi de grande inspiration en tant que professeurs quand j’étais étudiante en français. Merci également aux doctorants et aux ex- doctorants du département. Dans leur compagnie j’ai bu des milliers (?) de tasses de café pendant ces années. Des remerciements chaleureux à Cecilia Axelsson et à Anna Stark : j’ai beaucoup apprécié votre soutien et nos discussions sur tous les sujets possibles. Mes plus grandes amitiés vont aussi à Maria Rosenberg, qui a été ma collocataire de bureau pendant ma première année de thèse.

Pendant mon parcours de doctorat, j’ai eu le grand privilège de passer quelques séjours en France. J’exprime ma profonde gratitude au professeur Michel Bal- lard, qui m’a accueillie pendant quelques mois à l’automne 2003 à l’université d’Artois à Arras, et dont les séminaries en traductologie m’ont ouvert les yeux à plusieurs aspects liés à la théorie de la traduction.

Grâce à une bourse de la part de la fondation STINT, j’ai passé six mois à Tou- louse et à l’université de Toulouse-Le Mirail au printemps 2006. Un merci col- lectif à l’ERSS (l’Équipe de Recherche en Syntaxe et Sémantique) pour leur bon accueil. Ma vive gratitude va au professeur Christian Molinier pour son intérêt à l’égard de mon travail, pour ses lectures de mes textes et ses commentaires profi- tables. Nos discussions m’ont aidée à continuer mon projet de thèse dans une

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bonne direction. Avec beaucoup de chaleur, je tiens à remercier Mai Ho-Dac, Marion Laignelet, Sylwia Ozdowska, Christine Pernet et Franck Sajous pour m’avoir aidée, dès le début, à m’acclimater dans le milieu universitaire en m’aidant avec diverses besognes pratiques. Ils ont aussi réussi à me faire penser à autres choses qu’aux adverbes ; les soirées barbecues, les sorties culturelles, les visites au restaurant, les randonnées dans les Pyrenées et les piques-niques au bord de la Garonne m’ont donné beaucoup de plaisir.

J’ai eu le privilège de revenir à l’université de Toulouse-Le Mirail pour un bref séjour à l’automne 2007, grâce à une bourse de la part de Helge Axelsson John- ssons stiftelse. À cette fondation, j’exprime également ma plus profonde grati- tude pour les autres contributions financières qu’on m’a accordées en 2005 et en 2008.

Ma grande reconnaissance va aussi à l’École doctorale de langues romanes (FoRom), dont l’appui financier a rendu possible la réalisation de cette thèse, et dont les séminaires organisés m’ont été très utiles. Merci à tous les participants de ces séminaires.

À mes ami(e)s – vous savez qui vous êtes – j’adresse un merci affectueux : merci pour votre soutien moral dans tous les domaines !

Enfin, du fond de mon cœur, je remercie mes parents Ingrid et Lennart et mes deux petites sœurs Helena et Johanna. Je leur dédie cette étude parce que leur soutien est pour moi d’une valeur inestimable, et parce qu’ils croient en moi de- puis toujours.

Växjö, septembre 2008 Maria Fohlin

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Table des matières

1.Introduction... 1

1.1 Préliminaires ... 1

1.2 Objet et objectifs de l’étude ... 3

1.3 Recherches antérieures... 4

1.3.1 Recherches antérieures sur l’approche linguistique des problèmes de traduction : discussion critique ... 4

1.3.2 Recherches antérieures sur l’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif : discussion critique ... 7

2. Méthode et matériaux... 12

2.1 Approche linguistique des problèmes de traduction ... 12

2.2 Délimitations de l’étude ... 13

2.2.1 Délimitations des groupes d’adverbes inclus dans l’étude... 13

2.2.2 Participe passé / présent – adjectif ... 21

2.3 Procédés d’analyse... 23

2.4 Matériaux ... 27

2.4.1 Le corpus suédois-français... 27

2.4.2 Les bases de données informatisées... 28

2.4.3 Les informateurs ... 30

3. Points de départ théoriques... 32

3.1 Traductologie ... 32

3.1.1 Les procédés techniques de traduction de Vinay et Darbelnet... 32

3.1.2 « Procédé », « stratégie » ou « technique » de traduction : discussion sur le choix terminologique... 34

3.1.3 Techniques de traduction dans la présente étude ... 36

3.1.4 L’unité de traduction... 40

3.1.5 Bilan... 42

3.2 L’adverbe ... 43

3.2.1 Degré et quantité... 43

3.2.2 Degré et intensité ... 46

3.2.3 Les adverbes intensifs : sous-catégorisation à partir d’études antérieures ... 47

3.2.4 Classification des adverbes intensifs : exemples illustratifs tirés de notre corpus... 52

3.2.5 Adverbe intensif-appréciatif – adverbe qualitatif : un continuum .. 53

3.2.5.1 Aspects pris en compte pour distinguer adverbe intensif-appréciatif et adverbe qualitatif ...59

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3.2.5.2 Adverbe intensif-appréciatif et adverbe qualitatif :

exemples tirés du corpus...67

3.2.6 Relations sémantiques entre l’adverbe qualitatif et l’adjectif modifié ... 76

3.2.7 La portée de l’adverbe ... 81

3.2.8 Bilan... 85

4. Analyse... 87

4.1 Adverbe intensif + adjectif... 87

4.1.1 Adverbe formé sur une base adjectivale à sens quantitatif + adjectif... 87

4.1.2 Adverbe de complétude + adjectif ... 102

4.1.3 Adverbe dont la base adjectivale indique qu’une entité est isolée d’un ensemble + adjectif ... 125

4.1.4 Riktigt / verkligt / ordentligt + adjectif... 134

4.1.5 Adverbe intensif-appréciatif + adjectif ... 146

4.1.6 Bilan : Adverbe intensif + adjectif... 168

4.2 Adverbe qualitatif + adjectif ... 170

4.2.1 Bilan : adverbe qualitatif + adjectif... 222

5. Conclusion ... 225

Références... 228

Appendice ... 237

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1.Introduction

1.1 Préliminaires

Que la structure faisant l’objet de la présente étude (adverbe dérivé + adjectif)1 puisse causer des problèmes de traduction en français est partiellement dû au fait que le seul suffixe adverbial productif en français (-ment) se heurte à des restric- tions morphologiques (voir p. ex. Lombard, 1930, p. 50 ; Nilsson-Ehle, 1941, pp.

21-24 ; Moignet, 1963 ; Bertrand, 1986). Ainsi, la majorité des participes passés (blessé, fâché, intéressé, etc.) et des participes présents (amusant, fatigant, inté- ressant, etc.) ne forment pas d’adverbe en -ment2 ; selon Molinier (1992, p. 67), seulement 20 % des adjectifs français sont susceptibles de créer des adverbes en -ment. En mettant en contraste le suffixe adverbial anglais (-ly) avec son corres- pondant français, on a constaté dans plusieurs études (p. ex. Bertrand, 1986 ; Vi- nay et Darbelnet, 1977 ; Chuquet et Paillard, 1989 ; Gezundhajt, 2000) que le premier est beaucoup plus productif3, fait qui peut s’illustrer par l’affirmation suivante, provenant de Vinay et Darbelnet (1977, p. 126). Cette citation évoque également la lourdeur du suffixe -ment :

Outre que les adverbes en "-ment" donnent vite une impression de lour- deur, le français n’en possède pas un jeu complet. Au contraire le suffixe

"-ly" peut se fixer à n’importe quel adjectif et même aux participes.

De plus, le français est une langue où le substantif a une place importante, aux dépens du verbe et de l’adverbe (à cet égard, voir Lombard, 1930 ; Malblanc, 1966 ; Vinay et Darbelnet, 1977 ; Eriksson, 1988 ; Hervey et Higgins, 1992 ; Bouquet, 2000). Ainsi, on peut substituer aux adverbes sincèrement, gentiment, rapidement des locutions adverbiales comme avec sincérité, avec gentillesse, –––––––––

1 Soulignons que nous emploierons le terme d’adverbe tout au long de l’étude, à la place de celui d’adverbial, qui est évidemment la fonction que remplissent tous les adverbes du corpus dans leur modification de l’adjectif. Ce choix terminologique peut être motivé par le fait que d’autres formes, que nous n’avons pas prises en considération dans notre étude, peuvent assumer la fonction d’adverbial en antéposition à l’adjectif, p. ex. le participe présent : förvånande mäk- tig (« étonnamment puissant »).

2 Il y a quelques exceptions : décidément, modérément, savamment, vaillamment, etc.

3 Comparant le suffixe -ment à son homologue en espagnol et en italien (-mente), Veland (1998) ar- rive à la conclusion que le français a un plus grand nombre d’adverbes dérivés et en fait un emploi plus massif. En revanche, pour ce qui est des adverbes les moins fréquents, le taux de fréquence est plus élevé dans l’espagnol aussi bien que dans l’italien (Veland, ibid., pp. 433-434).

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avec rapidité. Considérant ce que disent ces linguistes, qui ont fait valoir la diffé- rence entre l’adverbe dérivé anglais et celui du français, nous pouvons supposer qu’il y a une relation semblable entre l’adverbe en -ment et les adverbes dérivés suédois, essentiellement créés à l’aide du suffixe -t, mais aussi des suffixes -(lig)en et -vis4.

Il semble aussi qu’il y ait une tendance générale en français à éviter les adver- bes en -ment, tendance plus ou moins forte suivant les époques, sembe-t-il : Hul- tenberg (1903, p. 129) dit que la forme en -ment « offre la plus grande possibilité d’exprimer la nuance d’une qualité » ; selon lui, ce champ est « plus que jamais ouvert au goût individuel » (ibid.). Parmi les exemples qu’il cite, on trouve les suivants : « Tu l’as trouvée fièrement provinciale, ma femme, n’est-ce pas ? » (Feuillet, Le village) ; « Cette œuvre monumentale ne périra pas, non seulement parce qu’elle est puissamment originale [...] » (Claude Augé, 3e livre de gram.).

De même, Damourette et Pichon (1968, t. 2, p. 247) affirment, à propos des ad- verbes en -ment, qu’il s’agit d’une « formation pleinement vivante, et nous assis- tons tous les jours à sa mise en œuvre, qui donne des expressions aussi expressi- ves qu’élégantes ».

Dans les études plus récentes, sont citées des opinions divergentes sur l’emploi de ces adverbes : Ballard (1994, p. 100) parle d’une « phobie à l’égard des adverbes en -ment », alors qu’Amiot et Flaux (2005, p. 86) disent qu’une

« censure latente » pèse sur ces adverbes. D’un autre côté, Grevisse (1993, p.

1376) fait l’affirmation suivante : « Les adverbes en -ment étaient souvent consi- dérés comme lourds selon le goût classique. Les auteurs modernes ne partagent ordinairement pas ce sentiment. »

Dans la présente étude, nous nous limiterons aux problèmes de traduction qui se présentent dans les cas où un adverbe dérivé modifie un adjectif suivant.

Comme nous allons le voir plus loin, les exemples de notre corpus sont divisés en deux groupes : adverbes intensifs et adverbes qualitatifs5. Concernant les ad- verbes qui appartiennent au premier groupe, et qui indiquent le haut degré qu’atteint la qualité désignée par l’adjectif suivant, Ballard (1994, p. 188) a si- gnalé les problèmes de traduction qu’ils peuvent poser en français.

Les problèmes de traduction de l’adverbe qui modifie qualitativement l’adjectif suivant ont été signalés par Eriksson (2003). Pourtant, il semble qu’un adverbe dérivé en -ment ne soit pas incapable de modifier qualitativement un ad- jectif suivant, ce dont témoignent les remarques suivantes, faites par Nøjgaard :

« la langue moderne accuse une tendance remarquable à élargir le champ de la détermination ‘modale’ [c.-à-d. ‘manière’; notre remarque] aux racines adjectiva- les » (Nøjgaard, 1995, p. 25) ; « Un des tics du style littéraire moderne semble précisément être la facilité avec laquelle un adverbial de manière détermine un adjectif, quelle que soit la signification de celle-ci [sic] » (ibid., p. 31).

–––––––––

4 Notons que, dans Teleman et al. (1999, vol. 2, p. 632) les adverbes identiques aux adjectifs en -t (forme du neutre) sont rangés parmi les adjectifs.

5 Le terme employé dans la présente étude pour les adverbes traditionnellement nommés adverbes de manière.

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Bref, nous pouvons constater que les adverbes en -ment se heurtent à des contraintes d’emploi, sans qu’il y ait unanimité quant à la nature et à l’ampleur de ces restrictions.

1.2 Objet et objectifs de l’étude

La structure qui fait l’objet de cette étude, adverbe dérivé + adjectif, appararaît soit comme épithète dans un syntagme nominal (en utomordentligt suggestiv bild : « une image extrêmement suggestive »), soit comme attribut (benen var ofattbart smala : « ses jambes paraissaient incroyablement fluettes »). La classi- fication de nos exemples se fait à partir des syntagmes originaux suédois, où l’élément adverbial est dérivé soit d’un adjectif (fruktansvärt : « horriblement » ; outhärdligt : « insupportablement »), soit d’un participé passé (förtvivlat : « dés- espérément » ; förbannat : « foutrement »). Nos données seront divisées en deux groupes : adverbe intensif + adjectif et adverbe qualitatif + adjectif.

Les objectifs principaux de la présente étude sont les suivants :

– décrire les solutions (i.e. les techniques de traduction6) auxquelles ont eu re- cours un certain nombre de traducteurs pour rendre en français l’adverbe dérivé + adjectif ;

– montrer que les solutions adoptées par les traducteurs diffèrent suivant la classe sémantique à laquelle appartient l’adverbe suédois, à savoir à celle des in- tensifs ou à celle des qualitatifs ;

– analyser les facteurs, langagiers et contextuels, qui président à la traduction non directe7 de la séquence adverbe dérivé + adjectif.

À ces trois objectifs primaires s’en ajoutent deux autres, plus secondaires : rele- ver les cas où des composantes sémantiques ou stylistiques s’estompent dans la traduction et jeter un peu de lumière sur le lien étroit et sur les différences entre les adverbes intensifs-appréciatifs et les adverbes qualitatifs.

L’étude contribuera donc à la description de l’activité traduisante en tant que telle. Nous espérons aussi que, dans le cadre interne du suédois et du français, elle va éclaircir des phénomènes liés à la construction adverbe dérivé + adjectif.

Pour ce qui est du suédois, cette construction n’a pas fait l’objet, à notre connais- sance, d’étude approfondie intra-linguistique8.

–––––––––

6 Pour le choix du terme technique de traduction, voir la section 3.1.2.

7 Par « traduction non directe », nous entendons une traduction où n’est pas gardée la structure du syntagme original (i.e. adverbe dérivé + adjectif).

8 Par ailleurs, cela semble être le cas à un niveau plus général. Voir p. ex. Johansson (1993, p. 48), qui, dans une étude anglaise, constate que la séquence adverbe + adjectif constitue « an area which merits far more exploration ».

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1.3 Recherches antérieures

1.3.1 Recherches antérieures sur l’approche linguistique des problèmes de traduction : discussion critique

Il y a un assez grand nombre d’études qui, suivant la voie tracée par Vinay et Darbelnet, traitent les problèmes de traduction dans une perspective interlanga- gière. Malblanc publie La stylistique comparée du français et de l’allemand (1961), alors que des auteurs comme Guillemin-Flescher (1981), Ballard (1987), Newmark (1981, 1988) et Chuquet et Paillard (1989) abordent des problèmes de traduction anglais–français. Vu que la présente étude s’inscrit dans la même branche que celle de Vinay et Darbelnet, il est important de rendre compte de la critique à laquelle leur ouvrage, pourtant très renommée, a prêté le flanc (voir Delisle, 1988, p. 72-74 ; Larose, 1992, p. 15 ; Chesterman, 1997, p. 31 ; Fawcett, 1997, p. 37 ; Muñoz Martín, 2000, p. 131-132, Molina et Hurtado Albir, 2002, p.

507 ; Pergnier, 2004, p. 22-23). Avec cette critique présente à l’esprit, nous espé- rons pouvoir mieux orienter le mode d’approche de notre étude.

Tout d’abord, soulignons qu’il est en effet un peu trompeur de parler de l’étude de Vinay et Darbelnet comme d’une étude stylistique. Cela implique que ce sont des questions relatives au style, c’est-à-dire des solutions facultatives, qui sont abordées, ce qui n’est que partiellement le cas9. Pour les auteurs eux- mêmes, la notion de stylistique n’exclut cependant pas que l’on se prononce aus- si sur des servitudes ; à la suite de Bally, ils font la différence entre d’une part la stylistique interne et, d’autre part, la stylistique externe [i.e. la stylistique compa- rée], constatant que « si les options dominent dans la stylistique interne, qui étu- die surtout les faits d’expression, la stylistique externe traite à la fois de servitude et d’option » (Vinay et Darbelnet, 1977, p. 33).

Que le mode d’approche des auteurs pose problème peut s’illustrer par la cri- tique adressée à leur ouvrage dans les affirmations suivantes :

En tant qu’il [c.-à-d. Stylistique comparée du français et de l’anglais ; no- tre remarque] est présenté comme une méthode, on a eu beau jeu de faire valoir qu’il imprimait dans l’esprit des étudiants l’idée que la traduction pouvait se pratiquer par simple application de « recettes » consistant à substituer en toutes circonstances les mêmes segments linguistiques à leurs correspondants dans l’autre langue ; en somme, de concentrer l’attention sur les faits de langue au détriment des faits de discours. (Per- gnier, 2004, p. 23)

Ils [c.-à-d. Vinay et Darbelnet ; notre remarque] s’en tiennent surtout à des comparaisons de segments consignés de langue à langue, donc à des –––––––––

9 Cf. Delisle (1988, p. 89) : « Vinay and Darbelnet take stylistics and language as one and the same and show how to translate French into English, and vice versa, by focusing on the lexical and struc- tural differences between the two linguistic systems. »

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faits de servitude, ce qui nous amène à conclure qu’il aurait peut-être été plus juste d’intituler leur livre Grammaire comparée du français et de l’anglais. (Larose, 1992, p. 169)

En prenant en considération les propos que nous venons de citer, nous compre- nons les raisons pour lesquelles l’approche de Vinay et Darbelnet est nommée

« théorie linguistique de la traduction ». Pergnier (2004, p. 22) s’oppose cepen- dant à cette terminologie et constate que les auteurs de ce manuel « n’y préten- dent à aucun moment faire œuvre de linguistes au sens disciplinaire du terme ».

Quoiqu’il en soit, nous pouvons constater que les auteurs, dans leur présenta- tion, ne font pas la distinction entre solutions facultatives et solutions obligatoi- res. Ladmiral (1979, p. 206) s’exprime de la façon suivante sur le mode d’approche de Vinay et Darbelnet :

[…] il semble que soit méconnu ou du moins perdu de vue ce qui est à nos yeux le théorème fondamental de la traductologie, que nous appelle- rons la « quotidité traductive » […], à savoir la distinction entre actes de parole et faits de langue.

Le but de leur ouvrage n’est donc pas net : s’agit-il d’établir des équivalences en- tre l’anglais et le français au niveau de la langue ou bien de présenter des solu- tions facultatives ? Il faut souligner que les auteurs eux-mêmes sont totalement conscients de la distinction qu’il faut établir entre servitude et option (voir. p.

31). De plus, ils distinguent deux types de transpositions (« transposition obliga- toire » vs. « transposition facultative »). La distinction est illustrée à l’aide des exemples « dès son lever » et « after he comes back », où le premier doit être obligatoirement transposé en « as soon as he got up », tandis que le second peut se rendre par « après qu’il sera revenu » ou « après son retour ».

Or, à partir de la critique envers l’étude de la part des traductologues, nous pouvons conclure que cette conscience entre fait de langue et fait de parole n’imprègne pas tout le travail. Soulevons quelques exemples qui ont fait l’objet de cette critique : Fawcett (1997, p. 37) fait remarquer que parmi les transposi- tions du type adverbe > verbe, Vinay et Darbelnet rangent les deux exemples nearly > faillir et ne cesser de > steadily10 ; or, selon Fawcett, il y a une diffé- rence essentielle entre ces exemples, à savoir que l’adverbe anglais nearly doit nécessairement être traduit par faillir (fait de langue), alors que le verbe cesser peut être rendu soit par un adverbe, soit par un verbe, suivant le contexte (fait de parole). Un autre exemple qui illustre le fait que les analyses de Vinay et Darbel- net ne sont pas toujours satisfaisantes est celui relevé par Larose (1992, p. 16).

Cet auteur, en se référant à Pergnier (1980), fait remarquer que les auteurs pré- sentent la traduction française de la phrase « he swam across the river » – « il –––––––––

10 Ces transpositions sont tirées des phrases suivantes : « He was very nearly given in charge » (c’est nous qui soulignons l’adverbe) : « Il a bien failli se faire arrêter » (Vinay et Darbelnet, 1977, p.

97) ; « Depuis 1952, notre commerce avec l’étranger n’a cessé de s’améliorer » : « Since 1952 our foreign trade has improved steadily » (ibid.).

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traversa la rivière à la nage » comme la seule solution possible ; or, selon Per- gnier (1980, cit. Larose, p. 16), la traduction « Il traversa la rivière » est suffi- sante dans beaucoup de cas, alors que « il traversa la rivière à la nage » serait une surtraduction. Il semble donc que les auteurs ne réussissent qu’en partie à mener à bien leur objectif, exprimé ainsi :

Qu’on ne cherche pas cependant dans les pages qui vont suivre un livre de recettes qui, convenablement appliquées, doivent aboutir infailliblement à un chef-d’œuvre de traduction. [...] certaines traductions relèvent plus de la création artistique que des méthodes strictes proposées par les linguis- tes (Vinay et Darbelnet, 1977, p. 21).

Que la taxinomie établie par Vinay et Darbelnet ait causée une certaine confu- sion11 a naturellement incité d’autres auteurs à essayer d’éclairer le domaine.

Ainsi, Molina et Hurtado Albir (2002, p. 509) soulignent que, dans leur classifi- cation de diverses techniques de traduction, ne sont incluses que des solutions liées à la traduction des textes, et non pas celles ayant rapport à la comparaison des langues. À l’instar d’autres auteurs, ils reprochent à Vinay et Darbelnet de ne rendre compte que de différences au niveau du système langagier.

Pour notre part, nous pensons qu’il serait difficile d’élaborer une taxinomie contenant seulement des solutions liées à la traduction des textes. En effet, il s’agit souvent d’un continuum, où même une solution facultative illustre simul- tanément un fait de langue. Eriksson (2004, p. 93) souligne cette difficulté :

« […] il y a une zone floue où il est difficile, sinon impossible, de dire si un changement de construction survenu en traduction est attribuable à l’action du traducteur ou à une différence réelle entre les deux langues. »

Dans la présente étude, nous tenons à souligner, plus clairement que ne l’ont fait Vinay et Darbelnet, que les techniques de traduction de notre corpus reflètent aussi bien des tendances générales du suédois et du français concernant la modi- fication adverbiale de l’adjectif, que des solutions liées à la traduction des textes eux-mêmes. Cependant, comme cela a été constaté dans ce paragraphe, il est, dans beaucoup de cas, très difficile de faire une distinction nette entre faits de langue et faits de parole. Eu égard au fait que nous basons notre analyse sur le produit final de l’opération traduisante, c’est-à-dire le texte, ce travail est d’autant plus délicat. Pourtant, nous sommes d’avis qu’une telle discussion ajoute à l’analyse une dimension importante, négligée dans l’étude pionnière de la stylistique comparée, celle de Vinay et Darbelnet.

Par ailleurs, la même critique sur l’approche adoptée dans les études compa- rées de traduction apparaît aujourd’hui :

–––––––––

11 Il faut souligner que la confusion terminologique générale dans le domaine de la traductologie ne s’explique évidemment pas seulement par le manque de clarté sur certains points dans l’ouvrage de Vinay et Darbelnet, mais aussi par le fait que des traductologues ont établi depuis des taxinomies qui se distinguent les unes des autres, et où le sens d’un même terme diffère d’une liste à une autre.

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Ils [c.-à-d. « la plupart des écrits sur la traduction » ; notre remarque] veu- lent que les transformations des traducteurs soient toutes, ou presque, dues aux structures différentes des idiomes. Ils prennent un fait de traduc- tion pour un fait de langue. Ils exonèrent par là les traducteurs de toute responsabilité dans les écarts qu’on leur voit faire, mais ils en font de sin- guliers esclaves, continûment soumis à des règles linguistiques qui les dé- passent et auxquelles ils ne pourraient se soustraire. (Chevalier et Delport, 2006, p. 120)

1.3.2 Recherches antérieures sur l’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif : discussion critique

La construction que nous nous proposons d’étudier dans cette étude comparée du suédois et du français, n’a pas, jusqu’à présent, fait l’objet d’étude approfondie interlinguistique12. Nous allons, dans ce qui suit, rendre compte du peu d’études qui ont abordé la construction d’un point de vue comparatif suédois-français et anglais-français. À notre connaissance, il n’y a qu’une seule étude qui traite de cette construction d’un point de vue suédois-français, à savoir un article publié par Eriksson (2003). Dans cette étude, l’auteur constate que l’adverbe suédois a une plus grande faculté que l’adverbe en -ment de se subordonner à un adjectif (ett underligt stort hus), à un participe présent (en skarpt iakttagande blick), à un participe passé (ängsligt spända fingrar) ou à un autre adverbe (lyssna ovanligt uppmärksamt) (ibid., p. 36). La rigidité d’emploi que présente l’adverbe français dans ces constructions, amènent les traducteurs français à opter pour d’autres so- lutions, comme la coordination, la suppression et le chassé-croisé, solutions qui, selon Eriksson, mènent à une perte d’expressivité plus ou moins nette. L’auteur constate aussi que les moyens restreints dont fait preuve le français à l’égard de la modification adverbiale de l’adjectif s’explique par « des raisons lexicales, syntaxiques et, surtout, pragmatiques » (ibid., p. 40). Il ne développe cependant pas ces facteurs, mais se contente de citer des exemples qui corroborent son af- firmation quant à ces restrictions. Parmi les exemples que cite Eriksson, nous trouvons des cas où la solution adoptée par le traducteur s’explique, selon nous, par le fait qu’il manque d’adverbe dérivé équivalent en français : förföriskt grönt : « séduisant de verdure » (* séduisamment) ; ungdomligt blyga leende :

« jeune sourire timide » (* jeunement)13. Dans d’autres cas, où il y a un adverbe en -ment, l’absence de celui-ci dans la traduction française peut s’expliquer par le fait que le syntagme représente deux entités dont la combinaison n’est pas bien établie en français : manligt breda skuldror : « ses larges épaules masculines ») ( ? virilement larges)14.

–––––––––

12 Pour ce qui est des études traitant de la modification adverbiale de l’adjectif dans le cadre interne du suédois et du français, nous référons au cadre théorique.

13 Signalons qu’il y a un adverbe en -ment synonyme comme juvénilement ; celui-ci forme cependant un syntagme douteux comme ? juvénilement timide (ce syntagme ne génère aucune occurrence dans nos bases de données).

14 Une recherche sur ce syntagme dans nos bases de données ne génère aucune occurrence.

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Pour notre part, nous tenons à préciser, lors de l’analyse de nos exemples, les facteurs qui président aux solutions choisies par les traducteurs. Ainsi, nous al- lons essayer de voir aussi si un adverbe en -ment constituerait une solution appli- cable dans un cas donné. C’est un fait qui, selon nous, n’est pas assez clairement souligné dans les études où est traitée cette construction. Pour illustrer cela, ci- tons un exemple que donne Eriksson (2003, p. 45) : ett groteskt kort förhör – un interrogatoire presque ridicule de simplicité. L’auteur commente cet exemple en constatant que la traduction analytique transmet la relation de cause à effet du syntagme tiré du texte original. Selon nous, une traduction directe ne serait ce- pendant pas exclue (ridiculement simple), traduction où l’adverbe aurait l’aptitude d’exprimer un effet : « l’interrogatoire est ridicule à cause de sa sim- plicité ».15

Pour ce qui est de l’étude d’Eriksson, la majorité des exemples suédois cités dans cette étude sont tirés de romans, écrits par des auteurs qui « ont fait de cette construction tripartite un moyen stylistique très raffiné, par exemple Pär Lager- kvist, Sven Delblanc et Lars Gustafsson » (Eriksson, 2003, p. 36). Il y a donc un grand intérêt à étudier cette construction un peu plus en détail à partir d’un plus grand corpus, où sont représentés un plus grand nombre d’auteurs ainsi qu’un plus grand nombre de traducteurs.

Concernant le couple langagier anglais-français, la construction dont nous nous occupons n’est pas discutée de manière approfondie dans l’ouvrage pion- nier de Vinay et Darbelnet (1977). En citant différents types de transpositions, ils donnent l’exemple « The evening was oppressively warm : La soirée était d’une chaleur accablante » (p. 99)16, indiquant qu’il s’agit ici d’une transposition ad- verbe > adjectif, mais sans le commenter. Nous dirions que la transposition s’explique ici par une lacune lexicale en français d’adverbe équivalant à oppres- sively (* accablamment). Qui plus est, l’exemple contient la construction de + nom abstrait + adjectif, dont l’emploi est bien établi en français. Bref, la trans- position de cet exemple est déclenchée surtout par des facteurs inhérents au fran- çais. Or, comme nous allons le voir au cours de la présente étude, la transposition peut également être une solution facultative.

Dans l’étude de Chuquet et Paillard (1989), il y a quelques exemples de la construction adverbe dérivé + adjectif. Les auteurs montrent, à l’aide de ces exemples, qu’on emploie fréquemment la transposition double en français pour rendre la qualification d’un adjectif en anglais (ibid., p. 18) : « remarkably white (skin) : (teint) d’une blancheur frappante » ; « basically mistrustful : un fond de défiance » ; « critically ill : dans un état grave » 17. Que l’on ait recouru ici à la –––––––––

15 Voir Guimier (1996, pp. 27-29), qui parle de l’effet de sens de l’adverbe modifieur de l’adjectif.

16 Voir aussi Ballard (1995, p. 18) pour une discussion de cet exemple.

17 Voici les phrases intégrales des deux premiers syntagmes : « A clock somewhere below had begun to strike eleven when a young man of twenty-five or –six, tall and slender, with remarkably white skin and very dark hair and eyes, came into the room » (Hammett, The Tenth Clew, cit. Chuquet et Paillard, p. 274) : Quelque part en bas une pendule venait de sonner les premiers coups de onze heures lorqu’un jeune homme élancé qui pouvait avoir vingt-cinq ou vingt-six ans entra dans la pièce. Son teint était d’une blancheur frappante et il avait les yeux et les cheveux très foncés (c’est nous qui mettons les syntagmes en italiques) ; Des siècles de persécution leur ont légué un fond de

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transposition, s’explique, selon les auteurs, par le fait que le suffixe -ment est

« beaucoup moins productif en français » que -ly en anglais. Il n’y a rien à objec- ter à cette affirmation, mais pour ce qui est des exemples cités, ils ne vont pas, tous les trois, dans le sens de l’affirmation des auteurs. Pour illustrer que le re- cours à la transposition dans ces cas est dû au fait que l’adverbe en -ment est moins productif en français, il serait préférable de choisir des exemples conte- nant des adverbes en -ly qui manquent d’adverbes correspondants en français.

Concernant les exemples que citent les auteurs, il y aurait, pour les adverbes en -ly, des équivalents en -ment : remarquablement, fondamentalement, critique- ment (ou plutôt gravement dans le contexte donné : gravement malade). On peut constater qu’au moins dans deux des trois exemples cités, les adverbes en -ly se seraient bien rendus par ces adverbes en -ment : remarquablement blanc ; gra- vement malade. En revanche, pour ce qui est de l’exemple « basically mistrust- ful » : « un fond de défiance », l’emploi d’un adverbe en -ment est plus douteux (? fondamentalement défiant)18.

Quant à l’exemple « remarkably white (skin) : (teint) d’une blancheur frap- pante », l’affirmation des auteurs est certainement basée sur le fait que frappant manque d’adverbe en -ment ; de plus, la transposition illustre la construction ré- pandue de + nom + adjectif. Pour notre part, nous tenons à souligner, encore une fois, l’importance d’indiquer plus nettement les cas où il y a effectivement une possibilité d’employer un adverbe en -ment. Ainsi, dans l’exemple donné, le re- cours à l’adverbe remarquablement ne serait pas exclu. On ne saurait donc dire que la transposition est déclenchée par le manque d’un adverbe en -ment en fran- çais, mais plutôt par la fréquence de la construction de + nom abstrait + adjectif.

Les auteurs soulignent eux-mêmes, il est vrai, que les différents cas de transposi- tion présentés dans leur étude « sont à rattacher aux problèmes plus généraux » (ibid., p. 21), mais pour ce qui est de l’adverbe et de sa modification de l’adjectif, les facteurs ayant une influence sur la traduction ne sont, selon nous, pas exprimés assez explicitement.

Dans l’étude de Hervey et Higgins (1992, p. 205) est évoquée la prédilection du français pour la nominalisation, ainsi que la fréquence en français de la cons- truction de + nom + adjectif. Un exempe que relèvent les auteurs pour illustrer cela est le suivant : « Army life seemed appallingly insipid to me » : « La vie mi- litaire me semblait d’une fadeur désespérante ». Ils disent que rendre le syntagme adjectival par désespéramment fade serait une solution « grotesque », même si elle est grammaticalement possible. Nous souscrivons à cette analyse, mais n’y- aurait-t-il pas d’autres adverbes dérivés qui rendraient le sens de l’adverbe an- glais, par exemple horriblement (horriblement fade) ? En d’autres termes, il semble qu’il y ait une autre solution applicable, non évoquée par les auteurs.

défiance, ravivé par les progromes récents et l’holocauste hitlérien qui se profile » (Le Monde, cit.

Chuquet et Paillard, 1989, p. 354) : Centuries of persecution have left them basically mistrustful, revived by the recent pogroms and the looming holocaust in Nazi Germany » (Traduction du Guardian Weekly, cit. Chuquet et Paillard, 1989, p. 355). (C’est nous qui mettons les syntagmes en italiques.)

18 Nous n’en avons relevé aucune occurrence dans nos bases de données.

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Nous pensons que parmi les auteurs qui traitent l’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif d’un point de vue anglais – français, Ballard (1991, pp. 787-788 et pp.

423-425 ; 1994, pp. 187-189 ; 2004, pp. 175-179) est celui qui le fait de la ma- nière la plus pertinente. Il constate que l’adverbe de degré en -ly précédant l’adjectif pose problème en traduction, vu qu’il peut former avec l’adverbe « un ensemble inusité en français ». L’auteur présente deux solutions auxquelles les traducteurs peuvent avoir recours, ces solutions étant la transposition (« She is startlingly beautiful : Elle est d’une beauté saisissante » ; « He was repulsively ugly : Il était d’une laideur repoussante », « Il était repoussant de laideur » ) et la coordination de deux adjectifs : « A new fresh smell, however pungently disgus- ting […] : « Une autre odeur fraîchement éclose, si forte et si écœurante […] » (Ballard, 1994, pp. 187-189). L’auteur développe cette discussion dans une étude ultérieure (2004, pp. 175-179)19, où il cite l’exemple so awfully beautiful and mysterious20. Il dit que le traducteur qui rend ce syntagme par « si terriblement beau et mystérieux » applique « une politique délibérée de calque, au risque de choquer »21. Selon l’auteur, la solution adoptée par un autre traducteur du même exemple est « plus classique », celle-ci étant formulée de la manière suivante :

« cette beauté si terrible, et ce mystère ». Ballard ne précise cependant pas la rai- son pour laquelle la première traduction serait choquante. S’agit-il de raisons d’euphonie ou de la juxtaposition des deux adverbes si et terriblement ? Encore une fois il manque une discussion plus approfondie des facteurs en jeu.

Bref, nous pouvons constater qu’il n’existe pas d’étude approfondie qui traite, dans une perspective interlinguistique, l’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif.

Les quelques études qui abordent cette construction ne le font que superficielle- ment. Les auteurs citent des exemples qui corroborent l’affirmation selon la- quelle l’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif pose des problèmes de traduction en français. De plus, ces exemples sont peu nombreux, et les exemples cités ne sont pas toujours authentiques. Le mode d’approche adopté par ces auteurs est certainement dû au fait que leurs études traitent une grande diversité de phéno- mènes, à une exception près – l’article d’Eriksson (2003). Dans cette situation, il est bien naturel de montrer les grandes tendances, notamment les restrictions auxquelles se heurtent les adverbes en -ment. Pour ce qui est des solutions pré- sentées pour résoudre les problèmes de traduction que peut poser en français l’adverbe dérivé modifieur de l’adjectif, on met surtout l’accent sur la transposi- tion22 (cf. Vinay et Darbelnet (1977, p. 99 ; Chuquet et Paillard, 1989, p. 18 ; –––––––––

19 Dans cette étude, Ballard cite aussi des exemples où le sens de l’adverbe est un autre que celui qui consiste à indiquer le degré : « ruggedly handsome features : traits accentués et beaux » ; « langui- dly beautiful : alanguie et belle » ; « peacefully bitter silence : silence amer et paisible ».

20 Voici l’exemple que cite Ballard (2004, p. 175) dans son intégralité : « It’s the light that makes her look so awfully beautiful and mysterious…(Mansfield : 148// C’est la lumière qui le [un bateau]

fait paraître si terriblement beau et mystérieux…(Merle 1988 : 149)// C’est la lumière qui lui donne cette beauté si terrible, et ce mystère…(Delamain 1966 : 104) ».

21 Pour une définition de calque, voir la section 3.1.1.

22 Mentionnons au passage l’étude comparée du français, de l’anglais et de l’allemand de Pelz (1963), basée sur un petit corpus (3 textes originaux en allemand et 1 texte original en français et en an- glais, respectivement). L’auteur établit différents schémas de transpositions pour la traduction de l’adverbe de manière dans les trois langues. Pour rendre la séquence adverbe + adjectif, construc-

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Hervey et Higgins, 1992, p. 205)23. À ce propos, les études d’Eriksson (2003) et de Ballard (1994 ; 2004) sont plus nuancées, vu qu’y sont abordées aussi d’autres solutions possibles.

Dans les études dont nous avons rendu compte ici sont évoqués certains fac- teurs qui président aux problèmes de traduction que peuvent poser l’adverbe dé- rive modifieur de l’adjectif et plus généralement, l’adverbe dérivé : le fait que -ment est moins productif que -ly en anglais (Vinay et Darbelnet, 1977, p. 126 ; Chuquet et Paillard, 1989, p. 18), la rigidité structurale du français (Eriksson, 2003) ; les restrictions combinatoires de l’adverbe en -ment, antéposé à l’adjectif (Ballard, 1994) ; la prédilection du français pour le nom (Vinay et Darbelnet, 1977, pp. 102-104 ; Hervey et Higgins, 1992, pp. 203-215) et la lourdeur du suf- fixe -ment (Vinay et Darbelnet, 1977, p. 126). Or, ce qui manque est une vue d’ensemble qui montre que ces facteurs se cumulent et s’entrecroisent. Par l’analyse de nos données, nous espérons y contribuer en prenant en considération les facteurs cités ici, mais aussi en en ajoutant d’autres.

tion brièvement traitée (pp. 62-64 ; pp. 66-69), l’auteur présente deux solutions : la transposition type (adverbe + adjectif > nom + adjectif) et la coordination (adverbe + adjectif > adjectif + et + adjectif).

23 Cependant, soulignons que Vinay et Darbelnet (1977, p. 107) aussi bien que Hervey et Higgins (1992, p. 215) précisent qu’il y a des exemples qui constituent des exceptions à la prédilection pour le nom en français.

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2. Méthode et matériaux

2.1 Approche linguistique des problèmes de traduction

La présente étude, concentrée sur le produit final de l’opération traduisante, s’inscrit dans l’orientation qu’Ingo (1991, p. 13) dénomme « deskriptiv, språk- parsbunden översättningsvetenskap »24.

Notre approche se manifeste concrètement dans la manière dont nous présen- tons les solutions adoptées (dans la présente étude, nommées « techniques de traduction »). Ainsi, les techniques de traduction sont classifiées en sous- catégories, dont les étiquettes sont empruntées en partie à Vinay et Darbelnet (1977). De même, notre conception de l’unité de traduction (voir infra (3.1.4)) montre l’approche formelle de l’étude. Ainsi, contrairement à ce qui est le cas dans les théories interprétatives de traduction, notre unité de traduction a une étendue moins grande25.

La méthode que nous adoptons ici – une analyse basée sur des textes littérai- res, et partant, sur le produit final du processus de la traduction – se rapproche de celle adoptée dans les études contrastives. Or, nous tenons à souligner que l’objectif primaire de notre étude n’est pas de formuler des règles basées sur des différences ou des similitudes au niveau de la langue, comme c’est le cas en lin- guistique contrastive (pour la différence entre la traductologie et la linguistique contrastive, voir p. ex. Vehmas-Lehto (1987) ; Delisle (1988, pp. 42-53); Faw- cett (1997, p. 3-4) ; Nordström (1995, p. 174) ; Gallagher (2003, p. 57) ; Pergnier (2004, p. 17). Pour une telle analyse contrastive, il faudrait faire une étude bidi- rectionnelle. Notre préoccupation primaire est d’examiner les solutions auxquel- les ont eu recours les traducteurs pour rendre en français l’adverbe dérivé + ad- jectif. Cela veut dire que l’analyse des traductions est pour nous un objectif et non pas une méthode, comme c’est le cas en linguistique contrastive (cf. Eriks- son, 2002, p. 85).

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24 Ingo (1991, p. 13) reprend la définition suivante de Wilss : « the language-pair-bound descriptive science of translation, which, […], empirically examines the specific problems of translating from a given SL into a given TL » (Wilss, 1982 [1977], p. 79).

25 Que l’on attache plus d’importance au sens qu’à la forme dans l’approche interprétative peut s’illustrer par le fait qu’on n’y parle pas d’unité de traduction, mais d’unité de sens (voir Lederer, 1984, p. 39).

(23)

Par ailleurs, la motivation principale pour la perspective que nous avons choi- sie est qu’elle nous permet de faire une analyse fine des exemples, mettant en lumière le fait que plusieurs facteurs concourent à produire une traduction don- née. Dans les études contrastives, toute la gamme de facteurs n’est généralement pas prise en considération, vu le but de formuler des schémas bien précis.

Il n’en reste pas moins que, malgré les différences entre la traductologie et la linguistique contrastive, il n’y a pas de cloisons étanches entre les deux discipli- nes (cf. par exemple Chesterman, 1998b, p. 27 ; Eriksson, 2002, p. 87). Dans la présente étude, des caractéristiques inhérentes au français – en tant que système langagier – sont relevées dans l’analyse des facteurs qui président aux traduc- tions. Or, en soutenant qu’une traduction donnée relève de facteurs langagiers, nous nous appuyons sur les descriptions des grammaires et sur des études com- parées des deux langues, où sont traitées les propriétés du français en tant que système (voir 2.3). En d’autres termes, notre classification des techniques de tra- duction ne sert pas en elle-même à démontrer qu’il y a des différences entre les systèmes langagiers ; or, l’analyse des facteurs présidant à ces solutions fait ap- paraître des caractéristiques au niveau de la langue.

2.2 Délimitations de l’étude

2.2.1 Délimitations des groupes d’adverbes inclus dans l’étude

Le dénominateur commun des adverbes présentés dans cette étude, c’est qu’ils modifient indubitablement un constituant unique de la phrase, à savoir l’adjectif qui suit (ils sont « adverbes de constituant »). Cela veut dire que nous ne prenons pas en compte l’adverbe traditionnellement nommé « adverbe de phrase »26. C’est un fait bien connu que l’adverbe est susceptible de modifier non seulement un mot (verbe, adjectif, adverbe), mais aussi une phrase entière. Dans ce dernier cas, l’adverbe peut dénoter un jugement du locuteur sur le contenu proposition- nel ou une évaluation de la part du locuteur sur le degré de certitude du contenu (cf. par exemple Molinier et Lévrier, 2000, p. 90, p. 92). Quand un adverbe de phrase précède un adjectif, il « n’agit pas comme complément sémique de cet adjectif, c’est-à-dire comme complément modifiant le sens de cet adjectif » (Guimier, 1996, p. 12)27. Le problème, c’est que certaines formes adverbiales se trouvent à la frontière des adverbes de constituant et des adverbes de phrase, nous allons le voir.

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26 Pour ce qui est des problèmes à définir un adverbe de phrase, voir Gezundhajt (2000, pp. 93-99).

27 Soulignons que Guimier (1996, pp. 5-6) remplace l’opposition traditionnelle « adverbe de consti- tuant » / « adverbe de phrase » par « adverbe endophrastique » / « adverbe exophrastique », respecti- vement. Le rôle de ce dernier type est de représenter « des traces de l’intervention du locuteur, qui commente tout ou partie de son énoncé ou de l’acte qui le produit » (ibid., p. 6).

(24)

Dans notre étude sont inclus deux types d’adverbes de constituant, d’un côté les intensifs, qui expriment le degré élevé de ce que dénote l’adjectif suivant, d’un autre côté les adverbes qualitatifs, qui modifient qualitativement le sens de l’adjectif modifié. Nous excluons donc de l’étude l’adverbe qui indique le degré faible (lätt vemodig : « légèrement mélancolique ») ou moyen28 (tämligen likgil- tig : « passablement indifférent »):

Adverbe intensif + adjectif

Le groupe des intensifs est divisé en sous-groupes :

i) adverbes formés sur des adjectifs dont la base contient soit le trait de quantité : oerhört intressant (« énormément intéressant »), djupt tacksam (« profondément reconnaissant »), soit l’idée d’une limite supérieure atteinte ou dépassée : oän- dligt föraktfull (« infiniment méprisant ») ; ii) adverbes de complétude : fullstän- digt tom (« complètement vide »), totalt likgiltigt (« totalement indifférent ») ; iii) adverbes dont la base adjectivale indique qu’une entité est isolée d’un en- semble : ovanligt hög (« inhabituellement élevé »), särskilt trött (« particulière- ment fatigué ») ; iv) adverbes comme riktigt, verkligt, ordentligt : riktigt tydligt (« vraiment net ») ; verkligt svåra förkylningar (« une grippe vraiment sé- rieuse »), ordentligt trött (« bien fatigué ») ; v) adverbes intensifs-appréciatifs : ohyggligt trött (« abominablement fatigué »), jävligt duktig (« vachement poin- tu »).

Adverbe qualitatif + adjectif

vänligt frånvarande (« gentiment absent ») ; lidelsefullt beslutsam (« passionné- ment déterminé ») ; konstigt oberörd (« étrangement impassible »).

Ne sont pas pris en compte les exemples qui présentent une ambiguïté quant à la question de savoir si l’adverbe affecte la phrase dans son ensemble ou bien seulement l’adjectif, délimitation que nous allons développer par la suite. Avant d’examiner les groupes que nous ne prenons pas en considération, nous tenons à souligner qu’il n’y a pas de cloisons étanches entre les deux groupes inclus dans l’étude : les adverbes intensifs et les adverbes qualitatifs. Il est particulièrement difficile de tracer la limite entre l’adverbe intensif-appréciatif et l’adverbe quali- tatif.

Examinons maintenant les groupes d’adverbes qui sont exclus de l’étude29 : Adverbe modal + adjectif : verkligen intressant30 (« vraiment intéressant ») ; onekligen nervös (« indubitablement sur les nerfs ») ; tydligen

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28 Cf. Riegel et al. (2004, pp. 362-363) qui distinguent trois degrés d’intensité.

29 Les traductions françaises sont celles attestées dans notre corpus.

30 Nous suivons ici Teleman et al. (1999, t. 3, p. 106) qui rangent verkligen parmi les modaux. Les équivalents français (vraiment, réellement, véritablement) ne sont pas toujours classifiés parmi les modaux : Molinier et Lévrier (2000, p. 78) les rangent parmi « les adverbes de phrase disjonctifs de style », tout en soulignant que ces adverbes sont proches des modaux.

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van (« apparemment habitué ») ; naturligtvis falsk (« faux, bien entendu »31) ; sannolikt obebodd (« probablement inhabité »).

Adverbe de point de vue + adjectif : tekniskt utförbara (« techniquement réali- sables ») ; poetiskt hållbar (« poétiquement solide ») ; socialt betydelsefulla (« importantes du point de vue social ») ; ekonomiskt obe- roende (« économiquement indépendant »).

Adverbe de temps + adjectif : nyligen inrättad (« récemment ouvert ») ; kons- tant berusad (« constamment soûl ») ; ständigt upprätthållen (« constamment maintenu »).

Commençons par préciser, dans ce qui suit, la raison pour laquelle nous prenons en compte des adverbes comme riktigt et verkligt, mais non pas un adverbe comme verkligen32. Il est vrai que verkligen a tendance à être interprété, en anté- position à l’adjectif, comme un adverbe indiquant le degré élevé de l’adjectif suivant : verkligen glad (« réellement heureux ») ; verkligen svårt (« vraiment dur ») ; verkligen intressant (« vraiment intéressant »). Un exemple qui illustre cela est le suivant, où le traducteur a choisi de rendre verkligen par très, adverbe indubitablement intensif :

(1) – Martin! Kom!

Nu var hans röst verkligen upphetsad. Ingen svarade.

– Vas-y, Martin! (Sjöwall et Wahlöö, p. 171)

Sa voix était maintenant très fiévreuse. Personne ne répondit.

(p. 234)

Cependant, parmi les exemples attestés, la solution la plus fréquente est celle où l’on traduit cet adverbe par vraiment, mot qui, comme son équivalent suédois (cf.

Nilsson, 2005, p. 93), donne lieu à une ambiguïté : en effet, même en antéposi- tion à l’adjectif, l’interprétation « adverbe de phrase » n’est pas exclue33. C’est –––––––––

31 Signalons au passage que la traduction directe naturellement faux donnerait lieu à une ambiguïté en français : l’adverbe peut assumer aussi bien le sens de « bien sûr », « bien entendu » que « de ma- nière naturelle ». Cela n’est pas le cas en suédois, où ce dernier sens est marqué à l’aide du suffixe -t (naturligt), alors que -vis est un suffixe qui indique normalement qu’il s’agit d’un adverbe de phrase.

32 Cf. Lindberg (1976, p. 99), qui attire l’attention sur la différence de verkligen et de verkligt, consta- tant que le premier est satsadverb (« adverbe de phrase ») et le deuxième ledbestämmande (« adverbe de constituant »).

33 Pour l’adverbe correspondant en anglais (« really »), Bolinger (1972, p. 95), Partington (1993, p.

182) et Stenström (1986, p. 151) affirment qu’il est nettement intensif en antéposition à l’adjectif, propos contredit par Lorenz (2002, p. 159). Ce chercheur (ibid., p. 155) souligne l’importance de prendre en considération, dans l’interprétation de l’adverbe, aussi bien l’adjectif modifié que le contexte syntaxique : « In fact, in negative and interrogative contexts really does not normally func- tion as an intensifier at all, but as a truth emphasiser that happens to be focusing on an adjective. » La même situation se présente en français, où le sens intensif de vraiment et des synonymes réellement et véritablement est exclu en contexte négatif ou interrogatif (cf. Molinier et Lévrier, p. 215). De même, Danjou-Flaux (1982, p. 137) constate que la valeur intensive de réellement n’est qu’un effet de sens dérivé.

(26)

ce sens-là que les traducteurs choisissent de retenir dans les deux exemples sui- vants :

(2) Jag var verkligen hjärtlig mot honom. (Larsson, p. 100) Je me suis vraiment montré cordial à son égard. (p. 93)

(3) När man slutar tänka på blåsten är det tyst. Verkligen tyst. (Fagerholm, p. 254) Lorsqu’on cesse de penser au vent, tout est silencieux. Vraiment. (p. 296) La position de l’adverbe dans les traductions françaises lève l’ambiguïté que pré- sente le syntagme suédois verkligen hjärtlig. Dans les traductions, vraiment s’interprète plutôt comme adverbe de phrase, indiquant une « simple conformité à la réalité » (Molinier et Lévrier, 2000, p. 215).

Si le sens de l’adverbe suédois est ambigu dans les exemples que nous venons d’examiner, la situation est différente dans les exemples qui suivent, tous tirés de notre corpus.

(4) ”Är ni verkligen engelsk?” sade han och hon kände att han fortfarande grans- kade henne. (Palm, p. 155)

« Êtes-vous vraiment anglaise ? » demanda-t-il et elle sentait qu’il était toujours en train de la jauger. (p. 165)

(5) Ur det vinröda bakelithöljet tjattrade snart Pekka Langer i full frihet. Han var verkligen närvarande. (Jönsson, p. 244)

Dans la boîte en bakélite bordeaux le commentateur babillait en toute liberté, nous faisant réellement sentir sa présence. (p. 290)

(6) Plötsligt kände han något, han trodde inte sin känsel, det gick en ilning genom honom från huvud till fot en stöt som om han alldeles skulle gå sönder – var det verkligen sant, hade hon verkligen rört sig mot honom ? (Trotzig, p. 136)

Soudain il sentit quelque chose, il n’en croyait pas ses sens, une sorte de frisson le traversa de la tête aux pieds, un choc capable de le faire éclater – était-ce bien vrai, avait-elle vraiment bougé contre lui ? (p. 155)

(7) […] egentligen var hon mer upptagen av hans händer, den vänstra som fläta- des om hennes egen hand, den högra som spärrades ut över hennes rygg. De var verkligen väldiga: (Axelsson, p. 247)

[…] en fait, elle était plus préoccupée par ses mains, la gauche qui s’entortillait autour de la sienne et la main droite qui était étalée dans son dos. Elles étaient vraiment immenses: (p. 305)

Ces quatre exemples montrent que l’interprétation de l’adverbe est dépendante de l’adjectif modifié. Ainsi, dans (4), (5) et (6), les adjectifs engelsk (« an- glais »), närvarande (« présent ») et sant (« vrai ») ne sont pas, a priori, grada- bles, ce qui nous fait constater que les adverbes qui les précèdent n’expriment

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pas l’intensité34. De plus, la forme interrogative dans (4) et (6) exclut le sens in- tensif de verkligen (cf. Lorenz, 2002, p. 155). L’exemple (7) illustre aussi com- ment l’élément adjectival influence l’interprétation de l’adverbe. L’adjectif se laisse ici difficilement modifier par un adverbe à sens intensif : ? mycket väldi- ga (? « très immenses »). Pour l’interprétation de verkligen des exemples cités, nous pouvons donc conclure que cet adverbe n’exprime pas l’intensité, mais qu’il est adverbe de phrase, malgré son antéposition à l’adjectif.

Cependant, dans d’autres cas, l’adverbe s’interprète plutôt comme modifieur de l’adjectif suivant :

(8) Sen skulle vi stå i en halvcirkel på scenen och invänta själva Lucian med tär- nor. Det var verkligen spännande. (Jönsson, p. 224)

Puis nous devions former un arc de cercle sur la scène et attendre Sainte-Luce et ses demoiselles d’honneur. C’était vraiment excitant. (p. 265)

(9) Disponenten fick stå ensam vid högtalaranläggningen och eka för sig själv.

Rösten verkade kila runt kolstybbsbanan flera varv i sekunden. Han var verkligen glad. (Jönsson, p. 248)

Le directeur fut obligé de rester seul devant les micros et se faire lui-même son propre écho. Sa voix semblait filer sur la piste en poussier de charbon à la vitesse de plusieurs tours à la seconde. Il était réellement heureux. (p. 295)

(10) Men det var verkligen svårt att tänka sig att medvetet köra av vägen, en in- stinktiv känsla hindrade mig. (Larsson, p. 60)

Mais il était vraiment dur de se voir quitter la route de façon délibérée, un instinct m’en retenait. (p. 57)

(11) ”Nej, oj, nu måste jag skynda mig – det var så roligt att prata med er! Verkli- gen intressant – om ni inte har något annat för er så kan ni väl titta upp till mig någon dag? (Palm, p. 150)

C’était un plaisir de faire votre connaissance ! Vraiment intéressant. Si vous avez un moment, vous pouvez passer me voir un de ces jours. (p. 159)

(12) Men annars är han lugn. Verkligen lugn. (Fagerholm, p. 256) Mais pour le reste il est calme. Vraiment calme. (p. 298)

(13) Renée brister ut i ett hysteriskt kort fniss som utesluter Rosa, som är av den typen som det står i handböckerna för föräldrar som misstänker att deras barn är narkomaner att när man hör det finns det skäl att bli verkligen misstänksam. (Fa- gerholm, p. 309)

Renée éclate d’un bref rire hystérique qui exclut Rosa, du genre signalé dans les manuels pour parents qui soupçonnent que leurs enfants sont toxicomanes, –––––––––

34 L’adjectif anglais pourrait dans certains contextes (comme d’autres adjectifs de nationalité), avoir un sens qualitatif, ce qui rendrait possible l’intensification : Son comportement est très anglais / fran- çais, etc. (cf. Molinier, 2006, p. 267)

References

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